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Affaire AGN avocats : le Conseil d’État maintient les dispositions de l’article 10.6.2 du RIN

Le Conseil d’État rejette la requête de la société AGN avocats tendant à l’abrogation par le Conseil national des barreaux des mots « à la plaque professionnelle située à l’entrée de l’immeuble où est exercée l’activité du cabinet et » visés à l’article 10.6.2 du RIN.

par Cathie-Sophie Pinatle 17 octobre 2018

Voici une nouvelle décision dans l’affaire opposant la société AGN avocats au Conseil national des barreaux (CNB). Cette société d’avocats se distingue par sa volonté de proposer aux justiciables une offre simplifiée, accessible et transparente. Concrètement, la société se déploie sur le territoire national grâce à un réseau de plusieurs agences franchisées. Ces agences, généralement situées dans des rues fréquentées, en rez-de-chaussée, exposent sur leurs vitrines leurs spécialités, affichent les tarifs forfaitaires pratiqués et proposent des services en ligne. Ces nouvelles formules bousculent les usages de profession et se heurtent parfois aux résistances de certaines instances ordinales fondées sur le règlement intérieur national de la profession d’avocat (ci-après RIN) tel qu’il est interprété par le Conseil national des barreaux. L’un des points majeurs de crispation réside dans l’affichage des domaines de spécialités sous forme de logos sur les vitrines de ces agences. Certains barreaux ont en effet fait valoir qu’en affichant des domaines de spécialité ne correspondant pas à des certificats de spécialisation « régulièrement obtenus par l’un des avocats de la structure » et délivrés par le CNB, ces agences ne se sont pas conformées à l’article 10.6.2 du RIN qui étend cette exigence à « la plaque professionnelle située à l’entrée de l’immeuble où est exercée l’activité du cabinet et aux cartes de visite ». Deux avis du CNB viennent au soutien de cette position puisque la Commission des règles et usages assimile les vitrines aux plaques professionnelles (CNB, Comm. RU, 16 mars 2015, avis n° 2015/002 et 5 février 2016, avis n° 2016-010). Les barreaux d’Aix-en-Provence, de Toulouse et de Limoges ont ainsi ralenti ou empêché l’ouverture de ces structures franchisées suscitant alors un contentieux devant les juridictions civiles, l’Autorité de la concurrence (v. Aut. conc., 18 juill. 2018, décis. n° 18-D-12 ; 21 sept. 2018, décis. n° 18-D-18, Dalloz actualité, 2 oct. 2018, art. C.-S. Pinat isset(node/192452) ? node/192452 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>192452) et désormais le Conseil d’État.

En l’espèce, la société AGN avocats a saisi le CNB d’une demande d’abrogation des mots « à la plaque professionnelle située à l’entrée de l’immeuble où est exercée l’activité du cabinet et » visés à l’article 10.6.2 du CNB. Face au mutisme du Conseil national, la société a saisi le 23 décembre 2016 la haute juridiction administrative d’un recours pour excès de pouvoir en annulation de la décision implicite de rejet et d’une injonction sous astreinte au CNB d’abroger ces dispositions litigieuses.

Le Conseil d’État, après avoir rappelé le cadre dans lequel s’exercent les missions du CNB, s’attache à répondre aux arguments de la requérante. La juridiction rejette les moyens dirigés contre l’article 10.6.2 du CNB « en tant qu’il régirait » les vitrines alors qu’il se limite à étendre « les règles relatives à la correspondance de l’avocat aux plaques professionnelles ». Ce rejet s’appuie sur une lecture restrictive de la disposition litigieuse, sans égard pour l’interprétation qu’en a faite le CNB, qui a, rappelons-le, par deux avis, assimilé plaque professionnelle et vitrine (sur ce point, v. contra Rouen, 7 sept. 2016, n° 16/0218 : « les affichages litigieux bandeaux en façade ou mentions sur les vitrines s’apparentent à de l’information professionnelle dans la mesure où il s’agit d’une information "statique", sur les lieux mêmes où se situe le cabinet, visible du seul passant ou du client qui rejoint le cabinet à l’adresse qu’il connaît »). Il est justifié dans la mesure où l’exigence tenant à ce que la spécialité de l’avocat mentionnée sur sa plaque professionnelle corresponde à un certificat de spécialité n’a pas à être abrogée uniquement parce qu’elle est étendue aux vitrines dans des avis qui, par définition, ne sont pas contraignants et n’ont d’ailleurs pas été appliqués dans tous les barreaux où la société AGN a pu s’installer sans difficulté. Cela dit, cette motivation laisse le commentateur dubitatif puisqu’en déplaçant le problème de la vitrine à la plaque professionnelle, le Conseil d’État va dérouler le reste de sa motivation sans jamais répondre clairement à la question de savoir si la société AGN avocats peut afficher des domaines de spécialités sur sa vitrine en dépit de cette exigence. Toutefois, il semble que la haute juridiction opte implicitement pour une réponse négative dans la mesure où l’interdiction d’afficher des domaines de spécialité sans reconnaissance officielle sur les plaques professionnelles se fonde sur une série de motifs qui valent également pour les vitrines.

En effet, l’article 10.6.2 n’a pas à être abrogé puisqu’il garantit la délivrance d’une information loyale et objective au client potentiel en lui permettant de distinguer clairement les avocats ayant une spécialité officiellement reconnue des autres (consid. 5). Elle ne viole pas non plus la directive 2006/123/CE relative aux communications commerciales des professions réglementées puisque la mention par laquelle « à des fins d’information du public, un avocat se signale à l’entrée de l’immeuble où il exerce son activité ne constitue pas une communication commerciale au sens de ce texte » (consid. 6). Par ailleurs, l’atteinte qu’elle est susceptible de porter à la liberté d’entreprendre est proportionnée à son objectif, la sauvegarde de « l’intérêt général de la profession ». Enfin, elle ne crée de situation d’inégalité ni entre les avocats, puisqu’elle s’applique à tous les membres de la profession sans distinction, ni entre les avocats et les experts comptables, qui sont soumis à des règles équivalentes.

Cette décision est susceptible de deux interprétations dont les incidences sont sensiblement différentes. Une première lecture de cette décision peut laisser penser que, malgré le rejet de sa requête, la société AGN sort victorieuse de ce procès dès lors que le Conseil d’État pose une distinction entre plaque et vitrine professionnelle pour rejeter la demande d’abrogation partielle de l’article 10.6.2. En proposant toutefois une motivation parfaitement extensible au cas des vitrines professionnelles, c’est le Conseil national des barreaux et, avec lui, les instances ordinales de Toulouse et de Limoges qui peuvent se satisfaire d’une telle décision qui ne manquera pas d’inspirer les juridictions de l’ordre judiciaire dans les contentieux à venir.