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Actualité du droit des procédures collectives : loi de sauvegarde des entreprises et jurisprudence récente

Lors de la journée Dalloz du 13 juin 2008, M. Jean-Luc Vallens, magistrat et professeur associé à la faculté de droit de l’université Robert Schuman de Strasbourg, a décrit l’actualité du droit des procédures collectives, en abordant la réforme de la loi de sauvegarde des entreprises engagée par le gouvernement, et en illustrant la jurisprudence des derniers mois par quelques arrêts significatifs.

En droit positif, la loi de sauvegarde des entreprises est aujourd’hui appliquée depuis deux ans et demi par les tribunaux de commerce. Depuis 2007, est intervenu un décret du 15 février 2008 qui a modifié quelque peu la carte judiciaire en supprimant 55 tribunaux de commerce et en a créé 5 autres (D. n° 2008-146 du 15 févr. 2008). Un autre texte, le décret du 5 février 2007 relatif à la remise de dettes publiques a été définitivement validé par le Conseil d’État à l’occasion d’un recours concernant les artisans (CE 5 mai 2008, nos 304350 et 304458, Assemblée permanente des Chambres de métiers, D. 2008. AJ. 1406, obs. A. Lienhard ).

I. - La réforme de la loi de sauvegarde des entreprises

Le projet d’ordonnance portant diverses dispositions en faveur des entreprises en difficulté daté du 27 mars 2008 va modifier en profondeur, par plus de 150 articles le régime institué par la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005. Plusieurs commentaires ont déjà été publiés à son sujet (T. Montéran, Gaz. Pal. 23-24 janv. 2008, p. 3 ; H. Monsérié-Bon et C. Saint-Alary-Houin, La loi de sauvegarde des entreprises : nécessité et intérêts d’une réforme annoncée, D. 2008. Chron. 941 ; C. Lebel, Gaz. Pal. 27-29 avr. 2008, p. 3 , B. Soinne, Rev. proc. coll. 2008, n° 2, p. 9 ; A. Outin-Adam et C. Alexandre-Caselli, CCIP, D. 2008. Chron. 1540 ; J.-B. Drummen, RLDA 2008, n° 28, p. 19).

À la fois bilan intermédiaire et illustration d’une volonté politique de réforme, le projet d’ordonnance contient des mesures de nature et d’importance différentes : des orientations nouvelles clairement affichées accompagnées d’ajustements techniques.

  • Les orientations nouvelles

Chacune des procédures instituées par la loi de sauvegarde des entreprises bénéficie de retouches.

a) Une procédure de conciliation plus encadrée

La décision d’ouverture de la procédure de conciliation serait communiquée au ministère public, malgré les réserves que cela peut susciter. La procédure elle-même deviendrait caduque au bout d’un an si elle n’est pas suivie d’une demande d’homologation, ceci dans le but d’éviter le procédé consistant à prolonger la phase de conciliation bien au-delà des délais prévus. Il serait également interdit d’ouvrir une nouvelle procédure dans les douze mois qui suivent la clôture d’une première procédure de conciliation, là encore dans le but d’éviter des pratiques constatées dans certains tribunaux de commerce qui permettent que l’on enchaîne plusieurs procédures de conciliation, parfois séparées d’un mandat ad hoc … Enfin les parties pourraient bénéficier d’un droit d’appel contre le jugement d’homologation de l’accord en cas de contestation du privilège de « new money », ce qui paraît très critiquable et dénote un mélange des genres : le privilège n’a lieu d’être contesté que si une procédure collective est ouverte après l’échec du redressement par la voie de la conciliation.

b) Une procédure de sauvegarde plus attractive

Estimant trop faible le nombre de procédures de sauvegarde ouvertes par les tribunaux de commerce (500 procédures par an soit un peu plus d’1 % des procédures collectives), le gouvernement entend assouplir les conditions d’ouverture et inciter les dirigeants sociaux à y recourir. L’assouplissement des conditions d’ouverture se caractériserait pas une modification du critère : le débiteur n’aurait plus à justifier que de difficultés, sans que celles-ci soient de nature à le conduire à la cessation de paiements. Il nous semble que cet élargissement des conditions d’ouverture, qui ne serait pas assorti de mesures de précautions nécessaires, serait de nature à générer des abus et à perturber à l’excès la concurrence entre acteurs économiques. Il s’y ajouterait au surplus de grandes divergences d’appréciation entre les juridictions.

Plusieurs incitations sont également envisagées, cette fois marquées par un souci légitime de différenciation entre la sauvegarde et le redressement judiciaire. La procédure étant à la disposition du débiteur, différentes modifications sont proposées : l’inventaire devient facultatif ; la possibilité d’étendre une procédure à une autre entreprise du fait d’une confusion des patrimoines ou de la fictivité de la société prendrait fin ; l’administrateur n’aurait plus qu’une mission de surveillance : ce n’est que sur demande du débiteur - peu probable - ou du ministère public qu’il pourrait être chargé d’une mission d’assistance ; de même, prendrait fin la possibilité de remplacer les dirigeants ou d’ordonner la cession ou l’incessibilité des parts sociales ; le secret professionnel serait rétabli au profit du commissaire aux comptes ; l’administrateur judiciaire aurait de plus grandes facilités pour résilier les contrats en cours ; les créances postérieures au jugement d’ouverture seraient plus nombreuses à bénéficier du privilège, grâce à la suppression de la condition actuelle liant le privilège à l’objet (des fournitures ou prestations fournies pour l’activité professionnelle du débiteur) ; les créances visées aux contrats en cours et venant à échéance après l’ouverture de la procédure seraient payables conformément aux échéances contractuelles et non plus au comptant ; enfin la suspension provisoire des poursuites individuelles bénéficiant aux garants serait étendue à toutes les sûretés, même réelles.

Ces dispositions sont bienvenues et ancrent plus qu’avant la sauvegarde dans le champ de la prévention. Une autre modification également envisagée par le projet d’ordonnance est elle beaucoup plus contestable : elle consisterait à permettre au débiteur de céder l’entreprise dans le cadre d’un plan de sauvegarde. Une telle modification conduirait à contourner les règles relatives à la cession des fonds de commerce et à la garantie due aux acquéreurs et aux créanciers du cédant.

c) Un redressement judiciaire maintenu

Le gouvernement envisage de modifier la seule définition de la cessation des paiements, qui serait écartée si le débiteur démontre que des réserves de crédit ou des moratoires lui permettent de faire face à son passif exigible. Cette modification, qui sera saluée par les nombreux commentateurs, forts critiques à l’égard de la définition rigide de la cessation des paiements, consacrerait la jurisprudence de la Cour de cassation ayant intégré les réserves de crédit et les délais de paiement dans l’appréciation de la situation du débiteur en difficulté.

d) Une liquidation judiciaire clarifiée

Le projet d’ordonnance prévoit de permettre la poursuite des contrats en cours qu’il y ait ou non poursuite d’activité, ce que la loi actuelle ne distingue pas clairement. Il crée également une obligation au lieu d’une simple faculté, pour appliquer la liquidation judiciaire simplifiée, en dessous de seuils restant déterminés par voie réglementaire. Concernant le plan de cession, la cession ne serait plus limitée aux seuls éléments incorporels, lorsque le débiteur exerce une profession libérale réglementée, tenant compte là encore des critiques formulées contre la restriction introduite par la loi de sauvegarde des entreprises à cet égard (en ce sens, v. aussi Rép. min. n° 2060, JOAN Q 4 déc. 2007). Enfin, le gouvernement prévoit, dans le cadre d’une liquidation judiciaire simplifiée, de regrouper dans un même acte le projet de distribution des actifs et l’état des créances. Une telle modification, faussement simple, recèle une source de contentieux inépuisable dont les tribunaux aimeraient sans doute faire l’économie.

  • Les améliorations techniques

a) La composition et le fonctionnement des comités de créanciers se trouveraient clarifiées par le projet d’ordonnance en ce qui concerne les majorités requises (des deux tiers dans chaque comité), la détermination des créances existant au jour du jugement et l’abaissement du seuil requis pour rendre les fournisseurs membres du comité de créanciers. Enfin, la composition des comités serait clairement liée à la nature des créances et non plus à la qualité des créanciers, ce qui permettrait d’intégrer notamment les fonds d’investissement ayant acquis des créances. Par ces innovations, le législateur montre qu’il a écouté les enseignements de la pratique en particulier la mise en œuvre des comités de créanciers du groupe Eurotunnel.

b) En cas de résolution d’un plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire, une nouvelle procédure de redressement judiciaire deviendrait possible, par un assouplissement bienvenu du régime actuel qui ne permet que la liquidation judiciaire.

c) Le projet se propose également de rapprocher l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif de l’obligation aux dettes sociales, en soumettant les fonds recouvrés à un régime identique. Il est regrettable que le gouvernement n’aille pas au bout de cette orientation bienvenue, en supprimant purement et simplement l’obligation aux dettes sociales : ni les tribunaux ni la doctrine n’apprécient la difficile ventilation entre les deux types de responsabilité. Il est aussi prévu d’alléger les interdictions en ce qui concerne la cession des actifs de faible valeur (actifs mobiliers s’entend), lorsque ceux-ci peuvent être cédés aux proches du débiteur.

d) Par ailleurs, le projet d’ordonnance prévoit, comme à chaque réforme législative, un nouvel accroissement des pouvoirs du ministère public, tels que la communication au procureur de la République de la décision de nommer un mandataire, le droit d’appel contre le jugement d’homologation d’un accord amiable, et la faculté pour le procureur de la République de proposer lui-même aux tribunaux un administrateur judiciaire ou un liquidateur…

e) Enfin plusieurs dispositions, qui mériteraient de plus longs développements, s’efforcent de concilier la logique et la finalité de la procédure collective avec la loi du 17 février 2007 qui a institué la fiducie : le retour d’un bien transféré à un fiduciaire contre paiement deviendrait possible, le créancier fiduciaire pourrait revendiquer le bien lorsque le débiteur en conserve la détention, le transfert d’un bien dans le cadre d’un contrat de fiducie à titre de garantie ne serait plus interdit pendant la période suspecte que si la garantie portait sur des dettes antérieures, il est enfin précisé que les règles relatives aux contrats en cours sont inapplicables au contrat de fiducie et que le créancier fiduciaire ne participerait pas au comité de créanciers.

II. - Jurisprudence 2007-2008

  • Les...

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