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Égalité de traitement : clap de fin de la comparaison des fonctions de valeur égale ?

Par trois arrêts du 4 avril 2018, la Cour de cassation vient préciser les situations pouvant être comparées dans le cadre de l’application du principe d’égalité de traitement pour le bénéfice du « complément Poste ». 

par Marie Peyronnetle 17 avril 2018

Le complément Poste n’en finit plus d’alimenter le contentieux du principe d’égalité de traitement. Pour rappel, depuis la loi du 2 juillet 1990, coexistent au sein de La Poste deux catégories de personnels : des fonctionnaires relevant du statut général de la fonction publique et des salariés de droit privé. Par « une délibération du 25 janvier 1995 du conseil d’administration de La Poste, les primes et indemnités perçues par les agents de droit public et les agents de droit privé et initialement regroupées au sein d’un complément indemnitaire ont été supprimées et incorporées dans un tout indivisible appelé “complément Poste” constituant désormais de façon indissociable l’un des sous-ensembles de la rémunération de base de chaque catégorie de personnel et, selon la décision n° 717 du 4 mai 1995 du président du conseil d’administration de La Poste, la rémunération des agents de La Poste se compose de deux éléments, d’une part, le traitement indiciaire pour les fonctionnaires ou le salaire de base pour les agents contractuels, lié au grade et rémunérant l’ancienneté et l’expérience, d’autre part, le “complément Poste”, perçu par l’ensemble des agents, qui rétribue le niveau de fonction et tient compte de la maîtrise du poste ».

Le 4 avril 2018, la chambre sociale s’est prononcée, par trois arrêts différents sur le sujet de ce complément poste et de sa compatibilité avec le principe d’égalité de traitement, aboutissant à trois reprises (deux arrêts de rejet et une cassation) à sa non-application aux cas d’espèce.

L’arrêt n° 627, concernant le pourvoi n° 17-11.814, rejette la demande d’une salariée qui se comparait à un « agent fonctionnaire (AFO) de grade équivalent » en estimant qu’ « ayant constaté que la salariée ne se comparait à aucun fonctionnaire déterminé exerçant au même niveau des fonctions identiques ou similaires, la cour d’appel en a exactement déduit, sans inverser la charge de la preuve, qu’aucune atteinte au principe d’égalité de traitement n’était caractérisée ». Dans cette première décision, le principe d’égalité de traitement ne peut être appliqué faute de situations comparables. Les justifications de l’employeur, offrant une comparaison avec des fonctionnaires du secteur médian au lieu de fonctionnaires du secteur haut comme le demandait la salariée, sont donc, à ce stade du raisonnement juridique, inutiles et ne sont donc pas étudiées.

L’arrêt n° 623, concernant la jonction des pourvois nos 17-11.680 à 17-11.693, rejette également la demande des salariés. Cette dernière portait cette fois sur la comparaison de salariés et fonctionnaires avec des fonctions identiques de facteur, à un même niveau. Cependant, la cour d’appel « ayant constaté, par motifs propres et adoptés, que les fonctionnaires percevant un complément Poste “seuil haut” auxquels les salariés se comparaient, quoiqu’exerçant en dernier lieu au même niveau des fonctions identiques ou similaires de facteur, avaient tous, à la différence des salariés, occupé des fonctions qui, par leur diversité et leur nature, leur conféraient une meilleure maîtrise de leur poste, la cour d’appel en a exactement déduit, sans inverser la charge de la preuve, qu’aucune atteinte au principe d’égalité de traitement n’était établie ; que le moyen n’est pas fondé ». Il aurait été intéressant de savoir quelle différence existe entre la « maîtrise du poste » telle que décrite ci-dessus et « l’expérience » déjà prise en considération dans le traitement indiciaire des fonctionnaires (et le salaire de base des salariés).

Enfin, l’arrêt n° 619, concernant les pourvois nos 16-27.703 à 16-27.805, est le seul aboutissant à une cassation. En effet, le conseil de prud’hommes de Paris, statuant en premier et dernier ressort, avait estimé qu’« en l’espèce, la partie demanderesse, agent contractuel de droit privé, employée par La Poste, établit que certains fonctionnaires effectuant un travail de valeur égale au même niveau de fonction perçoivent chaque mois un “complément Poste” d’un montant plus élevé, ce qui constitue une violation du principe d’égalité ».

Le conseil de prud’hommes avait constaté que les « deux salariés, agent contractuel et fonctionnaire, employés au même niveau de fonction avec une maîtrise similaire de leur poste, se trouvent placés dans une situation identique au regard du complément Poste, La Poste ne faisant pas la démonstration que la disparité observée entre les deux agents ayant le même niveau de fonction s’expliquerait par une maîtrise du poste différente ». Il en déduisait donc que le complément poste devait être du même niveau.

Mais la Cour de cassation casse et annule ce jugement, sans renvoi, au motif que « les salariés ne se comparaient pas à des fonctionnaires exerçant des fonctions identiques ou similaires et que, dès lors, les intéressés n’offraient pas de démontrer être dans une situation identique ou similaire à celle des fonctionnaires considérés ». Ainsi, pour la Cour de cassation, il n’appartient plus aux juges du fond, dans l’application du principe d’égalité de traitement, de rechercher si les fonctions sont de niveaux identiques mais exige que les fonctions des travailleurs que l’on compare soient identiques ou similaires.

Cette position semble à la fois constituer un retour en arrière vis-à-vis de la jurisprudence antérieure de la chambre mais également être contradictoire avec sa jurisprudence actuelle concernant la place laissée aux partenaires sociaux dans l’élaboration de différences de traitement entre les salariés. En effet, depuis le revirement du 27 janvier 2015, les partenaires sociaux sont beaucoup plus libres d’instituer des différences de traitement entre les salariés dans le cadre d’accords ou conventions collectives (Soc. 27 janv. 2015, n° 13-14.773, Bull. civ. V, n° 8 ; 13-22.179 ; Bull. civ. V, n° 9 ; n° 13-25.437, Bull. civ. V, n° 10 ; Dalloz actualité, 6 févr. 2015, obs. M. Peuronnet ; ibid. 2015. 829, obs. J. Porta et P. Lokiec ; ibid. 2340, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2015. 237, étude A. Fabre ; ibid. 351, étude P.-H. Antonmattei ; RDT 2015. 339, obs. E. Peskine ; ibid. 472, obs. G. Pignarre ). Or, si l’on suit cette nouvelle dynamique jurisprudentielle, si la convention prévoit que les fonctionnaires bénéficient d’un complément poste supérieur aux salariés, les juges devraient logiquement s’incliner, les partenaires sociaux étant libres d’opérer ce genre de distinctions. Pourtant, ce sont les partenaires sociaux eux-mêmes qui, dans les grilles de classification des emplois applicables au sein de La Poste, ont défini que tels fonctionnaires et tels salariés, qui effectivement n’exercent pas les mêmes fonctions (personnel d’accueil et chauffeur poids-lourds), se trouvent au même niveau de fonction (« I-3 »). Il n’est donc pas déraisonnable de considérer, dans une recherche de cohérence, que ce que les partenaires sociaux ont estimé être équivalent soit déterminant pour l’application du principe d’égalité de traitement. Ainsi, lorsque l’avantage a pour objets « le niveau de fonction » et « la maîtrise du poste », il n’y a pas lieu d’exiger, pour l’application du principe d’égalité de traitement, une comparaison entre des salariés ayant des « fonctions identiques ou similaires ».

Cette solution semble nous ramener huit ans en arrière. Lorsque la Cour avait opéré un revirement de jurisprudence très important concernant le principe « à travail égal, salaire égal ». La chambre sociale avait enfin admis que soit comparée la situation d’une directrice des ressources humaines avec celle des directeurs chargés de la politique commerciale et des finances de l’entreprise. La Cour ayant estimé que, « selon l’article L. 3221-4 […], sont considérés comme ayant une valeur égale les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l’expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse » (Soc. 6 juill. 2010, n° 09-40.021, Dalloz actualité, 27 juill. 2010, obs. L. Perrin ; Dr. soc. 2010. 1076, avis S. Zientara-Logeay ; RDT 2010. 723, obs. T. Aubert-Monpeyssen ), elle avait ainsi permis d’ouvrir le champ d’application du principe d’égalité à l’ensemble des situations comparables et de ne plus se cantonner aux situations identiques.

Refuser de tenir compte de la propre grille de classification de La Poste et des termes de sa convention collective prévoyant le « complément poste », pour rejeter l’application du principe d’égalité de traitement dans cette dernière espèce, nous semble très critiquable et prive d’intérêt les grilles de classification. Cette solution pourrait constituer, si elle se confirme, un violent coup de frein dans la lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Les premières n’exerçant pas – d’un point de vue statistique – les mêmes emplois que les seconds, en suivant la nouvelle logique de la Cour de cassation, il serait impossible de comparer leurs situations respectives. Que deviendrait dès lors la comparaison des travails de « valeur égale » prévue par l’article L. 3221-4 du code du travail ? Le principe « à travail égal ou de valeur égale, salaire égal » étant considéré comme une expression particulière d’un principe plus « large » qu’est celui de l’égalité de traitement, pourquoi ce dernier serait apprécié de manière plus restrictive ?