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Chronique d’arbitrage : vers une réforme du droit français de l’arbitrage ?
Chronique d’arbitrage : vers une réforme du droit français de l’arbitrage ?
Le droit français de l’arbitrage est-il sur le point d’être réformé ? Le 20 mars 2025, un groupe de travail sur l’arbitrage a rendu son rapport au ministre de la Justice, lequel émet de nombreuses préconisations, parmi lesquelles la création d’un code de l’arbitrage. D’ores et déjà, le ministre a annoncé qu’il dévoilera les propositions retenues le 8 avril 2025, en pleine Paris Arbitration Week. Après Londres et avant Singapour, Paris bénéficiera-t-elle de mesures ambitieuses pour parfaire sa compétitivité ?
par Jérémy Jourdan-Marques, Professeur à l'Université Lumière Lyon 2le 31 mars 2025
TJ Nanterre, 26 févr. 2025, n° 23/02992

La présente chronique proposera un focus sur les conclusions du rapport remis au ministre, étant d’emblée précisé que l’auteur de ces lignes était membre du groupe, ce qui lui ôte toute objectivité dans l’appréciation de ce travail. Il est toutefois intéressant de prendre connaissance des conclusions, afin de mieux anticiper les directions qui pourraient être suivies en cas de publication prochaine d’un texte.
Au-delà de cette analyse, le contenu de cette chronique est lacunaire, en raison d’un incident dans la diffusion des décisions de la Cour d’appel de Paris. En effet, au moins pour les mois de janvier et de février, aucune décision de la chambre commerciale internationale de la Cour d’appel de Paris n’a été diffusée en open data. Si le problème semble résolu à la mi-mars 2025, il y a à craindre que la majorité des décisions rendues pendant cette période soit « perdue » pour la doctrine.
À propos de la Cour d’appel de Paris, on signalera le renouvellement important de la composition de sa chambre commerciale internationale. Ainsi, deux membres ont quitté la formation, l’une pour rejoindre le Tribunal judiciaire de Paris en qualité de juge d’appui, l’autre ayant fait valoir ses droits à la retraite. On souhaite évidemment le meilleur à l’une et à l’autre, qui sont remplacées par deux nouveaux juges. Les premières décisions rendues par ce trio sont déjà disponibles (Paris, 11 mars 2025, Eurafrique, n° 21/09018). Comme à chaque fois, on restera vigilant aux ondulations jurisprudentielles qui suivent souvent les évolutions dans la composition de la cour.
Cette évolution s’accompagne d’une nouveauté : la mise en place d’audiences solennelles et de chambres réunies, ce qui conduit à modifier la composition de la cour. Une première audience a eu lieu sous cette nouvelle forme à l’occasion de l’affaire Oschadbank. Elle a été présidée par le premier président de la cour, assisté de quatre conseillers. L’arrêt est (très) attendu pour le 24 juin 2025. Là encore, il faudra observer la récurrence du recours à cette composition enrichie. En tout état de cause, cette évolution révèle l’attention toute particulière dont bénéficie l’arbitrage au sein de la cour.
Faute d’une quantité suffisante de décisions de la Cour d’appel de Paris, cette chronique s’arrêtera longuement sur une importante décision de la Cour d’appel de Versailles dans la célèbre affaire Fiorilla (Versailles, 10 déc. 2024, n° 23/03647, Kluwer Arbitration Blog, 3 mars 2025, obs. W. Brillat-Capello). Celle-ci est l’occasion de revenir sur la difficile question de la prescription en matière d’arbitrage et, notamment, de l’action en exequatur, avec une solution retenue qui n’emporte pas la conviction.
Le rapport du groupe de travail sur l’arbitrage
Le 12 novembre 2024, le garde des Sceaux, ministre de la Justice, Monsieur Didier Migaud, a mis en place un groupe de travail pour moderniser le droit français de l’arbitrage. La mission, pilotée par Monsieur François Ancel, conseiller à la Cour de cassation et Monsieur le professeur Thomas Clay, a été menée avec le concours de la Direction des affaires civiles et du sceau. Le groupe a remis son rapport le 20 mars 2025, à peine quatre mois après son lancement, au nouveau pensionnaire de la place Vendôme, Monsieur Gérald Darmanin. Deux documents ont été transmis au ministre : d’une part, un rapport de près de 80 pages et, d’autre part, une proposition de texte.
Il ne nous appartient pas de faire une lecture critique de ces travaux, en raison de notre appartenance, avec seize autres personnes (la liste de l’ensemble des membres figure dans le rapport), au groupe de travail. On peut néanmoins, sans prétendre à l’exhaustivité, en donner un aperçu au lecteur et se livrer à quelques réflexions générales.
Aperçu
Un code
La grande originalité – pour ne pas dire l’audace – du travail communiqué au ministre réside dans la proposition de consacrer un code de l’arbitrage. Celui-ci est intégralement rédigé et proposé « clé en mains » à la Chancellerie.
Pourquoi un code de l’arbitrage ? Alors que la codification n’a pas le vent en poupe – il suffit de voir la levée de boucliers suscitée par la proposition de code de droit international privé –, il a semblé aux membres du groupe qu’il s’agissait de l’écrin approprié pour une réforme.
En l’état actuel, le droit de l’arbitrage figure, pour l’essentiel, dans le code de procédure civile, enchâssé aux articles 1442 à 1527. Ce choix n’est d’ailleurs pas isolé. Ainsi, le droit belge applique aussi cette logique, son droit de l’arbitrage figurant aux articles 1676 à 1723 du code judiciaire. Il en va de même du droit québécois, avec un droit codifié aux articles 620 à 655 du code de procédure civile. En Suisse, c’est cette fois dans la loi de droit international privé que se trouve le droit de l’arbitrage (international), aux articles 176 à 194. Il en résulte que le droit français de l’arbitrage n’a jamais souffert de ce positionnement et qu’il n’a pas été freiné dans son rayonnement international. Il n’en demeure pas moins que plusieurs arguments invitent à renouveler la réflexion.
Premièrement, le droit de l’arbitrage ne figure pas exclusivement dans le code de procédure civile. Quand bien même les dispositions « hors le code de procédure civile » (T. Clay, La codification de l’arbitrage hors le Code de procédure civile, in Écrits sans esprit de système. Mélanges en l’honneur du professeur Philippe Delebecque, Dalloz, 2024, p. 375) s’appliquent, pour la majorité, exclusivement en matière interne, on peut constater et regretter l’éclatement des sources : code civil, code de commerce, code de la consommation, code de justice administrative, code de la recherche, code du patrimoine, code rural et de la pêche maritime, etc. L’idée est donc de concentrer la matière dans un seul et unique corpus, afin d’accroître son accessibilité.
Deuxièmement, et cela suit ce qui vient d’être dit, l’ambition d’un code réside aussi dans sa portée pédagogique. Le droit de l’arbitrage est trop souvent méconnu et maltraité, même par les juristes. Qui n’a jamais entendu un professionnel confondre arbitrage et mode amiable ? Combien de fois doit-on déplorer le caractère pathologique de certaines clauses figurant dans des contrats portant sur des enjeux substantiels ? La méconnaissance du droit de l’arbitrage est un sujet de préoccupation constant. La création d’un code peut contribuer à en assurer une meilleure connaissance.
Troisièmement, le code est un outil de rayonnement. À l’heure où la concurrence est féroce entre les places, ce choix est aussi tourné vers l’international. Il ne faut pas s’y tromper : de nombreux juristes étrangers sont indifférents ou ignorants de l’idée même de codification. Là n’est pas l’enjeu. En réalité, il s’agit, plus modestement, de réunir au sein d’un même instrumentum l’intégralité du droit français de l’arbitrage afin d’en faciliter la diffusion. Certes, ce travail peut déjà être réalisé de façon informelle, par la voie de compilations privées (v. not., T. Clay, avec la participation de M. de Fontmichel, Code de l’arbitrage commenté, 2e éd., LexisNexis, 2021). Toutefois, un code officiel est un vecteur de communication bien plus puissant qu’une initiative éditoriale. Avec une potentielle traduction multilingue du texte, la diffusion du droit français n’en sortira que renforcée.
Un droit commun
Une autre ambition du projet rendu par le groupe de travail réside dans le rapprochement très sensible, par l’intermédiaire d’une consécration d’un droit commun, entre droit interne et droit international de l’arbitrage.
D’emblée, il faut lever une ambiguïté : il n’y a aucune disparition de la summa divisio entre ces deux types d’arbitrage. Deux raisons expliquent la réticence à franchir le pas. D’une part, la croyance que ces régimes ne peuvent être parfaitement alignés. L’exemple le plus marquant réside dans le maintien de la dissociation entre ordre public interne et ordre public international, notamment au stade du contrôle de la sentence. D’autre part, la volonté de préserver les règles matérielles du droit de l’arbitrage international. Celles-ci sont indispensables pour tenir la convention d’arbitrage à distance des initiatives du législateur qui peut – légitimement ou non – restreindre sa validité en certains domaines.
Si la distinction persiste, elle devient presque invisible à l’œil nu. L’objectif est de dépasser la construction actuelle du code de procédure civile qui, pour le régime de l’arbitrage international, procède par multiples renvois à l’arbitrage interne (C. pr. civ., art. 1506). Dès l’origine, cette approche a été critiquée. Elle complique l’accès au texte, en particulier pour les opérateurs économiques étrangers et leurs conseils. Elle conduit à l’ignorance de certaines solutions, même pour les meilleurs spécialistes du droit français de l’arbitrage. Ainsi, qui se rappelle que, même en arbitrage international, l’inscription de faux se fait conformément à l’article 313 du code de procédure civile ?
Certes, d’autres choix ont été envisagés. On aurait pu inverser les renvois, pour faciliter l’appropriation du droit de l’arbitrage international. Mais à quoi bon punir l’arbitrage interne, à l’heure où l’on espère accélérer son développement ? On aurait également pu dupliquer les textes, afin d’avoir deux droits complets. Pour autant, cette méthode ne se justifie que si de nombreuses différences subsistent entre les deux régimes. À défaut, le choix de consacrer un droit commun et maintenir quelques règles spéciales paraît le plus judicieux. C’est celui qui a été retenu.
Ainsi, le projet de texte se subdivise entre, d’un côté, des dispositions générales, au sein desquelles on trouve très ponctuellement des règles exclusivement applicables en matière interne ou internationale et, d’un autre côté, des dispositions spéciales, notamment en ce qu’elles portent sur l’arbitrage des litiges de la famille, du travail ou de la consommation (ces règles spéciales ne seront pas traitées dans la présente chronique, mais méritent une attention particulière des lecteurs). La prise en main est simplifiée : il suffit de lire les dispositions générales pour avoir connaissance de l’immense majorité des règles applicables à l’arbitrage, indépendamment de sa nature interne ou internationale.
Des principes directeurs
Pour couronner – ou pour chapeauter – le tout, la troisième originalité du rapport réside dans la proposition de principes directeurs. Au nombre de dix-neuf, ils sont la quintessence du droit français de l’arbitrage.
S’accorder sur des principes directeurs est une gageure. Combien faut-il en choisir ? Selon quels critères ? Avec quelle ambition ? Disons-le – l’expérience des discussions au sein du groupe de travail le montre – l’unanimité est un vœu pieux. La liste est imparfaite, mais son immense mérite est d’exister.
Les principes retenus sont protéiformes. Il y en a qui véhiculent des valeurs fondamentales : l’indépendance et l’impartialité du tribunal arbitral (art. 6), le respect de la contradiction et de l’égalité des parties (art. 11). D’autres sont des principes qui, sans constituer des valeurs fondamentales, vont irriguer le droit de l’arbitrage : bonne foi (art. 4), effet utile (art. 5), confidentialité (art. 12) ou proportionnalité (art. 14). Certains constituent des règles jugées centrales dans le fonctionnement de l’arbitrage : le choix des règles applicables au fond (art. 9) et à la procédure (art. 11), la faculté de recourir à l’amiable composition (art. 10), la renonciation (art. 13) ou la définition de la sentence (art. 17). Enfin, les derniers sont les grands marqueurs du droit français de l’arbitrage : appréciation de l’existence et l’efficacité de la convention d’arbitrage à l’aune de la volonté des parties (art. 2), interdiction de se prévaloir de son droit interne pour échapper à l’arbitrage (art. 3), compétence prioritaire du tribunal arbitral pour statuer sur son pouvoir juridictionnel (art. 7), rôle du juge d’appui dans la prévention du déni de justice (art. 16) ou encore possible reconnaissance d’une sentence annulée à l’étranger (art. 19).
Au tout début de sa mission, le groupe de travail s’est donné pour ambition de ne pas se limiter à des propositions techniques, si ce n’est technocratiques. Les principes directeurs sont la réponse à cette préoccupation. Ils sont le souffle d’une éventuelle réforme. Ils sont à la recherche d’un équilibre pour l’arbitrage, entre, d’une part, consolider son statut de mode de résolution efficace des différends et, d’autre part, rester exigeant sur la qualité de cette justice. L’équilibre est difficile, sinon impossible, à trouver. Il ne faut pas pour autant y renoncer. Les principes directeurs, par leur charge symbolique, constituent le pilier d’une future réforme.
Des propositions nouvelles
Le rapport ne va pas sans son lot d’innovations. Sans prétendre à l’exhaustivité, évoquons-en certaines.
Un juge d’appui 2.0
La première réside dans la consécration d’un juge d’appui 2.0. Depuis des décennies, le juge d’appui constitue le fer de lance du droit français de l’arbitrage. Le groupe de travail envisage d’aller plus loin et d’accroître son rôle. Trois propositions (au moins) vont dans cette direction.
Primo, la référence, au sein des principes directeurs, à la mission de prévention du déni de justice du juge d’appui (art. 16). Cet article fut sans doute le plus discuté de tous au sein du groupe de travail. Son ambition est d’aller au-delà de la jurisprudence NIOC (Civ. 1re, 1er févr. 2005, n° 01-13.742, D. 2005. 2727 , note S. Hotte
; ibid. 3050, obs. T. Clay
; Rev. crit. DIP 2006. 140, note T. Clay
; RTD com. 2005. 266, obs. E. Loquin
; Rev. arb. 2005. 693, note H. Muir Watt ; Gaz. Pal. 27-28 mai 2005, p. 3, obs. S. Lazareff ; ibid. 2005, n° 147, p. 37, note F.-X. Train), en ne limitant pas le déni de justice à un critère de compétence international. Il y a en effet un paradoxe à dire que le juge d’appui français est le juge du déni de justice, mais qu’il ne dispose d’aucun pouvoir – au-delà de la constitution du tribunal arbitral – pour traiter la difficulté. Voilà un article qui peut le libérer de ses chaînes et ouvrir d’importantes perspectives pour les parties confrontées à un tel risque. Il faut simplement souligner que l’article 16 doit se lire en combinaison avec l’article 15, qui impose au juge d’appui d’assurer « l’effectivité de la volonté des parties de recourir à l’arbitrage ». Il ne peut donc tomber dans la facilité, en renvoyant les parties devant le juge étatique. Le juge d’appui est résolument un juge « pro-arbitrage ».
Deuxio, cette logique se décline à propos des parties impécunieuses. On sait que l’impécuniosité n’est pas un motif suffisant pour échapper à la clause compromissoire ; il appartient aux acteurs de permettre l’accès au juge arbitral. Le juge d’appui a toute sa place parmi ces acteurs de l’arbitrage. Il est naturel de lui donner les pouvoirs nécessaires pour permettre l’accès au juge arbitral. C’est ce que propose l’article 33 du projet de code, qui prévoit que « le juge d’appui peut être saisi par une partie aux fins de prononcer toute mesure de nature à permettre la mise en œuvre de l’arbitrage ». Par conséquent, en cas de blocage lié à l’impécuniosité d’une partie, le juge d’appui doit devenir le passage obligé avant tout retour éventuel devant le juge étatique, conformément à la porte laissée ouverte par la jurisprudence CSF (Civ. 1re, 28 sept. 2022, n° 21-21.738, Dalloz actualité, 28 oct. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 2022 , note N. Dissaux
; ibid. 2330, obs. T. Clay
; RTD com. 2023. 571, obs. E. Loquin
; Procédures 2022, n° 11, p. 26, obs. L. Weiller ; RLDA 2023, n° 188, p. 31, note J. Clavel-Thoraval ; JCP 2023. Doctr. 221, obs. L. Jandard ; Rev. arb. 2023. 157, note P. Giraud). Reste que, si les pouvoirs qui lui sont ainsi conférés sont vastes, ils ne peuvent conduire à imposer à des acteurs privés de travailler gratuitement. Le respect des droits fondamentaux des uns ne peut en effet conduire à porter atteinte à ceux des autres.
Tertio, le juge d’appui se voit confier un pouvoir spécial en matière d’exécution des mesures d’instructions, provisoires ou conservatoires décidées par l’arbitre ou l’arbitre d’urgence (art. 41). Cette compétence n’est pas subordonnée à une qualification de sentence, soit décidée par l’arbitre, soit résultant du droit français. La proposition est de créer un canal spécifique pour ces mesures. Le renforcement de la valeur de ces décisions constitue un pas important en faveur de l’efficacité de l’arbitrage. Certes, on peut craindre que celui-ci soit principalement exercé au détriment des opérateurs économiques situés en France. Néanmoins, on ne peut ignorer l’effet incitatif pour les autres droits à consacrer également une telle voie. D’ailleurs, c’est ce que vient de faire le droit anglais à l’occasion de sa réforme de l’Arbitration Act (J. Grierson, P. Rosher et G. Stephens-Chu, La réforme du droit anglais de l’arbitrage, Rev. arb. 2024. 801, nos 54 s.). Le droit français n’est donc pas protectionniste – on peut lui reprocher – mais tourné vers l’efficacité de l’arbitrage.
Les voies de recours
La deuxième innovation porte sur les voies de recours. Là encore, plusieurs exemples illustrent les changements significatifs proposés.
Primo, l’article 82 du code offre au juge de l’annulation la faculté de renvoyer les parties devant le tribunal arbitral afin de « reprendre la procédure arbitrale et de se prononcer sur les questions qu’il détermine ». C’est potentiellement la disposition la plus innovante, quand bien même elle n’est pas inconnue à l’international, puisqu’elle est directement inspirée de l’article 34(4) de la loi-type CNUDCI. En l’état, sa portée est incertaine et dépendra grandement de la pratique de la Cour d’appel de Paris. Dans un premier temps, elle peut constituer un outil puissant pour faire respecter la compétence prioritaire du tribunal arbitral pour statuer sur tous les moyens, en particulier ceux touchant l’ordre public international. Dans un deuxième temps, on peut aussi imaginer un retour au tribunal arbitral pour certaines erreurs graves, mais, dans l’absolu, réparables, comme l’omission de confronter une solution à l’équité en présence d’une mission d’amiable compositeur. Enfin, dans un troisième temps, on peut aller jusqu’à imaginer que tout, ou presque, est réparable, d’une violation du contradictoire à une incompétence jugée inappropriée.
Pour l’heure, il est difficile de savoir dans quelles hypothèses cette proposition pourrait être mobilisée. Elle soulève en tout cas plusieurs questions. D’abord, le timing : plus la procédure de recours est avancée et plus le renvoi au tribunal arbitral est de nature à accroître les délais de traitement ; moins la procédure est avancée et plus le renvoi est décidé sur une simple intuition du juge du recours. Ensuite, les coûts : le renvoi doit-il donner lieu au paiement d’honoraires ou est-il gratuit ? On pourra dire que celui-ci s’explique le plus souvent par les insuffisances du tribunal arbitral ; mais ce ne sera pas toujours le cas, principalement lorsqu’un moyen ne lui a pas été soumis. Il y aura là un point crucial à résoudre. Enfin, l’autorité de la décision pour le tribunal arbitral : il faut s’attendre à des refus de certains tribunaux de se plier à l’injonction étatique, ce qui ne manquera pas de soulever, là aussi, des discussions tant théoriques que pratiques.
Deuxio, un recours en inopposabilité est ouvert contre les sentences à l’étranger. Si, lorsque la sentence est rendue en France, le recours en annulation permet à la personne déçue de prendre l’initiative de contester la sentence, cette voie est fermée lorsqu’elle est rendue à l’étranger. Dans cette hypothèse, la contestation de la sentence est suspendue à une demande d’exequatur par la partie adverse. L’article 72 du code offre un remède par l’action en inopposabilité. Celle-ci est pensée comme le « négatif de l’exequatur ». Une partie saisit le tribunal judiciaire d’une action en inopposabilité, qui ne lui accordera que si la sentence est manifestement contraire à l’ordre public international. L’ordonnance est alors susceptible de recours, avec un contrôle sur le fondement de l’article 81 et des cinq cas d’ouverture habituels du droit français. Ainsi, la partie hostile à la sentence peut prendre l’initiative du contentieux, avec comme risque que, au moins dans un premier temps, celle-ci lui soit déclarée opposable.
Tertio, le code distingue désormais soigneusement exequatur et reconnaissance. Les deux actions existent de façon autonome, la seconde n’ayant pas vocation à accorder la force exécutoire à la sentence. Le principal intérêt se trouve en procédure collective, lorsque le tribunal arbitral condamne le débiteur plutôt que de simplement fixer le montant de la créance. Dans cette hypothèse, le juge du recours pourra, au lieu d’annuler la sentence ou d’en refuser l’exequatur, se limiter à lui conférer la reconnaissance pour permettre une prise en compte lors de la procédure collective.
Quarto, la tierce opposition subit un profond remaniement. Il est proposé de fermer la tierce opposition contre la sentence interne et de la remplacer par une tierce opposition contre la décision d’exequatur, tant en matière interne qu’internationale (art. 129). La logique sous-jacente est que, pour le tiers, c’est le plus souvent l’exécution d’une sentence qui est la source du préjudice. Dès lors, c’est avant tout l’exécution forcée qu’il convient de prévenir. L’avantage de cette solution est de permettre de résoudre les difficultés de compétence, le juge français étant le seul à pouvoir trancher la tierce opposition contre une décision française d’exequatur. Au surplus, la voie de l’intervention est officiellement ouverte (art. 117), ce qui permettra, grâce à la combinaison des deux outils, d’offrir aux tiers une meilleure protection.
La procédure devant la cour d’appel
Troisième innovation, la procédure devant la cour d’appel en matière de recours contre les décisions du juge d’appui et les sentences est totalement réécrite (art. 87 s.). Deux objectifs sont recherchés : d’une part, rendre cette procédure accessible à la seule lecture du code de l’arbitrage, afin de permettre une meilleure prise en main ; d’autre part, un assouplissement des sanctions, avec la disparition de nombreuses caducités et irrecevabilités. Toutefois, il faudra rester vigilant, car certaines subsistent et sont parfois même modifiées par rapport à l’existant (not., sur la signification de la déclaration de recours, art. 89). Il faut encore signaler l’introduction dans le code de certains éléments résultant du protocole de procédure de la CCIP-CA, notamment la mise en place de calendriers, la possibilité de produire des pièces ou de s’exprimer en langue étrangère. Enfin, même si elle n’était pas interdite, l’audition des arbitres est désormais expressément envisagée par le texte.
Réflexions générales
L’éventualité d’une réforme du droit français de l’arbitrage suscite d’emblée plusieurs interrogations. Il faut admettre que l’entreprise n’est pas sans risque. Deux au moins peuvent être évoqués.
Codifier au risque de figer
Le rapport propose, à plusieurs endroits, de codifier la jurisprudence. Pourtant, une telle démarche peut susciter des réserves. Si la jurisprudence est ancienne et stable, à quoi bon la faire figurer dans un texte ? Si la jurisprudence est récente, n’est-il pas prématuré de la codifier ? Dans un cas comme dans l’autre, faut-il prendre le risque d’interdire au juge de faire évoluer sa solution si le besoin s’en fait sentir ?
Ces réserves sont légitimes. D’une part, il faut admettre que l’on retire au juge un pan de sa liberté en posant par écrit la règle. D’autre part, la transposition d’une solution jurisprudentielle en règle écrite n’est pas toujours aisée, au point qu’il existe un risque de faire « bouger » la règle.
Cela dit, le groupe de travail, en plusieurs occasions, a fait le choix de codifier la jurisprudence. La raison principale réside dans la visée pédagogique d’un code. Très simplement, imagine-t-on un code « gruyère », dont certaines questions pourtant essentielles sont passées sous silence ? Dans l’absolu, le droit français vit très bien avec ces trous depuis des années. Il n’en demeure pas moins qu’on peut toujours être frustré de ne pas y trouver des réponses à des questions récurrentes. Cette préoccupation prend d’ailleurs une autre dimension à l’international. Il faut toujours garder à l’esprit que les destinataires du code ne sont pas seulement des usagers rompus au droit français. Prétendre qu’une solution est connue en jurisprudence revient en réalité à admettre qu’une partie du lectorat l’ignorera. Si le pas de la codification est franchi, il faut espérer que le droit de l’arbitrage progresse vers une meilleure accessibilité : il ne doit pas rester une chasse gardée des ultra-spécialistes. Le rayonnement du droit français est à ce prix.
De nombreux exemples peuvent être donnés en ce sens. Le plus marquant se trouve dans la codification de la définition de la sentence arbitrale (art. 17), que l’on doit à l’arrêt Sardisud (Paris, 25 mars 1994, Rev. arb. 1994. 391, note C. Jarrosson). Il y a une...
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