Il a fait partie des quelques 2 500 Français qui, chaque année, s’adressent au garde des Sceaux pour faire changer leur nom de famille. Une démarche rarement prise sur un coup de tête. Il s’appelait Sami Vincendeau. Il s’appelle désormais Sami Redouane. Le second est le nom de son père, qu’il a tenu à substituer au premier, celui de sa mère, attribué à sa naissance par celle-ci qui voulait faire croire qu’elle seule élèverait l’enfant. « Elle a renvoyé mon père de la maternité en lui disant que ça leur permettrait de toucher l’allocation parent isolé », raconte-t-il. En réalité, les parents ne sont pas séparés et le père est bien présent. D’ailleurs, le fils aîné du couple a hérité de son nom. Sami ne portera donc pas le même patronyme que son frère jusqu’à ce qu’il apprenne, « vers 16-17 ans », qu’il peut faire une demande officielle de changement de nom. « Pour moi c’était un problème d’identité, je ne me sentais pas à ma place », raconte celui qui a grandi dans un quartier arabe de la capitale. « Je portais un prénom arabe avec un nom français dans un environnement totalement arabe. Mon corps se figeait dès que j’entendais quelqu’un prononcer mon nom, en classe ou dehors, car j’ai dû me faire contrôler 500 fois par les policiers. Je vivais mal que mes potes se fichent de moi ». L’adolescent veut « se débarrasser de ce nom pour se fondre dans la masse ». Quinze ans plus tard, il garde peu de souvenirs de la procédure, si ce n’est qu’« il n’y a eu aucune entrave, c’était très facile dans ce cas de figure, lorsqu’il s’agit de récupérer le nom du père ». Ses parents ont respecté son choix. Changer de nom a été « un soulagement comme prévu », se remémore-t-il. Il a en revanche conservé ses prénoms à savoir Sami Guillaume Kader. « Je le vis beaucoup mieux maintenant mais ça reste étrange le petit Guillaume au milieu », plaisante-t-il. À l’époque, il suffisait d’une déclaration conjointe des deux parents ou unique du seul parent du mineur devant l’officier de l’état civil du lieu de résidence de l’enfant. Aujourd’hui, la démarche se déroule comme pour les majeurs, par une requête en changement de nom adressée au garde des Sceaux. Doivent être fournies un certain nombre de pièces énumérées par le décret du 20 janvier 1994 : actes de naissance des personnes concernées, justification de la nationalité française, bulletin n° 3 du casier judiciaire, insertions de la demande au Journal officiel et dans un journal désigné pour les annonces légales dans l’arrondissement de résidence de l’intéressé. Dans le cas d’un mineur, la demande peut être uniquement présentée par les parents du mineur, un seul parent ou son tuteur (il faut dans ce cas l’autorisation du conseil de famille). Et il faut le consentement de l’autre parent, s’il exerce conjointement l’autorité parentale, ou du juge des tutelles dans le cas d’un désaccord. Si le mineur a plus de 13 ans, il doit donner son consentement personnel par écrit.
Contrairement à certaines idées reçues, les changements de nom et de prénom effectués par les personnes de familles issues de l’immigration ne sont pas majoritairement vers la francisation ou la substitution par un nom ou prénom français. C’est ce qu’explique le sociologue Baptiste Coulmont : « Dans les demandes de changement de prénom, on trouve beaucoup de personnes dont un des parents est né à l’étranger. Les mouvements sont aussi importants dans un sens que dans l’autre : vers la francisation comme vers le retour aux origines ». Et de citer un exemple : « il arrive qu’à 50 ans, certains souhaitent défranciser leur prénom. Il vaut mieux s’être fait appeler dans l’usage par le prénom qu’on demande ». Dans son livre Changer de prénom, de l’identité à l’authenticité, publié aux Presses universitaires de Lyon (2016), il explique que « changer de prénom est l’aboutissement d’un long processus, à la fin duquel l’identité civile des personnes correspond enfin à la représentation d’elles-mêmes ». Pour l’auteur, ces changements, tant pour le nom que pour le prénom, correspondent à un besoin de vérité et moins d’identité : « les gens savent très bien qui ils sont, ils ne cherchent pas à changer d’identité mais bien à la faire reconnaître ».