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Procès de Denis Mannechez : la traque de Virginie et de son fils

Mardi 11 décembre, l’accusé Denis Mannechez a été interrogé sur la période du 8 septembre au 7 octobre 2014, pendant laquelle il recherchait sa fille, qu’il tua au terme de cette « traque ».

par Julien Mucchiellile 13 décembre 2018

Alors qu’elle vivait avec son père, et que, de leur union, était né Nicolas en 2002, Virginie Mannechez, le 8 septembre 2014, décida de mettre fin à leur vie commune. Elle lui avait laissé un mot : « Je t’ai aimé, je t’aime, je t’aimerais toujours, mais pas comme tu l’attends. Je ne te priverai pas de ton fils, à condition que tu refasses ta vie. » Dès lors, le père l’a cherché sans relâche, jusqu’à l’abattre le 7 octobre 2014 dans un garage automobile de Gisors, au côté de Frédéric Piard, le gérant du garage. Dans les débats de ce procès pour double assassinat, cette période d’un mois est appelée : la traque. Denis Mannechez aux trousses de Virginie Mannechez, terrorisée. C’est pour l’interroger sur cette traque que, mardi 11 décembre, le président de la cour d’assises d’Evreux se penche vers l’homme hagard et tordu, paralysé dans sa chaise, et lui demande :

« Monsieur Mannechez, je voudrais savoir ce que vous avez compris de cette lettre. »

Tapotant lentement sur sa tablette, car l’accusé est aussi muet, il répond par écrit : « J’ai compris qu’elle voulait que je me suicide.

– Monsieur Mannechez, dit le président, c’est une jeune femme qui veut partir refaire sa vie, je ne vois pas comment on infère tout de suite qu’elle veut que vous vous suicidiez ?

– Car j’étais en dépression à cause du travail. Je lui avais dit quelques semaines avant : “Si tu rentres du travail et que ne vois pas mon C5, que tu m’appelles et que je ne réponds pas, tu me trouveras dans le hangar, mort, une balle dans la tête”. Elle savait que si elle partait avec Nicolas, je n’étais pas en état de le supporter. »

Ecrire ce texte lui a pris cinq minutes, pendant lesquelles la cour, dans un silence de plomb et sous les yeux de Betty, de ses deux frères, parties civiles contre leur père pour l’assassinat de Virginie, attend. Tous, le regard scrutateur, observent les lettres s’afficher sur l’écran, étudiant les phrases dépourvues de syntaxe, de ponctuation et d’orthographe. Ce mardi, la voix synthétique qui lit les déclarations de l’accusé, s’est tue. Pour s’assurer qu’il peut passer à autre chose, le président demande à Denis Mannechez : « Vous avez terminé ? » Et il poursuit :

« – Autrement dit, dans votre idée, elle n’avait pas le droit de partir avec Nicolas.

– Son comportement ne laissait pas croire qu’elle avait pris conscience de l’anormalité de notre relation. »

Denis Mannechez ne s’attendait pas à ce que sa fille s’échappe ainsi, le 8 septembre 2014. Ivre de désespoir, dit-il, il se jette à sa poursuite. Il la cherche jusqu’à Quimper, car Virginie avait brouillé les pistes. D’abord, elle est hébergée par le Samu social, puis par son patron Frédéric Piard, dont tous les proches refusent qu’il soit dit de lui qu’il est une victime « collatérale », car il est une victime au même titre que Virginie Mannechez, c’est ce qu’a tenu a rappelé le président.

De nombreux messages envoyés par Virginie, attestent de sa peur d’être retrouvée par Denis, alors que lui, devant cette cour d’assises, affirme n’avoir toujours voulu que « discuter avec elle », et, dépourvu de moyens de contacts, il devait pour cela la retrouver. « Elle savait que je la rechercherais pour Nicolas, mais elle savait que je ne ferais pas de mal à Nicolas. » L’avocate de trois frères et sœurs de Virignie Mannechez, interroge l’accusé : « Mais elle vous avait dit qu’elle ne vous empêcherait pas de le voir. Pourquoi la traquer ainsi ? Si je ne me trompe pas, la laisser tranquille était la première de ces exigences. Avez-vous conscience de ce qu’a vécu Nicolas pendant ces trois semaines où vous les avez traqués ? – Maintenant, oui, mais à l’époque, non. »

Pendant la « traque », Virginie Mannechez craint pour sa sécurité et celle de son fils. Elle contacte des assistantes sociales. L’une d’elle relate aux enquêteurs : « Elle nous a expliqué le viol subi de la part de ses parents, l’obligation, dans son enfance, de tenir un planning, comprenant des fellations et des relations sexuelles avec son père. Sur sa vie quotidienne, elle nous a dit qu’elle avait peur, car il était jaloux. Elle n’avait pas le droit de regarder la télé avec son fils. Elle n’avait pas d’ami, elle n’en avait pas le droit non plus. Elle avait peur qu’il l’a remplace par Betty, suite à son départ. »

Sabrina B., travaillant dans une association qui accueille les femmes victimes de violences conjugales : « Nous étions au courant de tout. Monsieur était de plus en plus persécutant et invivable, il lui disait qu’il commettrait les mêmes actes qu’elle avait subis, sur son fils, je pense que ça a été déclencheur. Sa famille lui aurait dit “prépare ton enterrement”, du fait des recherches, des menaces de Denis Mannechez à l’encontre de sa fille. »

Jeudi et vendredi, les frères, les sœurs et la mère de Virginie Mannechez seront entendus par la cour d’assises de l’Eure.