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Le droit en débats

Politique du logement : l’impasse

Par François de la Vaissière le 24 Septembre 2018

On n’a le choix qu’entre des vérités irrespirables et des supercheries salutaires
Cioran

Alors que la loi ELAN révèle l’étendue exacte des réformes du quinquennat en la matière, force est de s’interroger sur leur portée limitée, et surtout sur le sort général fait à l’immobilier, de nature à justifier le pire pessimisme pour le futur du secteur.

Le constat est désespérant pour l’investisseur immobilier et, par ricochet, par l’utilisateur qui doit loger sa famille et/ou préserver son épargne : ce domaine fait l’objet d’une surtaxation dissuasive délibérée, le prix du foncier connaît une hausse ininterrompue, déconnectée du prix des loyers que les pouvoirs publics tentent (en vain) de maintenir au niveau du pouvoir d’achat réel des ménages de plus en plus stagnant, le déséquilibre de ces loyers en zones urbaines denses n’est pas maitrisé faute d’une offre locative suffisante, le tout alors que le diagnostic de ces phénomènes par leurs connaisseurs est fait depuis des décennies mais sans aucune prise sur les évènements, en dépit des alternances politiques qui devraient permettre d’expérimenter les diverses solutions possibles et de réorienter les remèdes.

Parallèlement, il est toujours aussi difficile de construire en France, le bâtiment croulant sous le poids des innombrables normes, du manque de foncier disponible, de l’invraisemblable complexité du droit de l’urbanisme et des paralysies qu’il entraîne, du trop lent traitement des procédures contentieuses.

L’extraordinaire réactivité de la pratique, qui tente de jouer l’innovation face à ces blocages, est impuissante car la volonté de contourner l’envahissement de l’ordre public se heurte rapidement à une reprise en mains, le meilleur exemple récent en étant l’étouffement en règle des « meublés touristiques » qui ont un temps profité de l’absence de règlementation pour créer une activité rentable tout en satisfaisant des besoins criants issus de l’évolution des modes de vie contemporains. La liberté du commerce dans une ère hyper-mondialisée est devenue un concept vide de sens, l’inflation législative ayant consolidé une ambiance orwellienne où l’État omniprésent intervient constamment pour maintenir son omnipotence, dans la méfiance de toute solution libérale susceptible de lui enlever une once de pouvoir séculaire.

Faisons l’état des lieux. 

La fiscalité

Un seul chiffre suffit à situer la question : l’immobilier rapporte à l’État 74,4 milliards d’euros, alors que l’impôt sur le revenu lui rapporte 77,6 milliards. Propriétaires et locataires sont donc les nouvelles vaches à lait de l’ère Macron et, pour en prendre conscience, rappelons quelques données qui pèsent sur l’investisseur : si l’on désire louer, les revenus fonciers sont taxés au barème progressif de l’impôt sur le revenu et donc jusqu’à la tranche maximale de 45 % en taux marginal à laquelle s’ajoute 17, 2 % de CSG et assimilés, globalement dans ce cas à hauteur de 62,2 %, autant dire presque les deux tiers si l’on tient compte des frais de gestion. Si le contribuable veut vendre, pour faire cesser une ponction confiscatoire, et puisque dans cette hypothèse il n’est pas exonéré de plus-values, ne s’agissant pas de sa résidence principale mais d’un bien dit « locatif », il subit une taxe (avec une surtaxe si l’imposition dépasse 50 000 €) de 19 % + 17,2 % avec prélèvements sociaux, soit 36,2 %. S’il conserve le bien, sans louer ni vendre, le contribuable s’expose d’abord à la taxe annuelle sur les logements vacants (jusqu’à 25 % de la valeur locative du bien dès la deuxième année). 

À ces impositions s’ajoutent les impôts locaux, taxe foncière et taxe d’habitation (cette dernière supposée disparaître à quelques années d’échéance mais avec pour contrepartie son maintien majoré pour les résidences secondaires et les biens locatifs, les communes ayant vocation à surtaxer avec une grande liberté, ce qu’elles ont commencé à faire largement en majorant jusqu’à 60 % le taux de base, variation autorisée). Ce prélèvement supplémentaire de la fiscalité locale représente souvent un à deux mois de revenu moyen d’un particulier à la même échéance que le solde de l’impôt sur le revenu. En outre, tout détenteur d’un bien immobilier sous toutes ses formes doit régler l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) qui a succédé à l’impôt sur la fortune (ISF) et ponctionne – à partir de 800 000 € de patrimoine, à supposer que le seuil de 1 300 000 € soit atteint après déduction des dettes (et avec un abattement de 30 % s’il s’agit de la résidence principale) – un pourcentage variable selon les tranches de 0,50 % à 1,50 %. Enfin, certaines formes de mise en location, notamment en meublé touristique de courte durée à une clientèle de passage, sont soumises aux cotisations sociales sur les produits et à des amendes considérables (50 000 € par infraction aux règles récentes imposant le changement d’usage si l’on ne se trouve pas dans l’hypothèse d’une mise à disposition de sa résidence principale cent vingt jours par an au plus). Les conditions de ce changement d’usage par les compensations que constitue le retour vers le logement de surfaces affectées aux activités commerciales sont tellement draconiennes qu’elles sont hors d’atteinte.

Manifestement, l’immobilier est taxé déraisonnablement quand on sait que, parallèlement, les gains des placements financiers sont astreints à un plafond de 30 % dans l’option pour le prélèvement forfaitaire unique (PFU), prélèvements sociaux inclus et peuvent supporter un taux bien moindre au barème progressif pour les bas revenus, et que ces placements sont dispensés d’impôt sur la fortune. Menacé de réquisition, celui qui voudrait s’abstenir de mettre un bien locatif dans le circuit sera dans l’arsenal actuel autrement pénalisé, tandis qu’il devra supporter les charges fixes et l’entretien.

La législation (en son volet locatif) et la réponse contentieuse

En dépit de certaines réformes, pas toujours heureuses (et l’on pense aux lois ALUR et Macron ayant massacré la loi du 6 juillet 1989 qui perdurait depuis un quart de siècle à la satisfaction quasi générale, l’investisseur immobilier se trouve depuis le précédent quinquennat confronté à une invraisemblable insécurité ayant des causes multiples et des effets cumulatifs. S’additionnent en vérité l’existence d’une multitude de textes éparpillés, quelquefois inintelligibles ou pour le moins peu accessibles au profane, un traitement judiciaire scandaleux de l’impayé de loyer permettant au locataire de mauvaise foi de se maintenir dans les lieux pendant de longues durées sans même acquitter ses obligations, une législation fiscale hermétique qui change sans arrêt et ne permet plus une stratégie patrimoniale correcte, des lacunes jamais corrigées du statut du locataire en secteur réglementé (inexplicablement, hors zones tendues, le locataire ne dispose pas d’une réciprocité de droits lors du renouvellement puisqu’il ne peut abaisser un loyer excessif, voire abusif, tandis que le bailleur peut réévaluer un loyer manifestement sous-évalué), une ingérence de l’exécutif dans le parcours parlementaire au mépris de la séparation des pouvoirs (le Conseil d’État ayant fini par annuler la pratique gouvernementale consistant à vider la loi de sa substance en la modifiant de façon informelle ou en bloquant les textes votés faute de décrets d’application – par exemple la garantie universelle des loyers jamais abrogée mais jamais mise en œuvre), etc.

Le découragement de l’investisseur immobilier le conduit logiquement à des pratiques de contournement des textes incompris ou jugés discriminatoires, voire à des manœuvres clandestines ou simplement illégales pour échapper au déséquilibre des droits reconnus aux bailleurs par rapport à un locataire dont la vulnérabilité supposée a conduit les mandatures successives à une surprotection législative dans la plupart des domaines, frôlant l’iniquité. Avant son annulation par la justice administrative, l’encadrement des loyers en demeure une excellente illustration, sachant que seul un bailleur parisien sur deux en respectait les contraintes.

L’encadrement des loyers et les fausses espérances de la loi ELAN 

Mesure technocratique par excellence, elle a consisté à résoudre une « vérité irrespirable » par une « supercherie salutaire », ce qui justifie que nous ayons placé cette citation du philosophe Cioran en exergue de notre réflexion. Faute de pouvoir maîtriser la tendance haussière des loyers, qui trouve sa source quasi unique dans la pénurie d’offre locative en zones tendues qui ne peut être combattue qu’en facilitant la construction de logements à la mesure des besoins, les pouvoirs publics recourent à différents subterfuges pour empêcher les bailleurs de se comporter en terrain conquis et, ce faisant, vont jusqu’à monter en grande naïveté, à moins que ce ne soit en grande duplicité, des usines à gaz dans une perspective dirigiste et socialisante qui n’est plus admise dans notre société mondialisée.

On songe par exemple à la garantie universelle des loyers (GUL) votée en détail sous le ministère de Mme Duflot, mais se révélant une utopie inapplicable et un gouffre budgétaire tant il tombait sous le sens qu’un locataire impécunieux qui a du mal à boucler ses fins de mois à qui on explique que l’État va se substituer à lui pour payer son loyer ne se comporterait guère en débiteur scrupuleux et ponctuel.

C’était pourtant une grande idée généreuse car l’insolvabilité des locataires est un autre grand problème jamais résolu, et que l’on traite à rebrousse-poil puisqu’on limite le cumul des garanties au détriment des bailleurs, en aggravant leur infortune. L’encadrement est une solution miracle de même engeance : il est censé contenir les hausses en faisant du prix de marché une sorte de plafond permanent. Mais on a truqué le thermomètre pour faire baisser la fièvre puisque le système ne peut qu’aboutir à l’autodestruction des prix de marché, dans la mesure où le préfet est supposé s’aligner sur les références collectées à grands frais par des observatoires, alors que quand le dispositif aura fonctionné quelques années, ce haut fonctionnaire ne pourra qu’appliquer avec innocence les prix administratifs qu’il aura fixés autoritairement l’année précédente, puisque ces prix seront les seuls licites dans son secteur géographique ! Impossible d’éviter d’admettre que l’observatoire n’aura plus rien à observer dans ces zones tendues où ne subsisteront que des prix administratifs reconduits d’une année sur l’autre.

La loi ELAN va prolonger de cinq ans l’expérimentation (décidée illégalement par Manuel Valls en la confinant à Paris et Lille) sur la base du volontariat des métropoles, mais sans modifier substantiellement les dispositions de la loi ALUR ni supprimer ses aberrations (telles que ne permettre au bailleur un rattrapage du loyer insuffisant qu’à hauteur maximale du loyer médian minoré de 30 %, alors que le preneur qui veut agir en sens inverse ne se heurte à aucun seuil plancher pour diminuer son loyer dépassant le loyer médian majoré de 20 % !). Il est consternant que le texte qui sortira de la commission mixte paritaire pour l’encadrement puisse être, quelquefois à la virgule près, celui de la loi ALUR, ce qui implique qu’on n’ait tiré aucune conclusion des anomalies stigmatisées par les praticiens et la doctrine depuis plus de quatre ans.

L’ultime sanction de la hausse du prix des biens immobiliers 

Le citoyen se trouve affligé, au surplus, de façon considérable par la baisse de pouvoir d’achat que traduit la conjonction d’une non-réévaluation des barèmes fiscaux (pour l’IFI, le seuil en est fixé depuis des années au même montant, ce qui permet indirectement mais insidieusement d’élargir le cercle des assujettis) et d’une hausse continue et durable des valeurs vénales urbaines en dépit d’une inflation prétendument inexistante. L’effondrement du système prédit par certaines cassandres ne s’est certes pas produit du fait du maintien d’une demande excédentaire et de taux d’intérêt très bas, mais l’accès au logement décent des ménages s’en trouve grandement affecté, les renvoyant à la périphérie des métropoles ou à l’allongement excessif de la durée des emprunts bancaires.

Cette hausse irrationnelle des prix, notamment à Paris, permet de conclure que la trop forte ponction fiscale sur l’immobilier ne lui profite pas puisque le critère de rareté autonomise le secteur, quelles que soient les politiques gouvernementales. Certes encore la survivance de l’exonération des plus-values pour la résidence principale épargne pour ceux qui ont pu s’en rendre propriétaires la douloureuse contrepartie du gain en capital, mais rien ne dit qu’elle persistera, d’autant que revient périodiquement le serpent de mer de la taxation supplémentaire de ce capital par l’instauration d’un prélèvement progressif sur le revenu locatif fictif des possédants occupants par eux-mêmes, degré suprême de l’hypocrisie fiscalo-étatique.

On doit donc conclure, en observateur sensé, que la paradoxale bonne santé du marché illustrée par la hausse notable et inattendue des transactions immobilières contemporaines repose sur des bases artificielles et que surviendra tôt ou tard une paralysie par asphyxie, car, comme l’a établi le fameux « tunnel de Friggit » démontrant l’écart de plus en plus marqué entre l’évolution comparée des prix du foncier et de ceux des loyers, rapportés au revenu moyen des ménages, il n’est pas possible de faire coexister économiquement dans une société ouverte des loyers stagnants (au besoin par l’effet des divers plafonnements institués cumulativement par l’exécutif) et des prix d’acquisition de l’outil locatif ne cessant d’évoluer à la hausse, sans autocorrection du marché ou sans incidence d’une politique gouvernementale sérieuse pour la réduire.

Chacun sait en effet que la désolvabilisation déjà sensible des ménages les plus défavorisés pouvant résulter d’une hausse mondiale des taux, et l’arrivée d’une nouvelle crise frappant la croissance, tout comme la survenance de risques géopolitiques majeurs, entraîneraient non pas une correction baissière des prix, mais bien au contraire leur explosion chaotique. Il est vain d‘espérer que de tels changements auraient un effet bénéfique en faisant affluer sur le marché une multitude de biens dormants, car les nantis sauront protéger leurs acquisitions, ne serait-ce qu’en les thésaurisant, et, comme d’habitude, les mesures protectrices tourneront au détriment de ceux qu’on est censé défendre contre l’adversité.

Contrairement à une idée reçue, le logement des catégories sociales les plus pauvres ne peut se satisfaire d’un secteur HLM notoirement insuffisant et se trouve assuré à plus de 50 % par le secteur privé, dont la détermination doit être soutenue pour maintenir une cohésion sociale mise à mal par la difficulté notoire à respecter les exigences légales de mixité ; ce pourcentage surprenant est démontré par l’analyse fine du fichier FILOCOM (fichier des logements par commune) qui intègre le revenu de l’occupant dans ses critères de classement.

Il est donc essentiel que le secteur immobilier (avec son partenaire obligé, celui du bâtiment) soit encouragé, notamment par un allégement de la pression fiscale multiforme ci-dessus mise en lumière, et que les modalités de fixation des loyers réglementés soient complétement réétudiées, pour ramener vers lui assez d’investissements pour inverser les courbes, et surtout pour combattre le fléau que serait la poursuite du mouvement que le professeur Mouillart (qui anime le réseau Clameur) a dit dans ses travaux statistiques craindre à l’avenir, celui d’une lente mais inéluctable dégradation du parc locatif faute d’entretien régulier, qui est la réponse la plus adéquate des bailleurs déçus ou révoltés face à ce qu’ils considèrent comme une injuste agression d’une élite dirigeante autiste à l’encontre de ce qui n’a cessé d’être « le placement favori des Français ».