Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Reportage 

L’Office central pour la répression contre les violences aux personnes : thème majeur, moyens mineurs

Affaire Haenel, affaire Matzneff, affaire Epstein, disparitions de Sophie Le Tan, de Léa Petitgas… Quelques dossiers, médiatiques, parmi les dizaines de milliers reçus chaque année par l’Office central pour la répression contre les violences aux personnes (OCRVP), une structure dépendant de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), et créée en 2006 pour « faire face à la recrudescence des atteintes graves aux personnes constatées ces dernières années », selon le ministère de l’Intérieur. Enjeu national prioritaire, cette activité exponentielle repose donc en partie sur le travail de cet office, soit 80 policiers et gendarmes rodés à l’art de l’enquête, de l’audition, et de l’analyse criminelle. 

par Anaïs Coignacle 9 mars 2020

L’affaire Haenel et le traitement judiciaire des plaintes pour agressions sexuelles

« Adèle Haenel a changé d’avis sur le traitement de la plainte depuis qu’elle a rencontré notre service qui est vraiment spécialisé dans les crimes sexuels sur mineurs », atteste la capitaine de police Véronique Béchu qui dirige le groupe central des mineurs victimes, l’un des six services opérationnels que compte l’Office central pour la répression contre les violences aux personnes (OCRVP). Début novembre 2019, à l’issue d’une grande enquête de Mediapart, l’actrice française accusait Christophe Ruggia de l’avoir agressée sexuellement et harcelée alors qu’elle était âgée de douze à quinze ans et qu’il la faisait tourner dans son film Les Diables (2002). Elle refusait alors de porter plainte. « Je n’ai jamais pensé à la justice parce qu’il y a une violence systémique qui est faite aux femmes dans le système judiciaire, expliquait-elle sur le plateau du magazine en ligne. (…) Il y a tellement de femmes qu’on envoie se faire broyer, soit par la façon dont on va récupérer leur plainte, soit dans la façon dont on va disséquer leur vie et porter le regard sur elles, la faute c’est elles. »

Quelques jours plus tard, le parquet portait plainte, estimant l’action publique nécessaire dans cette affaire. Une enquête pour agressions sexuelles sur mineure de moins de quinze ans par personne ayant autorité et pour harcèlement sexuel était confiée à l’OCRVP, en particulier à ce service, incitant Adèle Haenel a finalement déposer plainte à son tour. « La justice a fait un pas, j’en fais un », confiait-elle à Mediapart. « Mon dossier est maintenant traité de manière idéale, avec des gendarmes et des policiers attentifs et bienveillants. Je souhaite ce traitement à toutes les victimes », déclarait-elle dans une interview au New York Times, le 24 février, quatre jours avant son départ précipité au milieu de la 45e cérémonie des Césars alors que le prix de la meilleure réalisation était attribuée à Roman Polanski, accusé de viols par plusieurs femmes. Elle rappelait néanmoins, fidèle à sa ligne de départ : « on a un système judiciaire qui ne fait pas des violences faites aux femmes sa priorité », évoquant « les grandes difficultés qui jalonnent le parcours d’une femme victime de violences sexuelles ».

Me Emmanuel Daoud, avocat dans des affaires de viols et d’agressions sexuelles, et représentant d’ECPAT, ONG de lutte contre l’exploitation sexuelle d’enfants basée à Bangkok (Thaïlande) et partenaire de l’OCRVP, confirme : « On sait que ce n’est pas parce qu’une plainte est déposée qu’elle sera traitée. On sait qu’on va devoir relancer le parquet dix, quinze, vingt fois jusqu’à ce que ça bouge et quitte à énerver le procureur. On sait que ça sera lent, sauf quand les violences ont été constatées médico-légalement ou qu’il s’agit de mineurs qui le sont encore. Et on prépare nos clients à cette réalité qui ne doit pas être une fatalité ». Selon le pénaliste, chacun fait une « balance avantages / inconvénients pour savoir si cela vaut vraiment le coup. Les enquêteurs le font tous les jours pour tous les dossiers ». 

« Ce n’est pas que la justice ne veut pas, c’est qu’elle ne peut souvent pas, commente Véronique Béchu. Souvent les faits sont prescrits, les preuves matérielles manquent et la loi française est faîte de manière à ce que le doute profite à l’accusé ». L’affaire Haenel, très suivie, aura au moins permis de faire davantage connaître le travail de l’OCRVP. Et de le faire reconnaître, comme l’attestent ses avocats de la comédienne, Yann Le Bras et Anouck Michelin : « notre cliente s’est rendue compte qu’elle avait affaire à des policiers et des gendarmes extrêmement professionnels et disponibles. L’audition était programmée sur cinq heures et s’est finalement terminée à 3h du matin (soit une durée de 12 heures, ndlr) pour que tout soit dit et consigné d’un seul tenant ». Une manière d’éviter aux personnes qui se présentent comme victimes l’épreuve d’auditions séquencées et répétées à divers interlocuteurs, et de faciliter le travail des enquêteurs. « Ce qu’elle en retient c’est qu’ils savent de quoi ils parlent, ce sont des enquêteurs spécialisés et leurs questions, extrêmement pertinentes, permettent de réveiller des souvenirs, ajoute Me Le Bras. Ils lui ont par exemple demandé de se remémorer les odeurs lorsqu’elle se trouvait chez M. Ruggia ». Plus globalement : « ils créent un climat de confiance dans une sphère compliquée parce qu’intime qui permet d’avoir un tableau très précis et de trier entre les gens qui mentent, qui extrapolent, qui en rajoutent, et ceux qui ne mentent pas ». L’enquête est toujours en cours après trois auditions au sein de l’office et notamment une confrontation avec Christophe Ruggia. « L’enquête est parfaitement menée, étape par étape. Et Adèle Haenel bénéficie de l’accompagnement de son entourage, de son psy et de ses avocats ». La...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :