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La bâtonnière s’était faussement proclamée vainqueur aux élections ordinales

La première chambre civile a rejeté le pourvoi formé par une avocate radiée. Bâtonnière en exercice et candidate au conseil de l’Ordre, elle avait, lors du dépouillement, lu son nom cinquante-six fois à voix haute alors qu’elle n’avait obtenu que douze voix.

par Anne Portmannle 21 septembre 2017

L’affaire, qui concerne le barreau de Périgueux, remonte aux élections ordinales de 2005, qui devaient voir désigner quatre membres du conseil de l’Ordre. Lors de la proclamation des résultats, la bâtonnière en exercice, également candidate au conseil de l’Ordre, avait lu son nom, à voix haute, cinquante-six fois alors qu’elle n’avait, en réalité, obtenu que douze suffrages.

C’est dans ces circonstances que le bâtonnier qui lui a succédé a pris l’initiative de la poursuivre disciplinairement pour fraude électorale. Cette affaire a donné lieu à une véritable saga judiciaire. Le conseil de discipline a prononcé une peine de radiation, confirmée en appel, qui a été annulée par un arrêt de la Cour de cassation, en raison d’un doute sur l’impartialité des rapporteurs désignés par le conseil de l’Ordre. Le bâtonnier a repris la procédure disciplinaire en 2011, a formé un recours contre la décision implicite de rejet du conseil de discipline et la Cour de cassation, après avoir cassé l’arrêt d’appel déclarant ce recours irrecevable a renvoyé à nouveau l’affaire au fond, devant la cour d’appel de Paris.

Les juges parisiens ont infirmé la décision de rejet implicite du conseil de l’Ordre et, statuant à nouveau, ont déclaré l’intéressée coupable d’avoir altéré les résultats des élections ordinales, jugé que ces agissements étaient contraires aux principes essentiels de loyauté, de probité et d’honneur et prononcé contre l’avocate la sanction de radiation. L’ancienne bâtonnière s’est pourvue en cassation.

Pouvoir souverain d’appréciation

L’intéressée faisait valoir que bien que le bâtonnier, dans ses écritures, ait requis le prononcé de la sanction de radiation, il avait à l’audience déclaré y renoncer, « dans un souci d’apaisement », réclamant simplement la suspension temporaire de l’avocate. À ce moyen, la première chambre civile répond qu’il ressort des notes d’audience que le bâtonnier s’en était remis aux juges du fond pour apprécier la sanction à prononcer. Dès lors, en infligeant la radiation, la cour n’a fait qu’exercer son pouvoir souverain d’appréciation et choisi de prononcer une des peines prévues par l’article 184 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991.

Reprise des poursuites après annulation : pas de violation du principe « non bis in idem »

Il était également avancé qu’en condamnant l’avocate à une peine disciplinaire de radiation, la cour avait violé la règle non bis in idem, qui impliquait, selon le pourvoi, qu’un conseil de discipline ne puisse être saisi deux fois d’une même demande de sanction. En effet, la procédure avait d’abord été annulée par la Cour de cassation et le bâtonnier a saisi de nouveau l’instance disciplinaire après l’annulation. La première chambre civile estime cependant qu’en engageant de nouvelles poursuites après l’annulation de toutes les décisions rendues initialement, le bâtonnier n’a pas méconnu le principe précité.

Autres motifs de rejet

Par ailleurs, la cour d’appel, qui statuait sur le rejet implicite du conseil de l’Ordre, pouvait se prononcer sur les poursuites disciplinaires malgré l’absence de rapport d’instruction, faute de désignation d’un rapporteur par le conseil. De surcroît, les faits étaient parfaitement établis, puisque l’avocate avait également fait l’objet de poursuites pénales. Même si l’intéressée avait été relaxée du chef des délits de fraude électorale, faux intellectuel et usage de faux, l’arrêt relève que le jugement correctionnel a mis au jour un faisceau d’indices permettant de se convaincre que l’avocate avait faussement lu les bulletins de vote qu’elle avait dépouillés.

L’arrêt retient ainsi qu’elle a proclamé un résultat qui ne correspondait pas à la réalité du scrutin et a donc sciemment menti. Malgré l’absence de faute pénale reconnue par le juge, ce comportement est contraire aux principes essentiels de la profession. La première chambre civile rappelle que l’autorité de la chose jugée ne s’attache qu’aux affirmations relatives à la nature de l’infraction et à sa qualification. En se prononçant sur les manquements aux obligations déontologiques, malgré la relaxe, les juges du fond n’ont pas méconnu l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil.

Enfin, la cour a correctement caractérisé la gravité des manquements déontologiques dont l’avocate s’était rendue coupable, soulignant notamment qu’à l’époque des faits, elle était le bâtonnier élu par ses pairs et comme telle garante du respect des règles déontologiques. Le facteur temporel a également été pris en compte par les juges dans le prononcé de la sentence et notamment l’atteinte persistante à la crédibilité du barreau de Périgueux, compte tenu de l’ancienneté de l’affaire.

Le pourvoi de l’ancienne bâtonnière a été rejeté.