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Procès France Télécom : le délibéré est fixé au 20 décembre

Le procès s’est achevé jeudi 11 juillet après plus de quarante jours d’audience. Les plaidoiries en faveur des trois dirigeants de la société ont demandé la relaxe. Leurs clients ne doivent pas être des « boucs émissaires ».

par Thomas Coustetle 12 juillet 2019

Deux mois et demi d’audience, une centaine de parties civiles, une entreprise et ses sept dirigeants pour la première fois sur le banc des prévenus, jugés pour harcèlement moral institutionnel, dix ans après les faits. À l’époque, un employé marseillais accuse France Télécom d’être responsable de son suicide et du « management de la terreur ». Sa mort révèle le suicide des dix-huit autres salariés entre 2008 et 2009. D’autres cas ont suivi. Tentatives de suicide, dépression, etc. Sur le banc des prévenus, l’ancien PDG du groupe Didier Lombard, l’ex-directeur des ressources humaines (DRH) Olivier Barberot, et le directeur général du groupe, Louis-Pierre Wenes. Le parquet a requis le maximum à leur encontre, soit un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende (v. Dalloz actualité, 8 juill. 2019, art. J. Mucchielli isset(node/196626) ? node/196626 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>196626).

D’ordinaire, une affaire de harcèlement moral oppose un subordonné à son supérieur hiérarchique. Ici, le ministère public a mis en cause, vendredi 5 juillet, « la politique managériale dans son ensemble ». Celle qui visait « entre 2007 et 2010, via les plans Next et son volet social le programme Act, à obtenir le départ de 22 000 salariés et la mobilité de 10 000 autres en trois ans sur un total de 120 000 salariés », a rappelé la procureure Brigitte Pesquié. Ce qui a été obtenu. Mais à quel prix ? L’opérateur assurait à l’époque son virage numérique et son ouverture à la concurrence. Le parquet lui reproche, dans son ordonnance de renvoi, la mise en musique d’une politique généralisée qui a eu « pour effet et objet », au moyen d’agissements répétés, de « dégrader les conditions de travail » de l’ensemble des salariés pour les pousser à partir. « Au mépris des risques psychosociaux et des alertes », peut-on lire encore.

Une partition que les avocats des trois dirigeants ont réfutée vigoureusement durant deux jours. Les plaidoiries en défense ont toutes demandé la relaxe :  Mes Marie Danis et Maxim Cléry-Melin pour Olivier Barberot, Mes Sylvain Cornon et Frédérique Baulieu pour Louis-Pierre Wenes, Mes Jean Veil, François Esclatine et Bérénice de Warren pour Didier Lombard.

« Il vous est demandé de modifier le droit pour compenser l’absence de fait »

Mercredi, Me Sylvain Cornon a pris le premier la parole pour défendre Louis-Pierre Wenes, numéro 2 de France Télécom. Il a rappelé que le prévenu était à l’époque « directeur général du groupe ». Derrière le titre, un métier, celui de « faire grandir les personnes », précise-t-il derrière la barre.

Un dossier « bancal juridiquement », aussi. « Alors oui, on n’oubliera pas ces histoires de vies brisées. Mais en tant que juridiction pénale, vous ne devrez juger que [le harcèlement moral]. Pour faire quoi ? Reconnaître la responsabilité personnelle de Louis-Pierre Wenes, sur la base d’une politique anxiogène. Mais au lieu d’appliquer le droit au fait, il vous est demandé de modifier le droit pour compenser l’absence de fait. »

« Perdre des gens est insupportable mais on ne peut pas rester enfermer dans ce dilemme ».

Des mots qui sonnent comme un couperet et qui ont servi de base à la plaidoirie de son homologue, Me Frédérique Baulieu. « Le harcèlement moral, il faut le prouver avec ce qu’il y a dans le dossier », insiste-t-elle. « Il y a un obstacle à la lecture des articles du code pénal et un obstacle à la condamnation puisque les éléments constitutifs ne sont pas remplis. Le parquet et les parties civiles ont voulu faire une lecture extensive des textes. Mais la loi pénale est d’interprétation stricte », martèle-t-elle plusieurs fois. Le droit français ne reconnaîtrait pas le harcèlement systémique.

Elle a ensuite détaillé les mesures mises en place et souligné « l’extraordinaire effort de l’entreprise pour la formation de son personnel ». Puis l’avocate a détaillé les mesures concernant la mobilité : « 7 000 personnes ont rejoint des métiers prioritaires entre 2006 et 2008 ». Concernant le plan de départ des 22 000 départs, Me Baulieu veut en corriger aussi l’image dévastatrice qui colle à l’équipe dirigeante. « Un nombre qui n’est pas supérieur aux années précédentes », relativise-t-elle. Aussi, « perdre des gens est insupportable, mais on ne peut pas rester enfermer dans ce dilemme ».

« C’est de la vengeance, pas de la justice »

Une stratégie de défense également adoptée par les avocats de Didier Lombard, le dernier jour du procès. Jean Veil appelle le tribunal à ne pas faire de son client « un exemple », au nom de la douleur des victimes. « Je ne pense pas que la condamnation éventuelle des prévenus permettrait aux victimes de se redresser. Qu’ils ne pensent pas qu’une décision de justice soit de nature à faciliter ou à réparer l’absence qui est là pour toujours. On peut penser ce qu’on veut de Didier Lombard, je l’ai vu pleurer dans mon bureau. Je l’ai vu comme il est, avec ses qualités et ses défauts, mais je ne crois pas que ce soit la sanction pénale qui puisse adoucir la douleur des victimes. Plus le drame est lourd, plus le responsable doit être grand », a-t-il plaidé.

« Par la fenêtre ou par la porte »

Reste cette phrase, collée à l’ancien président-directeur général. « En 2007, je ferai les départs d’une façon ou d’une autre, par la fenêtre ou par la porte ». Révélés en 2013, ses propos, tirés d’une note interne, confirmeraient que l’entreprise avait en objectif précis et à n’importe quel prix les départs qui ont bien eu lieu. Une « maladresse », pour Me Esclatine. « Une simple projection » et non « un objectif précis à l’époque », démine encore Jean Veil. Me Bérénice de Warren y voit le point de départ de ce dossier : « c’est en réalité pour cela qu’il est devant vous », lance-t-elle au tribunal. « Mais, en réalité, il utilise un mot pour un autre. Quand on connaît Didier Lombard, on sait qu’il ne faut pas prendre ses propos au sens littéral ».

Dernier à prendre la parole avant que le tribunal n’annonce la fin de ce procès-fleuve, Nicolas Guérin, représentant d’Orange, a annoncé que le groupe allait lancer une « discussion » avec les organisations syndicales pour créer une commission d’indemnisation des victimes, « quelle que soit la décision » du tribunal.

Une décision qui sera rendue le 20 décembre prochain. Un temps qui peut paraître long mais qui se comprend devant les quelque « 800 pages de notes d’audience et aux plus de 400 nouvelles pièces à lire » de ce dossier, explique Cécile Louis-Loyant.

 

 

Sur le procès France Télécom, Dalloz actualité a également publié :

22 000 suppressions d’emplois, « une fois annoncé publiquement, c’est une cible », par J. Mucchielli, le 17 mai 2019 isset(node/195796) ? node/195796 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>195796
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Didier Lombard : « Il y a quand même un mort dans ce dossier », par J. Mucchielli, le 14 juin 2019 isset(node/196205) ? node/196205 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>196205
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