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Procès Jérôme Cahuzac : sanction plus lourde, pas de prison et pas de pourvoi

« Le recours à l’emprisonnement est pleinement justifié eu égard aux circonstances de commission des faits, au regard du montant des droits éludés. Tout autre peine serait inadéquate », annonce le président de la cour d’appel, Dominique Pauthe. La phrase résonne et réveille l’auditoire assommé par quarante-cinq minutes de lecture d’arrêt.

par Pierre-Antoine Souchardle 15 mai 2018

Les avocats de Jérôme Cahuzac se redressent sur leur banc. « Quatre ans d’emprisonnement dont deux ans assortis d’un sursis simple », poursuit le président.

À l’énoncé de la peine, l’avocat historique de M. Cahuzac, Jean-Alain Michel, tapote le dos de son confrère Éric Dupond-Moretti. Une congratulation discrète. Lors de sa plaidoirie, celui-ci avait suggéré à la cour d’aggraver la peine mais l’avait suppliée de ne pas envoyer l’élu déchu en prison (v. Dalloz actualité, 21 févr. 2018, art. M. Babonneau isset(node/189295) ? node/189295 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>189295).

Le 20 février, le représentant du ministère public avait requis la confirmation de la peine prononcée en première instance. Soit trois ans d’emprisonnement ferme et cinq ans d’inéligibilité pour fraude fiscale pour la période 2009-2011, blanchiment de fraude fiscale entre 2003 et 2013 et déclaration mensongère à la Commission pour la transparence financière de la vie politique (v. Dalloz actualité, 20 févr. 2018, art. M. Babonneau isset(node/189291) ? node/189291 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>189291)

La cour d’appel a assorti sa décision d’une amende de 300 000 € car les faits reprochés ont permis à M. Cahuzac « de se ménager des ressources occultes et un train de vie confortable en franchise d’impôt ».

À la sortie de l’audience, les avocats de M. Cahuzac l’ont joué modeste. « Ce n’est pas une victoire de la défense mais c’est une réelle victoire de la justice parce que cette décision est équilibrée », s’est félicité devant la presse Me Dupond-Moretti, entouré de Mes Jean-Alain Michel et Antoine Vey.

Pourtant, dans ses attendus, la cour d’appel a été cinglante à l’encontre de l’ancien ministre. « Ces agissements heurtent le principe républicain de l’égalité des citoyens devant l’impôt qui devait être au centre de ses préoccupations de l’élu de la Nation de président de la commission des finances de l’Assemblée nationale (…) Que ce principe devait également guider son action de membre du gouvernement, ministre du Budget, fonction qu’il acceptera d’exercer en 2012, faisant fi de ces contradictions, menant la lutte contre la fraude fiscale alors même qu’il conservait à Singapour, à l’insu de l’administration fiscale qu’il dirigeait des avoirs d’une valeur de plusieurs centaines de milliers d’euros ».

La cour, comme le parquet, a douté de la véracité de l’histoire du financement politique de la campagne de Michel Rocard, avancée en première instance par M. Cahuzac et maintenue en appel, même si un témoignage a semblé la conforter. M. Cahuzac « ne saurait s’abriter derrière son implication dans l’action politique au soutien de Michel Rocard », relève la cour avant d’ajouter « cette version n’est en rien corroborée par l’usage qui a été fait des sommes demeurées en sa possession et qu’il s’est finalement approprié ».

Les magistrats ont également souligné la volonté de frauder de M. Cahuzac, « assumée, tout autant que dissimulée pendant des années. (Cette fraude) coexistait avec un combat mené contre l’évasion fiscale dont il se voulait le pourfendeur alors qu’il en était l’un des acteurs ».

« La cour, tout en le condamnant à de l’emprisonnement permet qu’il y ait un aménagement de cette peine. Ce n’est pas acquis, il faut saisir une autre juridiction, il faut saisir un autre juge, le juge de l’application des peines et faire valoir les éléments de réinsertion », a relevé Me Dupond-Moretti. C’est désormais à un juge de l’application des peines de décider, ou non, d’un aménagement de la sanction infligée à M. Cahuzac.

« Donc, cette décision, elle est conforme à nos vœux. Elle est plus grave d’une certaine façon. C’est une peine de quatre ans qui a été prononcée dont deux ans avec sursis et nous avons toute une discussion, tout un combat judiciaire à mener pour donner un certain nombre d’éléments relatifs à ce que fait et ce que fera Jérôme Cahuzac, qui est évidemment l’architecte de son avenir », a ajouté l’avocat.

Le parquet général, en fin de journée, a déclaré qu’il « n’entendait pas former de pourvoi en cassation contre cette décision qui est fondée en droit et apparaît significative ». Il précise néanmoins que, « chargé de l’exécution des peines, (le parquet) va donc transmettre l’arrêt de la cour au juge de l’application des peines compétent qui vérifiera s’il existe une possibilité d’aménagement (sous forme par exemple de bracelet électronique) en fonction de la personnalité de M. Cahuzac. Si le juge de l’application des peines, après un débat contradictoire, estime qu’un aménagement n’est pas possible, la peine sera mise à exécution dans un établissement pénitentiaire. »

Jérôme Cahuzac était accusé d’avoir possédé un compte en Suisse puis d’avoir transféré ses avoirs à Singapour via des sociétés écrans lorsqu’il était devenu président de la commission des finances de l’Assemblée nationale. Au total, la justice lui reproche d’avoir dissimilé près de 780 000 €.

La cour d’appel a également confirmé la peine de cinq ans d’inéligibilité malgré la volonté de M. Cahuzac, 65 ans, de ne pas revenir en politique. L’avocat Philippe Houman, condamné à un an avec sursis et 375 000 € d’amende pour avoir été « un acteur essentiel du processus de dissimulation » des avoirs de M. Cahuzac de la Suisse vers Singapour. Les deux hommes devront verser solidairement 100 000 € de dommages-intérêts à l’État français

 

« Jérôme Cahuzac qui est évidemment l’architecte de son avenir »
À la sortie de la salle d’audience, Éric Dupond-Moretti a déclaré ceci : « Ce n’est pas une victoire de la défense mais c’est une réelle victoire de la justice parce que cette décision est équilibrée. Elle rappelle évidemment la gravité des faits, elle rappelle le mensonge de Jérôme Cahuzac, elle rappelle sa responsabilité dans toute sa plénitude, elle rappelle aussi sa personnalité, elle rappelle aussi ses fragilités et ses failles et notamment à ce qu’a apporté à cette audience l’intervention de l’expert psychiatre. Et la cour, tout en le condamnant à de l’emprisonnement permet qu’il y ait un aménagement de cette peine, ce n’est pas acquis, il faut saisir une autre juridiction, il faut saisir un autre juge, le juge de l’application des peines, et faire valoir les éléments de réinsertion et qui nous permettent dès à présent d’affirmer que Jérôme Cahuzac, comme nous l’avons dit, ne mérite pas la prison. La prison, c’est fait évidemment pour sanctionner, c’est fait aussi pour réinsérer et là, en l’occurrence, ça n’a pas de sens. C’est fait aussi pour mettre les gens dangereux à l’abri et à l’écart et très franchement, là non plus, ça n’avait pas de sens. Donc, cette décision, elle est conforme à nos vœux. Elle est plus grave d’une certaine façon. C’est une peine de quatre ans qui a été prononcée dont deux ans avec sursis et nous avons toute une discussion, tout un combat judiciaire à mener pour donner un certain nombre d’éléments relatifs à ce que fait et ce que fera Jérôme Cahuzac qui est évidemment l’architecte de son avenir ».