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Décret complétant la transposition de la directive DAMUN : la gestion collective étendue précisée

Le décret n° 2022-928 du 23 juin 2022 vient compléter l’ordonnance du 24 novembre 2021 transposant la directive européenne DAMUN en en précisant les modalités d’application. Il détaille notamment le fonctionnement du système de licences collectives étendues créé à la suite de la directive.

par Ophélie Wang, Docteure en droitle 5 juillet 2022

Le décret n° 2022-928 du 23 juin dernier introduit des modifications à la partie réglementaire du code de la propriété intellectuelle (CPI) et précise les modalités d’application des dispositions créées ou modifiées dans ce même code par l’ordonnance n° 2021-1518 du 24 novembre 2021. Cette ordonnance venait elle-même transposer dans le droit français la directive européenne 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique (dite « directive DAMUN »). Elle créait notamment plusieurs nouvelles exceptions découlant de la directive européenne et élargissait certaines exceptions existantes. Le présent décret vient en préciser les conditions d’application.

Les exceptions que concerne le décret ont la spécificité, d’une part, d’autoriser des systèmes de licence collective étendue, et, d’autre part, de prévoir différents mécanismes d’opt-out pour les titulaires de droits qui ont la possibilité de manifester leur opposition à l’utilisation de leurs œuvres. Des dispositifs similaires existaient de longue date dans certains pays européens, en Europe du Nord ou de l’Est. En revanche, il s’agit d’une nouveauté en droit français et le texte commenté s’attache, en particulier, à détailler les modalités de mise en œuvre de ces exceptions.

Exception en vue de fouille de textes et de données (article 1, article 4 et article 9)

La fouille de texte et de données (souvent désignée par l’expression anglaise, text and data mining) est une pratique de plus en plus répandue dans tous les domaines de la recherche scientifique qui consiste à analyser, à l’aide de logiciels, d’importants corpus de documents comprenant parfois des œuvres protégées. Elle est définie à l’article L. 122-5-3 du CPI comme une « technique d’analyse automatisée de textes et données sous forme numérique afin d’en dégager des informations, notamment des constantes, des tendances et des corrélations ».

Une exception au droit d’auteur visant à permettre cette activité dans la recherche publique avait été introduite dès 2016 en droit français, mais était restée ineffective faute de précisions sur ses modalités d’application. Cette exception est entrée de nouveau dans le CPI, dans des termes un peu modifiés, à la suite de la directive européenne de 2019.

Cette nouvelle exception prévoit deux cas de figure distincts. Lorsque la fouille de texte et de données est effectuée à des fins de recherches scientifiques par des établissements publics, les titulaires de droits d’auteur ne peuvent s’opposer à cette utilisation. Ils disposent en revanche d’un droit d’information, précisé par l’article 1 du présent décret, en vertu duquel ils peuvent obtenir « tous documents et justificatifs […] permettant d’établir que les copies et reproductions numériques effectuées lors d’une fouille de textes et de données sont stockées avec un niveau de sécurité approprié et conservées à des fins exclusives de recherche scientifique ».

L’exception prévoit aussi la possibilité pour toute personne d’effectuer des fouilles de texte et de données pour toute finalité. Dans ce second cas de figure, les titulaires de droits d’auteur peuvent s’opposer à de telles utilisations de leurs œuvres. Le décret précise les modalités de cette opposition : celle-ci n’a pas à être justifiée et peut être exprimée par tout moyen, y compris par simple mention dans les métadonnées du fichier contenant l’œuvre protégée.

Exception en vue d’illustration dans le cadre de l’enseignement et de la formation professionnelle (article 1)

Alors que l’exception dite pédagogique existait déjà dans le droit français avant la directive de 2019, cette directive a élargi son champ. Soumis antérieurement aux accords entre tutelles d’établissements et organismes de gestion collective, la nouvelle exception (transposée à l’article 122-5-4 du CPI) permet l’utilisation d’œuvres protégées pour l’enseignement sans condition d’accord. Cependant, elle préserve tout de même le cadre français préexistant en précisant que l’exception ne s’applique pas lorsqu’une licence adéquate a été proposée par les ayants droit. Le décret énonce, en l’occurrence, les mentions que doivent comprendre les licences proposées et les ministères auxquels ces propositions doivent être adressées.

Enfin, il est à noter que l’ordonnance de novembre 2021 introduit une nouveauté en permettant aux organismes de gestion collective agréés de conclure des licences adéquates qui pourraient s’appliquer également aux titulaires de droits non membres de cet organisme. Cette disposition fait l’objet de précision dans le décret commenté (v. section « Licences collectives étendues »)

Exception à des fins d’exploitation d’une œuvre indisponible (article 1, article 3, article 4 et article 9)

L’exception dite bibliothèques, qui permet la numérisation d’œuvres protégées présentes dans les collections de ces institutions sans avoir à recueillir l’accord des auteurs ou ayants droit, a été élargie par la directive DAMUN. Depuis cette directive, les bibliothèques et institutions apparentées (musées, archives, etc.) peuvent non seulement numériser des œuvres protégées, mais aussi les exploiter, en les rendant disponibles sur les plateformes numériques par exemple. Cette exploitation n’est toutefois possible que sous réserve que ces œuvres soient indisponibles, c’est-à-dire, selon l’article L. 138-1 du CPI, qu’il s’agisse d’œuvres « dont on peut présumer de bonne foi, au terme d’efforts raisonnables d’investigation, qu’elle n’est pas disponible pour le public par le biais des circuits de distribution commerciaux habituels et dont la première publication ou communication au public remonte à trente ans ou plus ».

Le présent décret, dans son article 1, fait peser sur les institutions l’obligation d’établir publiquement l’indisponibilité des œuvres exploitées. Elles doivent ainsi mentionner sur leur site internet les efforts raisonnables qui ont été faits pour retrouver les ayants droit de ces œuvres et publier la liste des œuvres pour lesquelles des investigations sont en cours pour établir leur indisponibilité.

Selon un système similaire à celui en vigueur pour l’exception pédagogique, l’exploitation des œuvres indisponibles peut être soumise à un accord avec un organisme de gestion collective. De même, cet organisme de gestion, s’il est agréé, peut passer des accords qui seront étendus aux titulaires de droits non membres. Ce dispositif est précisé dans le décret (v. section « Licences collectives étendues »).

Exploitation des livres indisponibles (article 2)

Créée en 2012, la possibilité d’exploiter certains livres indisponibles sans autorisation des titulaires de droits, prévue aux articles L. 134-1 et suivants du CPI, avait été suspendue en 2017, car elle ne respectait pas la directive 2001/29 sur le droit d’auteur (CE 7 juin 2017, n° 368208, Dalloz IP/IT 2017. 648, obs. V. Benabou ; Légipresse 2017. 362 et les obs. , faisant suite à CJUE 16 nov. 2016, aff. C-301/15, Dalloz actualité, 2 déc. 2016, obs. J. Daleau).

La nouvelle directive DAMUN, en autorisant l’exploitation sans autorisation des œuvres indisponibles, a permis de réactiver ce dispositif spécifique aux livres du XXe siècle. Ce dernier comprend un système d’opt-out pour les ayants droit dont le présent décret précise, dans son article 2, comment l’exercer.

Licences collectives étendues (article 3, article 5 à 8)

L’une des principales nouveautés, concernant les exceptions au droit d’auteur, introduite par la directive DAMUN et par son ordonnance de transposition, consiste en la possibilité d’élargir les accords conclus par des organismes de gestion collective agréés aux titulaires de droits non membres de ces organismes. Cette possibilité s’applique en particulier dans le cadre de l’exception à fins d’illustration dans le cadre de l’enseignement et de la formation et la formation professionnelle et de celle à fins d’exploitation des œuvres indisponibles.

Le décret indique, dans ses articles 7 et 8, comment sont délivrés les agréments. Il détaille les conditions nécessaires pour l’obtenir en reprenant et précisant la liste des éléments mentionnés aux articles L. 138-2 (œuvres indisponibles) et L. 324-8-3 (exceptions pédagogiques) du CPI : un organisme de gestion collective doit justifier d’un nombre significatif de titulaires de droits représentés, de la qualité professionnelle de ses gérants, des dispositions pour garantir l’égalité entre titulaires de droits membres ou non membres et donner des informations relatives à ses moyens humains et financiers. Les agréments sont ensuite délivrés par le ministère de la Culture pour cinq ans.

Par ailleurs, les titulaires de droit qui ne sont pas membres d’un organisme de gestion collective ont toujours la possibilité de sortir de l’accord qui aurait été conclu par l’organisme, comme cela est prévu à l’article L. 324-8-2 du CPI. Dans ses articles 3 et 5, le décret spécifie les modalités de cette opposition qui peut être « notifiée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par tout autre moyen permettant d’attester de la date de réception et de l’identité du destinataire, y compris par voie électronique » et qui « n’a pas à être motivée ».