Il nous avait été annoncé que la crise de la covid-19 trouverait une solution à la fin de l’année 2020, ce qui permettrait aux entreprises de rebondir et de retrouver une activité normale. Nous constatons à présent que ce n’est pas le cas et qu’après un second confinement, la situation n’est pas éclaircie avec une campagne de vaccination plus lente que prévu, l’apparition de nouveaux variants du virus et la nécessité de prolonger des mesures avec, par exemple, la prolongation d’un an de la franchise concernant les prêts garantis par l’État (PGE). Dès lors que l’État poursuit ses aides, il devient indispensable d’envisager des mesures permettant une sortie de crise intégrant un traitement différencié des entreprises selon la gravité de leurs difficultés et leur capacité crédible de maintenir ou recouvrer une capacité bénéficiaire durable. Plusieurs éléments peuvent être envisagés, d’une manière résumée, ces points pouvant être développés en cas de besoin.
La nécessité d’un tri des entreprises viables
Le tri des entreprises qui sont susceptibles d’être sauvées est indispensable. L’aide qui a permis jusqu’ici de préserver le tissu économique au point que 40 % en moins de procédures collectives sont constatées à l’automne 2020 et encore début 2021 ne pourra être poursuivie indéfiniment. Il faut donc préparer et conforter les outils permettant de sélectionner les entreprises qui auront vocation à être aidées dans le cadre d’un processus judiciairement encadré, si possible. La question de l’éventuelle saturation des greffes est en effet posée, même si certains greffiers de tribunaux de commerce ont répondu jusqu’ici d’une manière plutôt rassurante sur leur capacité d’accueillir de nombreux autres dossiers.
Les modalités du tri
Ce tri implique plusieurs critères.
1. Tout d’abord, il faut faire connaître largement les moyens et les limites du dispositif en utilisant les outils déjà disponibles, tels que les outils d’autoévaluation créés par les greffiers des tribunaux de commerce, la profession d’administrateur judiciaire, etc. Les dirigeants doivent être incités à recourir à la prévention même si la crise actuelle a souvent éloigné les entreprises en difficulté du tribunal grâce aux aides qu’elles ont reçues, alors même qu’il s’agissait, pour bon nombre d’entre elles, d’entreprises mortes, moribondes ou « zombies ». Ce nouveau terme peu délicat désigne des entreprises qui sont en réalité condamnées, mais qui survivent dans une situation d’extrême précarité (G. Teboul, Les entreprises zombies, Lexbase, éd. affaires n° 664, 4 févr. 2021). Il est encore trop tôt pour indiquer le nombre d’entreprises moribondes ou « zombies » ayant bénéficié des aides gouvernementales qui ont permis de prolonger indûment leur existence, ce qui fausse la concurrence et est malheureusement inutile, dès lors que l’acharnement thérapeutique sur une entreprise déjà morte est inutile et consomme de l’argent en pure perte.
Des outils permettant de déterminer les entreprises éligibles à la prévention et au sauvetage doivent être affinés. Ces outils ne sont pas évidents. Si l’on se réfère aux critères pratiques habituels, il s’agit de la capacité d’une entreprise de reprendre rapidement une activité rentable avec des produits adaptés au marché et susceptible de maintenir son activité d’une manière crédible.
Pour l’État, la réflexion est un peu différente car il s’agit de préserver un tissu économique et donc de concentrer son aide sur certains secteurs préalablement désignés (par exemple, l’aéronautique) ayant un caractère stratégique ou encore des entreprises qui ont un intérêt technologique, stratégique ou « vert », c’est-à-dire ayant un intérêt dans le cadre de la défense de l’environnement que le gouvernement souhaite actuellement privilégier. Tout ceci a déjà été développé à l’occasion de la loi Pacte du 22 mai 2019 sur les finalités d’intérêt général d’une entreprise. Il ne s’agit plus seulement d’œuvrer pour permettre aux actionnaires de gagner le plus d’argent possible mais de prendre en compte l’intérêt commun, c’est-à-dire celui des fournisseurs, des associés, du dirigeant conjugué avec celui des salariés et même du marché. Ces principes vertueux contrôlés ont vocation à se développer et Bercy est sensibilisé par cette démarche en accordant des « prêts verts » à des entreprises ciblées.
En l’état, il conviendra de faire savoir d’une manière simple et claire dans quelles conditions les aides peuvent être utilisables, sous la première condition que l’entreprise soit viable et que cette viabilité soit vérifiée.
À cet égard, les mandataires ad hoc et conciliateurs désignés par les présidents des tribunaux de commerce ont recours habituellement à un audit vérifiant rapidement la viabilité des entreprises concernées et leur capacité de remboursement. C’est cet audit qui sert de socle aux négociations sur la base d’informations validées et vérifiées préalablement. Si l’entreprise a le temps et les moyens de recourir à la prévention, cet audit devrait donc permettre de légitimer son sauvetage. C’est donc la prévention qu’il faut favoriser car l’audit ne peut avoir lieu qu’avec la coopération du débiteur qui fournit les éléments indispensables et c’est dans le cadre de la prévention que cette coopération est la plus souhaitable.
Il serait possible d’élaborer pour les plus petites entreprises des « packs prévention » dont la première phase serait financée par les régions ou par l’État, ce qui se pratique déjà dans certaines régions. Un préaudit peut en effet permettre de valider rapidement la viabilité d’une entreprise.
2. Il faut ensuite mettre au point les outils de traitement de la dette à l’aune des moyens dont l’entreprise dispose. Il convient de favoriser au maximum la prévention, d’une part, en supprimant le verrou de l’absence de cessation des paiements qui peut poser problème en l’état et compte tenu de la crise. La présence de plusieurs inscriptions de privilèges ou de cotisations impayées ne devrait pas être un frein à la prévention, d’autant que les collectivités publiques sont plutôt compréhensives sur l’octroi de délais. Il est plutôt nécessaire de favoriser rapidement un diagnostic global pour connaître réellement la situation de l’entreprise.
L’entreprise dont la viabilité aurait été préalablement vérifiée pourrait bénéficier d’un soutien complémentaire de l’État pour participer aux frais de mission de mandat ad hoc ou de conciliation afin de favoriser la conclusion d’un accord et l’adaptation du passif aux capacités de remboursement vérifiées.
Le règlement de la dette
Dans le cadre de la prévention, la question posée est de savoir comment une entreprise va pouvoir rembourser sa dette. Actuellement, les solutions envisagées consistent à remettre à plus tard le remboursement de la dette avec la possibilité de rééchelonnements, d’allongements des délais initialement prévus notamment sur les prêts garantis par l’État. Il faudra bien cependant affronter « le mur de la dette » et considérer que sur une période où l’activité a cessé ou diminué très largement, le passif qui aura été créé dans de telles conditions ne pourra vraisemblablement plus jamais être remboursé. L’entreprise devra en effet mobiliser ses forces et sa trésorerie pour reprendre une activité normale et elle n’aura sans doute pas la capacité de faire face au règlement de tout le passif. Dès lors, quel serait le pourcentage acceptable d’abandon des créances de l’État pour éviter un sinistre plus important encore sur l’emploi et sur la fiscalité en général ?
Cette réflexion pourrait donner lieu à des solutions modulées en fonction de la grandeur de l’entreprise, de sa pertinence sur son marché, de l’appartenance à un secteur économique donné et, bien entendu, il faudrait vérifier que le comportement du dirigeant n’a pas démérité, ce qui pourrait se passer dans le cadre de l’audit prévention.
Des prêts participatifs accordés par des opérateurs privés soutenus par l’État pourront intervenir. L’État recherche aussi, via la banque publique d’investissement (BPI) ou par d’autres moyens, la possibilité d’aider à reconstituer les fonds propres des entreprises non condamnées pour leur permettre de poursuivre leur activité. La perspective de pouvoir en bénéficier plus facilement serait une aide à la prévention. Pourquoi ne pas faciliter l’octroi de PGE en passant par la prévention pour les entreprises viables ?
Sur la notation, des progrès sensibles ont été faits en permettant aux dirigeants de retrouver une notation normale après une durée réduite. Ne serait-il pas possible de lui permettre d’obtenir rapidement une notation à nouveau satisfaisante, après que sa responsabilité a été écartée sur les causes de la défaillance ?
À cet égard, le tribunal pourrait, après l’examen de la situation de chaque dirigeant, rendre un jugement pour indiquer que sa responsabilité n’est pas mise en cause. Cela lui permettrait donc d’obtenir une note favorable lui permettant de reprendre d’autres activités.
Le traitement social
Si l’on admet que seules les entreprises qui peuvent reprendre rapidement une activité bénéficiaire doivent être sauvées, il faudra aussi admettre que bon nombre d’entre elles sont déjà mortes ou condamnées et il faudra se préoccuper de la situation de leur dirigeant. Il s’agit le plus souvent, de microentreprises n’ayant pas ou peu de salariés et c’est en fait le sort du dirigeant qu’il faut traiter, celui-ci n’ayant souvent pas des droits au chômage. S’il n’a aucune perspective de reconversion, il sera tenté de prolonger la vie de son entreprise, pourtant condamnée. Que peut-on offrir à ces dirigeants qui n’ont pas démérité et qui sont acculés à des situations désespérées ?
Il serait sans doute plus réaliste de leur permettre de reprendre rapidement, après que leur responsabilité a été écartée dans la défaillance de l’entreprise, une activité. Pour cela, et compte tenu de son manque de moyens, c’est sans doute le statut d’autoentrepreneur qui sera le plus adapté (sur ce statut, v. X. Delpech, Auto-entrepreneur, micro-entrepreneur, 5e éd., Delmas express, 2020). Or ce statut est actuellement beaucoup trop complexe même si une communication optimiste a laissé penser que le nouveau dirigeant bénéficie d’avantages fiscaux et des simplifications.
Jusqu’à un seuil qu’il faut déterminer clairement, le dirigeant doit bénéficier d’une fiscalité réduite avec une capacité d’embauche dans des conditions favorables. Il devra être aidé tant pour sa formation que pour la construction d’un nouveau projet dans un secteur qui aura été estimé favorable et le gouvernement peut à cet égard jouer un rôle tout à fait positif, dans le prolongement des initiatives déjà prises, notamment au niveau régional.
Une étude de marché permet en effet de déterminer les secteurs auxquels les nouveaux dirigeants ont vocation à s’intéresser.
Un nouveau redressement judiciaire
Depuis plusieurs années, des discussions ont lieu sur la nécessité de créer un droit spécifique adapté aux PME/TPE. Nous savons en effet que la prévention concerne fort peu de petites PME qui n’ont pas les moyens d’y recourir, car elles sont souvent mal ou peu informées et s’y prennent trop tard. Cela pose la question d’une véritable incitation à recourir à la prévention, notamment en exonérant partiellement la responsabilité du dirigeant qui la déclenche, en lui donnant accès à des aides et en lui ouvrant plus facilement du crédit. En effet, un PGE ou un financement participatif devrait pouvoir être offert au dirigeant dont la validité de l’entreprise aura été vérifiée, pour lui permettre d’accompagner sa reprise d’activité.
Le corollaire est de faciliter la procédure du redressement judiciaire qui deviendrait le prolongement naturel de la prévention dans certaines hypothèses :
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le prepack cession, préparé en prévention aurait pour vocation de déboucher sur une cession très rapide après l’ouverture du redressement judiciaire. Il faudrait à cet égard mieux aménager ce prepack cession, notamment sur l’information due au parquet afin qu’il puisse vérifier que l’appel d’offres a bien été loyal et complet et qu’il soit associé à ce processus, même en prévention ;
- le prepack plan devrait permettre de préparer un plan de continuation pendant la période de prévention en déterminant les conditions dans lesquelles, sans léser abusivement les créanciers, un tel plan pourrait être homologué aussitôt après l’ouverture du redressement judiciaire.
Ces procédures ont l’avantage d’être rapides et si elles sont bien préparées, de déboucher sur des solutions optimales pour l’entreprise qui n’aurait pas à subir, après l’homologation d’un plan de continuation, la charge d’une procédure collective.
Il faudrait en outre permettre un jumelage entre les fonds d’investissement et les organismes financiers patronnés par l’État. L’État a en effet besoin de leviers dans le secteur privé pour accompagner ces aides et pouvoir les justifier.
Ce volet pourrait déboucher à terme sur la constatation que des profits peuvent être réalisés sur des entreprises antérieurement en difficulté, ayant une véritable capacité de rebond et de respect de leurs engagements. Le gouvernement met au point des outils permettant de drainer l’épargne vers le financement d’entreprises en difficulté. Pour cela, l’épargne doit bénéficier d’incitations fiscales suffisantes et sécurisées dans la durée.
La liquidation
La liquidation judiciaire devrait être assouplie en prévoyant d’une manière plus claire les conditions dans lesquelles l’activité peut être poursuivie en liquidation et en favorisant, dans ce cadre, la cession des actifs sans restriction, notamment en matière sociale. Les blocages qui existent actuellement devraient être réduits pour faciliter la fluidité de ces procédures dont on peut craindre, dans les mois qui viennent, un développement très rapide. Il convient donc d’en simplifier le fonctionnement.
Au titre des sanctions, il va falloir mettre au point de nouveaux critères car la force et l’importance de cette crise devraient permettre d’exonérer largement la responsabilité des dirigeants même si leur difficulté était un peu antérieure. En effet, cette crise était imprévisible et irrésistible et il convient sans doute de faire preuve de plus de compréhension pour permettre au dirigeant de reprendre une autre activité le plus rapidement possible et de faciliter son rebond.
Bien entendu, les comportements les plus graves continueraient d’être sanctionnés. Cette crise est aussi sans doute une occasion pour clarifier les principes régissant la sanction qui sont actuellement peu satisfaisants.
L’appréciation du caractère proportionné de la sanction à la faute devrait en effet devenir la règle, l’appréciation de la négligence mieux comprise et mieux définie. La notion de faute de gestion devrait en outre répondre à des principes clairs tels que la mise en danger de l’entreprise, en faisant la part des informations dont on dispose a posteriori et dont le dirigeant ne disposait pas à l’époque. La sécurité juridique en serait ainsi renforcée car il est actuellement bien difficile de prendre le risque d’entreprendre.
La mise en place de ces réformes est d’autant plus envisageable que nous sommes dans une période d’accalmie des carcans bureaucratiques du droit communautaire des aides d’État aux entreprises, ces institutions ayant compris qu’il fallait assouplir en temps de crise des critères trop restrictifs. C’est peut-être une occasion de desserrer l’étau des règles communautaires en introduisant une réflexion plus durable et plus favorable à la préservation de notre tissu économique déjà bien abîmé.
Certes, ces idées sont une ébauche et d’autres idées pourraient encore être envisagées pour compléter ces analyses. Il paraît cependant nécessaire, dans un premier temps, de vérifier le socle sur lequel nous pourrons avancer.