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Le calendrier des négociations commerciales modifié – Urgence ou précipitation ?

La loi n° 2023-1041 du 17 novembre 2023 portant mesures d’urgence pour lutter contre l’inflation concernant les produits de grande consommation a été publié au Journal officiel du 18 novembre. Elle modifie le calendrier des négociations commerciales dans un périmètre défini.

Les négociations commerciales dans le secteur de la grande distribution obéissent à un calendrier précis, progressivement rigidifié depuis la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008. Les relations entre fournisseurs et distributeurs sont ainsi rythmées par une saisonnalité qui court de la fin de l’été à la date fatidique de clôture, en principe fixée au 1er mars1. Cette contrainte temporelle vise à lutter contre les pratiques de prolongation artificielle des négociations, en imposant à tous les opérateurs une négociation simultanée, propre à stimuler la concurrence favorable aux consommateurs. Car la règlementation des négociations commerciales n’a pas pour unique objectif de permettre le contrôle administratif ultérieur de leur déroulement afin de garantir un minimum de loyauté2. Elle vise aussi le résultat concret de ces négociations, les prix bas dont sont censés pouvoir bénéficier directement les consommateurs.

Le législateur ne manque jamais une occasion de réformer ce corps de règles devenu, au fil du temps, un maquis de règles spéciales enchevêtrées qu’il faut tâcher d’articuler3. Mais jamais sans doute, avant la loi n° 2023-1041 du 17 novembre 2023 portant mesures d’urgence pour lutter contre l’inflation concernant les produits de grande consommation, une loi sur les négociations commerciales n’avait assumé d’une manière aussi nette son ambition de peser sur le cours des négociations à venir, quitte à remettre en cause des accords passés en 2023. Au point que si la loi Descrozaille (Loi n° 2023-221 du 30 mars 2023) avait déjà largement laissé de côté les enjeux d’une meilleure répartition de la valeur dans la chaîne agricole, en englobant les produits alimentaires dans la catégorie plus vaste des produits de grande consommation, la loi du 17 novembre 2023 ne fait aucun mystère du résultat attendu des négociations à venir : une baisse des prix.

Le gouvernement avait bien esquissé des initiatives non législatives, au cours de l’été, avec l’incitation à une renégociation de leurs conventions par les gros fournisseurs, le « top 75 », puis à la rentrée avec un « trimestre anti-inflation » auquel étaient invités les distributeurs. Assurément déçu, peut-être vexé de constater l’ineffectivité du verbe politique, le ministre s’est alors décidé à engager une procédure législative accélérée destinée à avancer la date des négociations commerciales pour l’année 2024. Le résultat tient en deux articles, dont l’un prévoit, de manière rituelle désormais, la remise d’un rapport par le gouvernement, visant cette fois-ci à « évaluer les effets de l’avancée des négociations commerciales », en analysant « spécifiquement l’évolution des marges des industriels, filière par filière, et des acteurs de la grande distribution »4. Ledit rapport doit être remis dans les trois mois à compter de la promulgation de la loi, soit au plus tard le 18 février, à peine quelques jours après la fin des négociations.

Mais c’est bien l’article 1er de la loi qui a concentré toute l’attention médiatique au cours des débats parlementaires, fournisseurs et distributeurs étant désireux de connaître l’organisation des négociations à venir. Le texte se contente de modifier le calendrier des négociations commerciales dans un périmètre restreint, fixé en considération des consommateurs visés. L’étude du champ d’application de la loi précédera ainsi l’analyse de ses effets pratiques sur la temporalité des négociations pour l’année 2024.

Le champ d’application limité de la loi

La loi du 17 novembre 2023 n’opère pas une réforme générale du droit des négociations commerciales. Elle vise exclusivement des situations pour lesquelles une « urgence » est ressentie, tout en apportant des précisions sur son application dans l’espace et le temps.

Champ d’application matériel. Sont seulement visés les distributeurs exerçant une activité de « commerce de détail à prédominance alimentaire ». La notion de « commerce de détail » se retrouve couramment employée par le législateur, au sujet notamment des autorisations d’exploitation commerciale5 ou des gérants de succursales de commerces de détail alimentaire6. Ses contours exacts suscitent parfois cependant quelques incertitudes, par exemple au sujet de l’application de l’article L. 341-2 du code de commerce. Faute pour ce dernier texte de contenir la moindre définition du « commerce de détail » ou d’en restreindre la portée à la distribution de produits, la Cour d’appel de Paris l’a interprété comme pouvant s’appliquer à des franchises de services, en l’occurrence des agences immobilières7.

Dans le contexte de la loi du 17 novembre 2023, le commerce de détail s’entend plutôt par opposition au commerce de gros, les grossistes bénéficiant désormais d’un régime de négociations « sanctuarisé »8. C’est d’autant plus vrai que la « prédominance alimentaire » met évidemment l’accent sur la distribution de produits, dont une part prépondérante du chiffre d’affaires doit être de nature alimentaire. Le législateur vise donc la grande distribution alimentaire, ce qui permet, sans le préciser expressément comme cela était le cas dans la version adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale, d’exclure les officines pharmaceutiques du champ d’application de la loi9. Les distributeurs visés doivent en effet être compris à raison des conventions conclues.

Le texte restreint en effet sa portée aux seules conventions portant sur des produits de grande consommation (PGC). Si, depuis la loi du 30 mars 2023, la complexité des négociations commerciales s’est encore accrue, les conventions PGC ont concentré l’essentiel des modifications apportées cette année. Ces conventions portent non seulement sur les produits alimentaires et boissons alcoolisées, mais également sur les produits d’hygiène ou d’entretien, ce qui recoupe largement les produits distribués dans les grandes surfaces alimentaires.

Champ d’application spatial. La loi du 17 novembre 2023 entend s’appliquer à l’ensemble des conventions relatives à des produits commercialisés en France, à l’exclusion des territoires ultramarins.

Alors que les interrogations subsistent sur la portée réelle de l’article L. 444-1, A, du code de commerce issu de la loi du 30 mars 202310, le législateur confirme la volonté du législateur de faire du droit des négociations commerciales une loi de police, sans toutefois utiliser le terme, dont l’application relèverait de la compétence exclusive des juridictions françaises. L’article 1er prévoit ainsi que ses dispositions sont d’ordre public et que tout litige portant sur leur application relève de la compétence exclusive des tribunaux français, sous réserve du respect du droit de l’Union européenne et des traités internationaux ratifiés ou approuvés par la France et sans préjudice du recours à l’arbitrage. Le législateur étend ainsi la portée de l’affirmation d’impérativité de la loi française et de compétence juridictionnelle à une disposition qui se contente de modifier le calendrier des négociations commerciales. Ce faisant, il entend éviter le contournement de la loi par les distributeurs opérant via des centrales d’achat implantées à l’étranger.

Le contraste est remarquable avec l’exclusion des distributeurs...

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