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Arrêt Larzul 2 : dans les SAS, une décision collective prise en violation des clauses statutaires peut être annulée

Par un arrêt de revirement rendu en formation de section, la chambre commerciale de la Cour de cassation fait évoluer de façon remarquable sa jurisprudence en matière de nullité des décisions collectives d’associés de SAS. Après avoir rappelé le rôle déterminant des statuts dans l’organisation et le fonctionnement des SAS, la chambre commerciale énonce que, désormais, elle entend juger que l’alinéa 4 de l’article L. 227-9 du code de commerce, institué afin de compléter, pour les SAS, le régime de droit commun des nullités des actes ou délibérations des sociétés, tel qu’il résulte de l’article L. 235-1, alinéa 2 du même code, doit être lu comme visant les décisions prises en violation de clauses statutaires stipulées en application du premier alinéa de l’article L. 227-9 et permettant, lorsque cette violation est de nature à influer sur le résultat du processus de décision, à tout intéressé d’en poursuivre l’annulation.

1. L’arrêt rendu le 15 mars 2023 par la chambre commerciale de la Cour de cassation, publié au Bulletin et particulièrement motivé, a tout d’un grand arrêt.

D’abord, il opère un revirement s’agissant de la sanction tirée de la violation des clauses statutaires de SAS en matière de décisions collectives. Jusqu’à présent, au double visa des articles L. 227-9 et L. 235-1 du code de commerce, la chambre commerciale avait, dans un arrêt isolé, mais remarqué, refusé de prononcer la nullité d’une décision collective de SAS prise en violation d’une clause des statuts (Com. 26 avr. 2017, n° 14-13.554 NP, Rev. sociétés 2017. 422, note D. Schmidt ; Dr. sociétés 2017, n° 8-9, comm. 141, note C. Coupet). Désormais, au même double visa, mais par une interprétation audacieuse et bienvenue de l’alinéa 4 de l’article L. 227-9, la Cour de cassation juge que cet alinéa, qui instaure pour les SAS une nullité facultative des décisions collectives, « doit être lu comme visant aussi les décisions prises en violation des clauses statutaires » (§ 16).

Ensuite, il porte la marque de ce que la chambre commerciale entend manifestement apporter des solutions claires aux problématiques qui agitent aussi bien la doctrine que la pratique en droit des sociétés, ce dont il faut se réjouir.

2. Reprenons les faits. En application d’un protocole d’accord datant de 2004, la société Larzul, SAS ayant alors pour associée unique la société Vectora, avait accueilli deux nouveaux associés : la société UGMA, ainsi que son associée unique, la société FDG. À cet effet, le protocole d’accord prévoyait deux séries d’opérations. D’une part, des apports au bénéfice de la SAS Larzul, dont celui en nature du fonds de commerce de la société UGMA et un apport en numéraire par FDG ; d’autre part, une cession par Vectora d’une partie de ses actions au bénéfice de FDG.

Par un arrêt du 24 janvier 2012, devenu irrévocable, les délibérations par lesquelles la société Vectora avait approuvé l’opération d’apport du fonds de commerce à la société Larzul et l’augmentation de capital subséquente avaient été annulées. L’arrêt constatait par voie de conséquence la caducité de l’apport du fonds de commerce.

3. Soutenant qu’elle avait été privée de ses droits d’associé depuis le 3 avril 2012, la société FDG avait assigné la société Larzul en annulation de toutes les assemblées générales ordinaires et extraordinaires tenues depuis cette date.

En appel, les demandes de la société FDG sont jugées recevables, mais uniquement pour les délibérations postérieures au 19 janvier 2013 (la consultation de l’arrêt d’appel nous apprend que l’action en annulation de celles adoptées antérieurement à cette date était prescrite).

4. Dans son pourvoi, la SAS Larzul avançait deux arguments contre le prononcé de la nullité des délibérations.

Le premier, qui emporte cassation partielle pour fausse application de la loi, ne nous retient pas. La société Larzul postulait, à raison, que la violation des règles propres aux délibérations de SARL (C. com., art. L. 223-28 et L. 223-29) ne saurait permettre l’annulation de décisions collectives de SAS.

Le second argument du pourvoi, bien que rejeté par la Cour de cassation, est en revanche beaucoup plus intéressant. La société Larzul reprochait à la cour d’appel de Rennes d’avoir prononcé la nullité des décisions collectives litigieuses, « sans constater que ces décisions étaient de celles qui auraient dû être prises collectivement par les associés en vertu d’une disposition impérative du livre II du code de commerce applicable aux sociétés par actions simplifiées, et non pas seulement d’une disposition statutaire ». Dit autrement, la société Larzul se prévalait… de la jurisprudence Larzul, du 18 mai 2010 (v. infra). Le moyen est écarté par la Cour de cassation, qui saisit l’occasion pour revirer l’application mécanique de cette jurisprudence en matière de décisions collectives de SAS.

Après avoir exposé le revirement, il faudra s’arrêter sur sa portée.

L’exposé du revirement

5. Avant d’envisager la motivation ayant conduit la Cour de cassation à opérer une lecture accueillante de l’article L. 227-9, alinéa 4, du code de commerce, il est nécessaire de revenir sur l’état de sa jurisprudence antérieure.

La jurisprudence antérieure

6. Tout part de l’article L. 227-9, alinéa 4, du code de commerce, qui énonce que « les décisions prises en violation des dispositions du présent article peuvent être annulées à la demande de tout intéressé ». Selon certains auteurs, ce texte, introduit par la loi n° 99-587 du 12 juillet 1999, l’a été parce que l’on « s’est rendu compte des failles possibles du système de nullité de l’article L. 235-1, qui se référait à des règles légales, expresses ou impératives » (J.-Cl. Sociétés, Traité, fasc. 155-25, par M. Germain et P.-L. Périn, actualisé par H. Azarian, n° 54). En somme, on craignait, en raison de la rigueur du régime des nullités des décisions sociales en droit des sociétés, l’impossibilité d’obtenir cette sanction pour les décisions collectives prises en contrariété avec une clause des statuts.

7. C’est le professeur Le Cannu qui, le premier, s’est interrogé sur la lecture qu’il convenait d’adopter de cet alinéa 4 de l’article L. 227-9 (P. Le Cannu, Le contentieux de la SAS, spéc. I : La nullité des décisions d’associé(s) fondée sur l’article L. 227-9, dernier alinéa, du code de commerce, Dr. 21, 2001, ER 012, nos 10 s., spéc. 19 s.). Faut-il, par une lecture stricte, limiter la sanction de la nullité facultative qu’édicte cet alinéa 4, aux seules violations des dispositions impératives de l’article L. 227-9 ? Ou bien faut-il, par une lecture souple, comme le propose le professeur Le Cannu, inclure dans les « dispositions du présent article » les clauses statutaires prises en application de...

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