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Procès UBS : la défense tance la politique « du rien » du parquet

UBS AG, sa filiale française et six anciens cadres de la banque sont poursuivis devant le tribunal correctionnel de Paris pour démarchage bancaire illégal, blanchiment de fraude fiscale et complicité de ses délits entre 2004 et 2012. La justice estime à 10 milliards les sommes non déclarées au Fisc. Le parquet national financier (PNF) a requis des peines de prison avec sursis et une amende de 3,7 milliards d’euros.

par Marine Babonneaule 13 novembre 2018

« Quoi qu’a dit ? / – A dit rin. / Quoi qu’a fait ? / – A fait rin. / À quoi qu’a pense ? / – A pense à rin. / Pourquoi qu’a dit rin ? Pourquoi qu’a fait rin ? Pourquoi qu’a pense à rin ? / – A’ xiste pas. »

À son pupitre, devant le tribunal, Me Thierry Marembert piaille comme un poulbot « La môme néant » de Jean Tardieu. Il fait rire la salle. Pour lui, c’est le résumé de l’affaire UBS jugée devant la 32e chambre correctionnelle depuis cinq semaines : rien ou pas grand-chose et notamment peu d’accusations à l’encontre de son client, Hervé d’Halluin, un temps en charge du bureau lillois d’UBS France. Ce dernier est censé avoir organisé – tel « un poisson-pilote » pour la maison mère – deux parties de chasse au domaine de La Planquette pour permettre à des chargés d’affaires suisses de dégoter de futurs clients, ce qui est illégal. « Ce procès nous dépasse très largement. C’est le procès d’un système global d’aide à la fraude fiscale », a dit Thierry Marembert pour qui son client n’est qu’un « petit salarié à l’extrême périphérie d’UBS ». Hervé d’Halluin « n’est nulle part en Suisse », « n’est pas au siège », « n’a jamais été membre du directoire de la banque », « n’a pas relevé du siège parisien » et « n’était même pas deskhead [chef de bureau, ndlr] du bureau de Lille au moment des chasses » ! Le démarchage, c’est quoi ? L’avocat rappelle l’article L. 341-1 du code monétaire et financier mais surtout l’article suivant qui prévoit des exceptions. « Il y a des conditions d’exclusion, c’est le trou noir du dossier. […] C’est à peine évoqué dans l’ordonnance de renvoi mais où est la discussion ? Nulle part ? Dans les réquisitions ? Pas un mot ! » Or il n’est plus question de démarchage, nous dit la loi, quand il s’agit de prendre contact avec des personnes qualifiées – c’est le cas des chefs d’entreprise, estime l’avocat – ou des personnes pour qui les opérations proposées seraient « habituelles » – notamment pour des entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 5 millions d’euros. Et puis, poursuit-il, le délit de démarchage illicite, s’il peut être constitué dès la prise de contact sans qu’un contrat soit conclu par la suite, nécessite tout de même de savoir entre qui ces prises de contact avaient lieu. « Ce n’est pas juste un contact avec "quelqu’un mais je sais pas qui" », s’agace-t-il. Évidemment, dans ce dossier, « on n’a aucune certitude de qui était là ou pas. A-t-on les preuves que ce qui se passait lors de ces chasses relevait du démarchage et que cela ne tombait pas dans les exceptions ? […] Le juge d’instruction a-t-il entendu une seule des personnes qui étaient présentes ? Non. Il s’est basé sur des propos faux, factuellement faux, de M. d’Halluin tenu en fin de garde à vue, huit ans après les faits. […] Les enquêteurs se sont appuyés sur des notes d’invités potentiels ou réels. […] Deux témoignages ont été récoltés qui vous ont dit qu’ils n’avaient pas été démarchés. […] À part ça, personne n’a été entendu ! Où sont les preuves du ministère public ? De l’ordonnance de renvoi ? […] À un moment, il faut revenir aux faits. Des preuves ? Elles n’existent pas ». La môme néant.

Le procès UBS a pêché par manque de contradictoire. Le parquet, fort silencieux, n’a pas fait témoigner à la barre les lanceurs d’alerte qui avaient déclenché le scandale bancaire. La défense, affublée chaque jour de représentants de la banque, de communicants et de sténos, s’est retrouvée dans le même temps débarrassée de gênants contradicteurs et les a pilonnés poliment. En somme, il y a des témoignages, des dires, des soupçons, des méthodes douteuses, mais quelles preuves tangibles ? L’avocat Christian Saint-Palais prend la relève. Il défend Patrick de Fayet, l’ancien numéro 2 d’UBS France, soupçonné lui aussi de blanchiment de démarchage illicite, présenté par l’accusation comme le grand instigateur des « carnets du lait », ces calepins pour la plupart disparus retraçant les reconnaissances d’affaires et donc les transferts illicites d’argent entre banquiers français et suisses. « On ne reproche pas à Patrick de Fayet une aventure personnelle. […] Mais seul, c’est la position qui a été la sienne pendant un long temps de l’instruction. Bien sûr, vous le savez, ce n’était pas la seule personne physique à devoir répondre au juge d’instruction. […] M. de Fayet a été la seule personne physique, pendant toute l’instruction, à se voir reprocher les faits que les juges estimaient reprochables à UBS France. Vous avez entendu, pendant le réquisitoire, décrire celui qui fut le numéro 2 de la banque. Et après ces semaines d’audience, après ces années d’instruction, on peut se poser quand même une question sur la cohérence de l’accusation. […] Où sont les numéros 1 ? […] Parmi les présidents du directoire, seul le premier, M. de Montesquiou, a été entendu. Parce qu’ils se sont succédé, les présidents des directoires, ils sont fatalement les numéros 1 au-dessus des numéros 2 ! Ils ne sont pas renvoyés, grand bien leur fasse ! […] Et je me dis que si le parquet est si soucieux de maintenir l’ordre public, qu’il ne les a pas renvoyés ni n’a souhaité leur mise en examen, c’est que peut-être il a estimé que leur mise en cause n’était pas nécessaire et que le délit que l’on reproche à celui-ci n’était pas suffisamment constitué qu’il méritait que l’on déplace tant de gens ! », plaide de sa voix d’avocat Me Saint-Palais.

La politique générale du parquet

Et voilà ce qui irrite la défense depuis le début de l’affaire. L’avocat de Patrick de Fayet va le dire longuement. « Moi, je ne plaide pas sur une politique générale. Je ne plaide pas pour 3 milliards d’euros, je plaide pour un homme pour qui on a requis une année d’emprisonnement. […] Et je sais que d’aucuns se disent que, compte tenu de l’attitude qui a été la nôtre pendant l’instruction, je pourrais préférer plaider devant vous sotto voce. […] Je l’ai accompagné pendant qu’il exerçait sa liberté seul qu’il était pendant l’instruction, seule personne physique, de chercher à voir comment il pouvait sortir de ce dossier, de voir s’il ne pouvait pas trouver une voie procédurale qui lui permettait de sortir sans dommage. Il l’a explorée et on peut me dire, c’est vrai, que nous-mêmes, nous nous étions accoutumés à ce que les culpabilités soient réclamées sur des raisonnements et des moyens de preuves que nous ne pouvons pas accepter, sur des insuffisances qui ne peuvent convaincre le tribunal. […] Il ne faut pas aller cherche sa quiétude au prix de tous les renoncements. Nous sommes ici pour reprendre le cours de notre défense. […] D’abord, il y a un terme qui ne me plaît guère dès lors qu’il n’est pas étayé. Autrefois, on se flattait d’avoir une analyse au scalpel d’un dossier, d’avoir un regard presque chirurgical. Avec la politique générale, maintenant, on voit loin, on survole un dossier ! Ces messieurs sont modernes, ils sont comme sur un drone ! […] C’est sûr que de loin on voit très bien la frontière entre la France et la Suisse, on voit très bien ce que disent les bonshommes verts qui courent sur les verts des golfs, on les voit très bien rejoindre les forêts pour rejoindre les chasses de La Planquette ! […] Mais qu’est-ce qu’ils se disent ces petits bonshommes verts ? Mais ça, on n’en sait rien ! Qu’est-ce qu’ils sont ? On n’en sait rien ! »

L’avocat fustige les méthodes « misérables » du parquet qui a soumis, par exemple, une lettre anonyme « en sus du reste », le jour du réquisitoire. Mais il s’en veut « de ce glissement progressif » de l’accusation auquel la défense « s’est habituée ». Ainsi, les propos accusateurs du « témoin 119 ». « Nous devons le lire mais est-ce que ça nous empêche d’exhorter le tribunal de prendre ses distances vis-à-vis de ce témoin ? […] Nous avons débattu contradictoirement de cette pièce, le parquet a dit que nous étions “désagréables” à l’encontre de cette personne. […] Mais on ne viole pas la loi à chercher qui se cache derrière un anonymat ! […] La critique des lanceurs d’alerte est “désagréable”, je comprends, mais ne peut-on pas s’en écarter également ? […] », interroge l’avocat. Il détaille alors ce qui est reproché à son client et il va, durant une heure et demie, « contester, critiquer la faiblesse des preuves » présentées comme évidentes par le parquet national financier. « Je critique ces généralités », « ces glissements » or, « le pénal, c’est la caractérisation sans doute possible de l’infraction ».

Et ici, rien n’y est. À l’instar de Thierry Marembert, Christian Saint-Palais pointe les lacunes d’un dossier, d’une accusation. « Ils sont à peu près dix-huit à avoir été entendus et aucun ne rapporte la preuve d’avoir été démarché. […] Les auteurs potentiels de ces délits sont les chargés d’affaires suisses et, là aussi, je vous mets au défi de trouver un élément de preuve ! [….] Mon client refuse le terme de “coorganisation” avec la Suisse des events en France. Il avait une enveloppe et il y avait un éventuel lissage par la maison mère. Et pour lui, ces events avaient pour finalité de faire plaisir aux nouveaux clients entrés dans le giron de la banque. […] Que venaient donc faire les chargés d’affaires suisses ? […] La concurrence dans ce secteur est rude, il fallait des événements de qualité, les responsables de la maison mère qui se déplacent pour donner du poids à l’événement, pour démontrer le savoir-faire, incarner le passé et l’avenir. C’est une méthode commerciale – je n’ose le dire – pour valoriser la maison dans laquelle ils travaillent ! Ne soyons pas excessivement rigides. La finalité est que le client reparte heureux. […] N’ayons pas peur de dire la réalité des choses économiques sans pour autant que cela relève du pénal ». Patrick de Fayet connaissait la réglementation à respecter et d’ailleurs, ajoute le conseil du banquier, aucun chargé d’affaires français ne s’est plaint de démarchage illicite de la part de leurs collègues helvètes. Que dire de ces derniers qui auraient démarché à tout va dans les bureaux parisiens d’UBS, sans que Patrick de Fayet intervienne ? Sans preuve, pour le parquet, c’est « on se sait jamais ! », se gausse Christian Saint-Palais. Et les carnets du lait… « Éloignons-nous des fantasmes nourris par ces carnets », demande-t-il. Des brouillons qui n’ont rien montré.

« C’est la première fois que vous allez trancher une affaire de la sorte. » Christian Saint-Palais a demandé la relaxe de Patrick de Fayet.

Les plaidoiries se poursuivent jusqu’à jeudi 15 novembre.