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Sport : agression d’un arbitre constitutive d’une infraction aux règles du jeu

L’agression d’un arbitre par un joueur constitue une infraction aux règles du jeu en lien avec l’activité sportive même si elle se produit à l’issu de la rencontre dès lors qu’elle a lieu dans une enceinte sportive. 

par Anaïs Hacenele 10 septembre 2018

Depuis 1995, la Cour de cassation reconnaît, sur le fondement de l’ancien article 1384, alinéa 1er, devenu 1242, alinéa 1er, du code civil, que « les associations sportives ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres sont responsables des dommages que ceux-ci causent à cette occasion » (Civ. 2e, 22 mai 1995, n° 92-21.871, Bull. civ. II, n° 155 et n° 92-21.197, Bull. civ. II, n° 155 ; D. 1996. 29 , obs. F. Alaphilippe ; RTD civ. 1995. 899, obs. P. Jourdain ; R., p. 319 ; JCP 1995. II. 22550, note J. Mouly ; ibid. I. 3893, n° 5, obs. G. Viney ; RCA 1995. Chron. 36, par H. Groutel ; Gaz. Pal. 1996. 1. 16, note F. Chabas ; Defrénois 1996. 357, obs. D. Mazeaud).

Cette responsabilité est toutefois conditionnée à l’existence d’« une faute caractérisée par une violation des règles du jeu […] imputable à un ou plusieurs de leurs membres, même non identifiés » (Civ. 2e, 20 nov. 2003, n° 02-13.653, Bull. civ. II, n° 356 ; D. 2004. 300, et les obs. , note G. Bouché ; ibid. 2005. 185, obs. P. Delebecque, P. Jourdain et D. Mazeaud ; RTD civ. 2004. 106, obs. P. Jourdain ; R., p. 451 ; JCP 2004. II. 10017, note J. Mouly ; ibid. I. 163, nos 29 s., obs. G. Viney ; JCP E 2004. 476, note C. Castets-Renard ; Gaz . Pal. 2004. 1885, note Y. Dagorne-Labbé ; RCA 2004. Chron. 1, par Saint-Pau ; Dr. fam. 2004, n° 63, note J. Julien ; Dr. et patr. janv. 2004, p. 85, obs. F. Chabas ; LPA 14 avr. 2004, note L. Kaczmarek ; Cass., ass., plén., 29 juin 2007, n° 06-18.141, Bull. ass. plén. n° 7 ; Cass., ass. plén., 29 juin 2007, n° 06-18.141, D. 2007. 2455, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2346, obs. J.-C. Breillat, C. Dudognon, J.-P. Karaquillo, J.-F. Lachaume, F. Lagarde et F. Peyer ; ibid. 2408, chron. J. François ; ibid. 2897, obs. P. Brun et P. Jourdain ; RTD civ. 2007. 782, obs. P. Jourdain ; GAJC, 12e éd., 2008, n° 227-229 ; RCA 2007. Etude 17, par S. Hocquet-Berg).

C’est précisément au rappel de ces règles que procède la Cour de cassation dans cet arrêt du 5 juillet 2018.

Au cours d’une rencontre sportive organisée par une association de football, un arbitre a été agressé à l’issue du match par un joueur expulsé en cours de jeu. L’auteur de l’agression a été reconnu coupable par un tribunal correctionnel de violences volontaires commises sur une personne chargée d’une mission de service public. Après avoir indemnisé la victime, le Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorismes et d’autres infractions (FGTI) a assigné l’association en remboursement des sommes versées.

La cour d’appel de Paris a débouté le FGTI de sa demande. S’il n’était pas contesté que l’auteur de l’infraction avait bien commis un manquement aux règles du jeu – lequel lui avait d’ailleurs valu une exclusion du match par l’arbitre –, ce manquement n’était pas la cause directe du préjudice subi par la victime qui découle de violences ultérieures commises par le joueur habillé en civil, une fois la partie terminée. Les juges d’appel ont distingué l’agression commise sur l’arbitre et le manquement aux règles du jeu à l’origine de l’exclusion au cours du match. Puisque la rencontre était terminée et que l’auteur n’était plus en tenue de sport, ils en ont déduit que l’agression s’était déroulée en dehors de l’activité sportive. La faute dommageable s’était donc produite en dehors du match même si l’arbitre était encore sur le terrain. 

Sur pourvoi du FGTI, la Cour de cassation était amenée à s’interroger sur le moment de l’agression et sur le point de savoir si elle s’était ou non produite au cours de la pratique de l’activité sportive. De la réponse à cette question dépend la possibilité d’imputer ou non le dommage à l’association sportive sur le fondement de l’article 1242, alinéa 1er, du code civil.

C’est au visa de ce texte que la deuxième chambre civile casse l’arrêt et rappelle, dans un attendu de principe, l’ensemble des conditions d’application de la responsabilité d’une association sportive du fait de ses membres.

Pour que le répondant du dommage engage sa responsabilité, le primo-responsable doit avoir commis une faute, laquelle, eu égard à la spécificité des activités sportives et à la part de risques qu’elles comportent, doit être qualifiée. 

La Cour de cassation décide « qu’en statuant ainsi, alors que l’agression d’un arbitre commise dans une enceinte sportive par un joueur constitue, même lorsqu’elle se produit à l’issue de la rencontre, dont ce dernier a été exclu, une infraction aux règles du jeu, en lien avec l’activité sportive, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

Les décisions des juges du fond et de la Cour de cassation semblent s’opposer sur le nombre de fautes.

Pour la cour d’appel de Paris, il y a deux fautes : une survenue au cours du match, qui constitue une violation des règles du jeu, et une survenue après le match, résultant des violences volontaires. Seule la seconde est la cause directe du dommage subi par l’arbitre. Comme elle n’est pas caractérisée par la violation des règles du jeu, elle ne permet pas d’engager la responsabilité de l’association sportive.

Pour la Cour de cassation, il semble n’y en avoir qu’une seule qui commence par l’exclusion et se poursuit par l’agression. C’est parce que la faute s’est produite dans une enceinte sportive et qu’elle a été commise par un joueur exclu pendant la rencontre qu’elle est liée au jeu. La solution aurait donc été différente si le joueur avait agressé l’arbitre le lendemain à son domicile par exemple. En revanche, le fait qu’elle soit survenue à l’issue de la rencontre est indifférent.

Ces raisons font de l’agression une faute caractérisée par la violation des règles du jeu en lien avec l’activité sportive. Toutes les conditions étant réunies, la responsabilité de l’association sportive peut être retenue sur le fondement de l’article 1242, alinéa 1er, du code civil.

Dans cet arrêt, la haute juridiction semble considérer l’agression comme la continuité de la faute de jeu à l’origine de l’exclusion. Puisque ces deux fautes sont confondues en une, le lien de causalité entre elle et le dommage est établi.

La Cour de cassation a procédé à une extension progressive de la délimitation temporelle du fait dommageable. Dans un premier temps, elle a considéré qu’il ne pouvait avoir lieu que pendant une compétition officielle (en ce sens : Civ. 2e, 22 mai 1995, préc.). Dans un second temps, elle a accepté que celui-ci puisse survenir au cours d’un simple entraînement ( Civ. 2e, 22 septembre 2005, n° 04-14.092, Bull. civ. II, n° 234, D. 2005. 1397 ; RTD com. 2005. 784, obs. L. Grosclaude; JCP. 2006. II, 10000, note D. Bakouche ; Civ. 1re, 16 mai 2006, n° 03-12.537, D. 2006. 1706 ; LPA 25 juill. 2006. 2006, p. 15, note M. Brusorio.

L’ extension de l’appréciation de la faute qualifiée s’est aussi illustrée dans une décision du 8 juillet 2010 (Civ. 2e, 8 juill. 2010, n° 09-68.212, D. 2011. 35, obs. P. Brun et O. Gout ; ibid. 703, obs. Centre de droit et d’économie du sport ). Au cours d’un match, au moment d’une altercation générale, un joueur avait retiré sa chaussure et blessé un joueur adversaire. Condamné pénalement par un tribunal correctionnel pour coups et blessures avec arme, une cour d’appel avait débouté le FGTI de sa demande en remboursement auprès de l’association sportive considérant qu’en retirant sa chaussure, le joueur ne pouvait plus pratiquer l’activité sportive et s’était de la sorte exclu du jeu si bien que l’agression n’avait pas eu lieu au cours de la pratique effective du sport. La Cour de cassation avait cassé l’arrêt au visa du même texte en rappelant le même attendu de principe que dans l’arrêt sous commentaire : l’agression ayant eu lieu sur le terrain, à l’occasion d’une altercation survenue au cours de la rencontre et à l’aide de crampons, elle était bien constitutive d’une faute caractérisée par la violation des règles du jeu.

À chaque fois, cependant, le fait générateur de responsabilité s’était produit sur le terrain lui-même et durant la rencontre.

Dans l’arrêt du 5 juillet 2018, la Cour de cassation va plus loin. Le match étant fini, l’agression n’a pas pu avoir lieu pendant le temps du jeu. Elle procède à une extension temporelle et spatiale du champ de la responsabilité de l’association sportive. Le simple lien entre la faute caractérisée et l’activité sportive suffit. 

Si, en 2010, la Cour de cassation se contentait de ce qui a pu être qualifié de « lien assez lâche entre l’acte dommageable et le jeu » (P. Brun et O. Gout, art. préc.), au moins l’action avait eu lieu au moment de la pratique effective de l’activité sportive. Ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Il existe bien une « exigence minimale de corrélation avec le jeu », laquelle « se manifeste notamment sur le plan temporel et spatial » (P. Brun et O. Gout, art. préc.). Toute la difficulté porte sur l’évaluation de cette corrélation entre la faute dommageable et le jeu dans le temps et dans l’espace. 

Il ressort de l’arrêt sous commentaire que l’association sportive est susceptible d’engager sa responsabilité à partir du moment où les participants entrent dans l’enceinte sportive jusqu’à ce qu’ils en ressortent et pas seulement pendant le temps du jeu.