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Article L. 650-1 du code de commerce : conditions de l’invocation du « totem d’immunité »

Les dispositions de l’article L. 650-1 du code de commerce ne concernant que la responsabilité du créancier lorsqu’elle est recherchée du fait des concours qu’il a consentis, seul l’octroi estimé fautif de ceux-ci, et non leur retrait ou leur diminution, peut donner lieu à l’application de ce texte.

En ce début d’année, l’article L. 650-1 du code de commerce sort – temporairement ? – de sa léthargie jurisprudentielle. Après la consécration de la définition de la « fraude » au sens de ce texte (Com. 17 janv. 2024, n° 22-18.090 F-B, Dalloz actualité, 7 févr. 2024, obs. T. Favario ; D. 2024. 108 ; Rev. sociétés 2024. 213, obs. L. C. Henry ), c’est l’expression « concours consentis » qui est l’épicentre de l’arrêt ci-dessus référencé et, à travers elle, l’examen des conditions d’invocation par le créancier de l’immunité que pose l’article.

Soit en l’espèce un groupe de sociétés articulé de manière classique : une société Fleur de sel participations, holding dont M. N. est l’associé majoritaire et le dirigeant, détient intégralement le capital de deux sociétés, Joyaux perles gemmes et MH Distribution. Ces dernières, en butte à des difficultés économiques, sollicitent l’ouverture d’une procédure de conciliation (C. com., art. L. 611-4 s.). Heureuse initiative conclue le 10 septembre 2015 par un protocole d’accord avec leurs partenaires bancaires dont la Caisse régionale de crédit agricole (CRCA). Un jugement du 7 octobre 2015 homologue ce protocole lequel prévoit l’octroi d’un prêt de consolidation par chaque établissement de crédit et le maintien ou la réitération des garanties préexistantes des concours consolidés. Le 1er mars 2016, le CRCA consent à la société Joyaux perles gemmes un prêt de consolidation de 303 000 €, garanti par le cautionnement solidaire de M. N. et une hypothèque sur deux biens qu’il possède. Répit de courte durée : ladite société est successivement mise en redressement puis en liquidation judiciaires par jugement des 13 juillet et 7 septembre 2016. Le 2 juin 2020, M. N. assigne le CRCA en réparation du préjudice subi. Il lui reproche de ne pas avoir respecté les termes du protocole de conciliation relatifs au délai dans lequel le prêt devait être consenti et au différé de remboursement d’un an accordé. La cour d’appel rejette sa demande en permettant au CRCA d’invoquer le « totem d’immunité » de l’article L. 650-1 du code de commerce pour se soustraire à sa responsabilité. Une analyse que ne partage pas la Cour de cassation, saisie sur pourvoi de M. N. Elle censure l’arrêt d’appel pour fausse application de l’article L. 650-1. On sait qu’il y a fausse application quand le juge applique une règle de droit alors qu’il a relevé qu’une de ses conditions d’application manquait. Tel est doublement le cas ici. La Cour de cassation profite ainsi de l’espèce pour rappeler que l’article L. 650-1 ne s’applique qu’à un concours octroyé fautif per se et octroyé seulement, soit non retiré ou diminué.

Le rappel : un concours « fautif » per se

L’arrêt sous examen rappelle que les dispositions de l’article L. 650-1 « ne concernant que la responsabilité du créancier lorsqu’elle est recherchée du fait des concours qu’il a consentis, seul l’octroi estimé fautif de ceux-ci (…) peut donner lieu à l’application de ce texte ». Les juges d’appel sont censurés pour ne pas avoir correctement qualifié la faute, faussant la détermination du régime de responsabilité applicable.

De la qualification de la faute…

Il y a bien une faute de la banque que la cour d’appel a justement identifiée : avoir accordé le prêt de consolidation avec plus de trois mois de retard, une durée d’amortissement de trente-sept mois et sans période de différé d’amortissement de douze mois « en méconnaissance des engagements contractuels du protocole de conciliation ». Détermination des obligations de la banque – nées du protocole de conciliation – et identification du comportement constitutif de leur violation : le début du raisonnement de la cour d’appel n’appelle aucune critique contrairement à la conclusion qu’elle en tire : « de sorte que la banque pouvait valablement opposer le bénéfice des dispositions [de l’art. L. 650-1 c. com.] à M. N. ».

Faux car, comme la Cour de cassation le rappelle, ces dispositions s’appliquent exclusivement en présence de concours consentis par le créancier et dont l’octroi est estimé fautif. Rien de tel en l’espèce : le demandeur ne reprochait pas à la banque d’avoir consenti un concours préjudiciable, mais de ne pas l’avoir mis en œuvre conformément aux engagements souscrits...

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