Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Le droit en débats

La nouvelle loi anti-squat

Ou comment décevoir un peu plus encore les propriétaires/bailleurs au prétexte d’améliorer leur triste sort, lorsque leur droit de propriété est bafoué !

Par François de la Vaissière le 06 Janvier 2023

Nous pensions avoir épuisé notre insatisfaction lors de la modification du code des procédures civiles d’exécution visant, à l’occasion de l’examen en 2020 de la loi ASAP (Accélération et simplification de l’action publique), à mieux réprimer les violations sauvages de domicile, mais le Parlement s’est saisi à nouveau ne serait-ce que parce que le texte antérieur était malencontreusement amputé d’un élément essentiel par la censure du Conseil constitutionnel pour cause de cavalier législatif. La loi a été adoptée en première lecture le 2 décembre 2022 et transmise au Sénat qui l’examinera à partir du 31 janvier 2023. La proposition de loi n° 45 du député Kasbarian visait essentiellement à supprimer la flagrante anomalie que constituait l’inégalité des peines frappant respectivement le propriétaire tentant de reprendre manu militari possession de son bien squatté et le responsable de cette intrusion illégale dans la propriété d’autrui. On se souvient du retentissement médiatique causé par « l’affaire Kaloustian à Théoule-sur-Mer » à l’occasion de laquelle l’opinion publique s’était fortement émue qu’il ne puisse être mis fin rapidement à de tels excès venant d’individus plus ou moins marginaux. Le renouvellement quasi-incessant de ce type d’incidents a conduit en outre à étendre le champ d’application de la précédente et bien peu efficace législation, en assimilant en quelque sorte l’occupant simplement indélicat au squatteur dépourvu de tout titre pour tenter à la fois d’éviter le maintien prolongé dans les lieux du preneur évincé pour cause d’impayés de loyer, et de mettre fin à ce scandale persistant de l’occupation d’un immeuble par voie de fait à l’occasion d’une absence du légitime propriétaire, qu’il s’agisse d’une résidence principale ou secondaire (du fait des insuffisances de la notion de domicile excluant ce qui n’est pas le principal établissement).

C’est un peu mélanger la chèvre et le chou tant les situations diffèrent, puisque l’un – le squatteur – est un intrus indésirable qui s’approprie l’usage d’un bien sur lequel il ne dispose d’aucun droit quelconque, et l’autre – le preneur défaillant voire expulsé pour inexécution de ses obligations contractuelles – a bénéficié initialement d’un juste titre, mais se trouve pour diverses raisons exposé à l’ire de son bailleur. Rien de commun en effet, si ce n’est que dans les deux cas, le bailleur auquel on interdit strictement de se faire justice lui-même (et ce n’est pas à tort qu’on écarte une justice privée dans une société civilisée) doit affronter les affres du parcours judiciaire pour reprendre possession, avec moult gaspillage de temps et d’argent, plus personne n’ignorant aujourd’hui à quel point cet exercice est odieux et demeure incompris de ce malheureux justiciable. Aussi, lorsqu’il découvre qu’il est deux fois plus sévèrement puni pénalement lorsqu’il cherche à se débrouiller afin de récupérer son bien que ne l’est l’auteur de l’intrusion, l’incompréhension est à son comble.

Ainsi, l’auteur de la proposition de loi a-t-il eu le grand mérite de s’atteler à la tâche, mais ne s’est-il pas égaré en route, en livrant un corpus de règles nouvelles bien peu appropriées, en ce qu’elles n’abordent pas la vraie problématique, déjà mise en lumière par le relatif échec de la loi précédente présentant le même écueil ? Rappelons simplement que cette dernière instituait un mécanisme extra-judiciaire, confié au préfet du département et lui permettant de faire intervenir les forces de l’ordre très rapidement après sa saisine sur présentation par le propriétaire d’un titre de propriété probant. Mais l’expérience a prouvé que le pouvoir quasiment discrétionnaire du représentant de l’État l’amenait à temporiser voire à s’abstenir sur la base du trouble à l’ordre public que pouvait constituer par exemple l’évacuation sans relogement d’une famille démunie de ressources avec enfants en bas âge. On sait pourtant que le Conseil constitutionnel a clairement tranché le conflit supposé entre droit de propriété et droit au logement en faveur du premier et qu’il n’y a pas d’incertitude doctrinale à ce propos. Il fallait donc faire un nouveau pas en faveur du propriétaire pour lui assurer une protection effective sans paraître renier les idéaux de fraternité issus de la devise républicaine. Difficile conciliation dans un pays où les besoins de logement sont loin d’être couverts !

Les modifications du code pénal

L’occupation d’un local à usage d’habitation ou à usage économique devient frauduleuse lorsque celui qui s’introduit ou se maintient dans les lieux n’est pas contractuellement lié au propriétaire ou ne dispose pas d’un droit direct de propriété (ce qui exclut donc les indivisaires). L’article 315-1 nouveau du code pénal réprime de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende ce délit, à égal niveau de ce qui frappe le squatteur d’un tel local. Parallèlement le nouvel article 315-2 réprime de six mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende celui contre lequel existe une décision de justice définitive et exécutoire (accoler ces deux mots antinomiques n’a pas de sens, à moins de substituer ou à et !) avec un délai de deux mois depuis un commandement régulier de quitter les lieux. Néanmoins, ce texte n’est pas applicable jusqu’à ce qu’il soit statué sur l’octroi de délais par le juge ou jusqu’à leur expiration, ainsi que lorsqu’il s’agit d’un logement social ou appartenant à une personne publique (ce qui discrimine le bailleur privé). Les peines de l’article 226-4 du code pénal sont aggravées (soit 3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende) lorsque l’introduction dans le domicile d’autrui s’opère à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte et la notion de domicile est précisée (local d’habitation meublé qu’on y habite ou non et que ce soit ou non une résidence principale). Un article 226-4-1 est consacré à la répression à hauteur de 3 750 € d’amende de la publicité ou propagande incitant à la commission des délits prévus à l’article 226-4. Enfin, se dire faussement propriétaire d’un bien immobilier pour le louer est puni à même hauteur que l’intrusion ou le maintien dans celui-ci par l’article 316-6-3 du code pénal. Étrangement, cette pratique qui s’est gravement généralisée tout en disculpant l’occupant tiers présumé de bonne foi n’était pas jusqu’alors spécifiquement répréhensible, si ce n’est au titre du délit redondant d’escroquerie.

Les modifications de procédure sous l’angle de la sécurisation des rapports locatifs

L’article 1244 du code civil est complété en ce sens que l’occupation sans titre d’un bien immobilier libère le propriétaire de l’obligation d’entretien vis-à-vis de l’occupant à qui se trouve transféré la responsabilité des dommages causés aux tiers (V. à ce propos notre commentaire sur les garde-corps qui illustre bien cette situation, Annales des loyers, nov. 2022, p. 60).

La loi ELAN du 28 novembre 2018 est modifiée en ce qu’il est mis fin à l’expérimentation de son article 29 sur la préservation des logements vacants par l’occupation de résidents temporaires.

L’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 régissant l’habitat principal est modifié pour imposer une clause résolutoire dans tout contrat de bail d’habitation : elle devient sous-entendue et n’a plus à être expresse comme la jurisprudence l’exigeait. La suspension de cette clause par le juge est revue dans ce même article pour permettre que le premier impayé de loyer y mette fin à l’instar du non-respect des modalités fixées pour se libérer de la dette. Le loyer courant doit être couvert intégralement, ce qui est une véritable innovation, assez exigeante pour le preneur en difficulté.

D’autre part, dans ce même article, le délai donné par un commandement pour payer la dette locative est réduit de deux mois à un seul mois, et le délai séparant l’assignation et l’audience est réduit de deux mois à six semaines. Tandis que la faculté d’octroyer des délais d’office disparait au profit d’une initiative du locataire, étant observé qu’il y a peu de chances pour qu’en pratique le juge confronté à une situation digne d’indulgence s’abstienne de demander au locataire s’il demande des délais, ce qui neutralise de facto ce changement assez théorique !

Diverses mesures affectent le diagnostic social et financier du locataire défaillant, sa mise à jour et sa transmission à la Commission de coordination des actions de prévention des expulsions (CCAPEX).

Le code des procédures civiles d’exécution est modifié pour introduire la mauvaise foi de la personne expulsée, et en ce que les délais octroyés par le juge au titre de son article L. 412-3 sont réduits pour leur durée maximale de trois ans à un an.

Examen critique des nouvelles dispositions

Il n’est aucunement porté remède aux incertitudes relatives au rôle du préfet lors de la phase administrative d’évacuation immédiate du squatteur qui lui est signalé ; cela précarise fortement le recours à cette méthode qui, sur le papier, paraissait enfin éviter les atermoiements d’une action judiciaire longue et coûteuse. Surtout n’est nullement décisive la répression pénale accentuée de l’ensemble des comportements frauduleux à l’occasion d’un squat. Il est d’évidence que les personnes susceptibles d’être mises en cause sont presque toujours des personnes dépourvues de moyens propres d’existence de sorte que leur insolvabilité paralyse toute sanction de nature pécuniaire tandis que les peines de prison se heurtent à la fois à la notoire absence de places disponibles et à la propension naturelle des juges à renoncer à incarcérer des familles misérables. Nos législateurs devraient réaliser avec lucidité et réalisme que ce traitement des infractions ne changera ni l’ampleur ni la répétition des intrusions illégales. De même les mesures procédurales limitées ne sont en rien aptes à maitriser le phénomène, car la tentation restera forte pour les intéressés de s’approprier facilement un logement provisoirement inoccupé et a fortiori vacant avec l’espoir d’une impunité que justifie leurs déboires. À vrai dire la seule chose qu’il fallait réglementer pour obtenir des résultats réels, ce qui est aussi ce que la victime de ces faits souhaite avec ardeur, c’est de reprendre possession immédiatement et légalement des lieux squattés hors de tout processus judiciaire, et sans frais. Le quidam confronté à cette catastrophe aléatoire et terrible ne se fera aucune illusion sur la portée de cette nouvelle et inutile réglementation. Il n’aspire qu’à une assistance immédiate de la police pour expulser les occupants avant qu’ils n’aient profondément dégradés les locaux, comme c’est presque toujours le cas de la part d’auteurs qui constatent qu’ils ne seront pas dérangés avant longtemps et qu’au pire on préférera les reloger aux frais du contribuable. Il est même supposé que dans bien des cas l’intrusion ne soit instrumentalisée pour obtenir ou accélérer ledit relogement. On n’est donc pas dans le bon registre pour dissuader ces comportements délictueux, puisqu’à l’évidence la seule dissuasion efficace consiste à ancrer dans l’esprit des auteurs qu’ils seront instantanément délogés.

Quant aux rapports locatifs, depuis belle lurette déséquilibrés en faveur des locataires pour de basses raisons électoralistes, ils ne seront guère améliorés par l’existence ou l’absence d’une clause résolutoire dans le contrat dès lors que celle-ci renvoie le bailleur à un processus obscur dont il sait bien qu’il n’apportera en tout état de cause aucune solution rapide et sûre. Par ailleurs, la correctionnalisation du maintien dans les lieux du preneur expulsé n’est en aucune manière de nature à favoriser le bailleur, qui se trouve ainsi renvoyé nolens volens vers un processus judiciaire pénal qu’il a justement la ferme intention d’éviter. Autant dire que cette loi en gestation n’est qu’un coup d’épée dans l’eau et que pour la sauver, il faudrait que le Parlement réalise avant l’achèvement du parcours législatif en cours que les sanctions pénales ne sont dans ces circonstances que des épouvantails à moineaux, puisqu’elles visent des personnes désespérées ou mal intentionnées qui par définition resteront insensibles à un éventuel retour de bâton qui mettra des années à se concrétiser et que le bénéfice/risque à se maintenir est bien vite arbitré !