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Revirement : pas de réparation du déficit fonctionnel permanent par la rente accident du travail !

La rente versée à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent. La victime d’une faute inexcusable de l’employeur peut donc obtenir une réparation distincte du préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées.

Les deux arrêts rendus en Assemblée plénière par la Cour de cassation le 20 janvier 2023 (n° 21-23.947 et n° 20-23.673, D. 2023. 182 ) étaient attendus. C’est peu dire que cette attente n’a pas été déçue. Ils offrent en effet l’occasion à la Cour de cassation de réaliser un important revirement de jurisprudence concernant la nature de la rente accident du travail (AT).

Dans les deux cas, un salarié développe un cancer broncho-pulmonaire à la suite de son exposition à l’amiante dans le cadre de son activité professionnelle. Ses ayant-droits tentent de faire reconnaitre l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur.

Dans le premier arrêt (n° 21-23.947, préc.), rendu sur renvoi après cassation, la cour d’appel fixe l’indemnisation des préjudices personnels subis par la victime aux sommes de 50 000 € au titre du préjudice moral et 20 000 € au titre du préjudice physique, aux motifs que « l’indemnisation des souffrances physiques et morales prévue par l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ne saurait être subordonnée à […] l’absence de souffrances réparées par le déficit fonctionnel permanent qui n’est ni prévue par ce texte ni par les dispositions des articles L. 434-1, L. 434-2 et L. 452-2 du code de la sécurité sociale » (pt 3). L’Agent judiciaire de l’État, dans son pourvoi, rappelle la jurisprudence constante en sens contraire de la Cour de cassation : ne seraient réparables, en application de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, que les souffrances physiques et morales non indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent (pt 3). Abandonnant expressément cette solution, la Cour de cassation rejette le pourvoi et affirme « juger désormais que la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent » (pt 11). Elle invoque, pour justifier un tel revirement, les critiques doctrinales (pt 8), les difficultés probatoires rencontrées devant les juges du fond (pt 9) et la jurisprudence en sens contraire du Conseil d’État (pt 10).

Dans le second arrêt (n° 20-23.673, préc.), la cour d’appel avait, au contraire, scrupuleusement appliqué la solution jusque-là constamment admise par la Cour de cassation, selon laquelle « aux termes des articles L. 434-1 et L. 434-2 du code de la sécurité sociale, la rente ou le capital versé à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle indemnise d’une part, les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité et, d’autre part, le déficit fonctionnel permanent. Ainsi, en l’absence de perte de gains professionnels ou d’incidence professionnelle, cette rente indemnise le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent », lequel comprend les souffrances physiques et psychiques (pt 4). Or, en l’espèce, la victime « était retraitée lors de la première constatation de la maladie prise en charge au titre du risque professionnel, de sorte qu’elle n’avait subi aucune perte de gains professionnels ni d’incidence professionnelle » (pt 13). Dès lors, la rente indemniserait inévitablement le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent (pt 13).

Dans leur pourvoi en cassation, les ayants droit du salarié appellent à une évolution jurisprudentielle, en se référant expressément à la jurisprudence du Conseil d’État, selon lequel, « eu égard à sa finalité de réparation d’une incapacité permanente de travail, qui lui est assignée par l’article L. 431-1 du code de la sécurité sociale, et à son mode de calcul, appliquant au salaire de référence de la victime le taux d’incapacité permanente défini par l’article L. 434-2 du même code, la rente d’accident du travail doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l’accident, c’est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité » (pt 4). Ils soutiennent ainsi que la rente AT n’indemnise jamais le déficit fonctionnel permanent (DFP). Dès lors, la Cour de cassation devrait abandonner la solution selon laquelle les souffrances physiques et morales ne sont réparables qu’à la condition de n’être pas déjà indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent par la rente AT. Suivant leur argumentation, la Cour de cassation casse la décision de la cour d’appel au visa des articles L. 434-1, L. 434-2, L. 452-2 et L. 452-3 du code la sécurité sociale. Elle reprend les mêmes motifs (critiques doctrinales, difficultés probatoires, souci d’harmonisation avec la jurisprudence du Conseil d’État) pour justifier son revirement.

Ce dernier permet une certaine amélioration (pour ne pas dire une amélioration certaine !) de l’indemnisation des victimes en admettant désormais, d’une part, l’indemnisation (dans tous les cas) des souffrances endurées en sus de la rente AT en présence d’une faute inexcusable de l’employeur et, d’autre part, l’absence d’imputation de la rente AT sur le DFP lors du...

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