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Création littéraire : quand le respect du droit d’auteur s’invite dans le conflit entre liberté de création et protection de la vie privée

Le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Paris le 30 janvier 2025 (n° 23/03336) aurait pu passer aussi inaperçu que la chanson qui est au cœur de la décision. Il se distingue pourtant par l’originalité de la méthode retenue par le juge, qui s’appuie sur une rigoureuse application des principes fondamentaux du droit d’auteur et des exceptions au droit exclusif, pour se prononcer dans un conflit désormais classique en matière de littérature entre respect de la vie privée et liberté de création, après avoir caractérisé la contrefaçon.

Le tribunal était saisi par un auteur-compositeur reprochant à son ex-compagne d’avoir reproduit, sans autorisation et sans mention de son nom dans le roman dont elle est l’autrice, des extraits de sa chanson Les Pompiers de Paris. Il lui reproche également de s’être inspirée de leur relation intime.

L’éditeur soutenait en défense, d’une part, que le demandeur ne justifie pas sa qualité d’auteur et, d’autre part, qu’aucun préjudice économique ne peut être invoqué, la chanson étant méconnue et introuvable sur internet. Il souligne, en outre, la contradiction entre l’allégation d’une atteinte au droit au nom et la volonté du plaignant de préserver son anonymat en n’affirmant son statut d’auteur tout au plus que sous pseudonyme. Enfin, l’éditeur estime que le préjudice invoqué ne présente pas une gravité suffisante pour justifier une restriction à la liberté de création littéraire.

La reproduction de citations dans un roman : une exception strictement encadrée par la loi et la jurisprudence

Originalité. Le tribunal commence va rechercher si la chanson est bien une œuvre, originale au sens de l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle, indépendante du roman litigieux.

L’originalité est une condition d’accès à la protection par le droit d’auteur, et il incombe à celui qui en revendique la qualification d’apporter la preuve de son existence (Civ. 1re, 15 janv. 2015, n° 13-22.798, D. 2015. 1662, obs. J.-C. Galloux et J. Lapousterle ; PIBD 2015, n° 1023, III, p. 217). Selon l’article L. 112-2, 1° et 5°, du code de la propriété intellectuelle, sont considérées comme œuvres de l’esprit notamment « (…) les compositions musicales avec ou sans paroles ». Il en résulte, s’il fallait encore en douter, que la musique et les paroles d’une chanson constituent une œuvre de l’esprit susceptible d’être protégée par le droit d’auteur pourvu que ces dernières soient bien originales. Il appartient alors à celui qui se prévaut de la protection par le droit d’auteur, de justifier que l’expression qu’il revendique reflète l’empreinte de sa personnalité. À cet effet, la Cour de justice de la communauté européenne rappelle dans un arrêt du 16 juillet 2009 ayant pour objet la recherche d’originalité d’une chanson (CJCE 16 juill. 2016, Infopaq, aff. C-5/08), que ce n’est qu’à travers le choix, la disposition et la combinaison des mots qu’il est permis à l’auteur d’exprimer son esprit créateur de manière originale et d’aboutir à un résultat constituant une création intellectuelle. C’est en ce sens que pour apprécier l’originalité de la chanson objet du litige, le juge a analysé les paroles et la structure stylistique et narrative de la chanson Les Pompiers de Paris considérant que l’emploi d’expressions franco-anglaises, la progression dramatique et l’usage d’une rythmique distinctive confèrent à la chanson une physionomie unique. En conséquence, l’originalité et la protection par le droit d’auteur sont reconnues (v. égal., Paris, 8 mars 2024, n° 22/03274, RTD com. 2024. 275, obs. F. Pollaud-Dulian ).

Qualité d’auteur et charge de la preuve. Si l’originalité constitue le préalable nécessaire à toute action en contrefaçon, le tribunal s’attache ensuite à établir la qualité d’auteur. Cette qualification est en effet une condition essentielle du bien-fondé de l’action en contrefaçon (TJ Paris, 24 mai 2022, n° 20/11677). Une nouvelle fois, il appartient à celui qui revendique cette qualité d’en apporter la preuve (Paris, pôle 5 - ch. 2, 14 sept. 2018, n° 17/11020).

En l’espèce, l’éditeur du roman incriminé soutient que le demandeur ne justifie pas formellement de sa qualité d’auteur, soulignant notamment l’absence d’inscription de l’œuvre au répertoire de la SACEM, qu’il considère comme un critère substantiel de reconnaissance de la paternité d’une œuvre musicale. Il affirme également que l’œuvre est inconnue et n’a fait l’objet d’aucune divulgation sur internet, rendant vaine toute revendication de paternité sur l’œuvre.

Or, la qualité d’auteur n’est ni définie par la loi, ni conditionnée par un quelconque acte d’enregistrement, contrairement au système en vigueur aux États-Unis, où le dépôt auprès du Copyright Office confère une présomption de titularité. En droit français, l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle établit que cette qualité découle exclusivement de l’acte de création. En vertu de l’article L. 111-2 du même code, l’œuvre est réputée créée indépendamment de toute divulgation publique, dès lors qu’elle est réalisée, même à l’état inachevé.

En outre, l’article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle instaure une présomption légale selon laquelle « la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée ». La preuve de cette paternité étant libre (Civ. 1re, 23 mars 1983, Gaz. Pal. 1983. 2. 226), il appartient aux juges du fond d’en apprécier souverainement les éléments rapportés, en tenant compte de toutes les présomptions de fait (Civ. 1re, 10 déc. 2014, n° 13-23.076, D. 2015. 1662, obs. J.-C. Galloux et J. Lapousterle ; RIDA 2/2015).

Dans le cas présent, le tribunal va reconnaître la paternité du demandeur sur la chanson dont il revendique la qualité d’auteur, après avoir retenu plusieurs éléments de preuve établissant son rôle dans la création de la chanson, dont :

  • un clip vidéo achevé en 2014 donc avant la publication du roman, montrant le demandeur en qualité de chanteur du groupe et apparaissant au générique sous...

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