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En amont des comparutions immédiates de Paris, la section P12 du parquet donne progressivement une qualification juridique aux faits commis dans la capitale. Elle devient ensuite un chef de prévention, débattu à l’audience. Nous avons eu l’autorisation exceptionnelle d’observer toute la chaîne pendant plusieurs jours.
par Antoine Blochle 10 avril 2019
Il faut arpenter un dédale de couloirs, une passerelle et un sas sécurisé. C’est enfin derrière une grille que se niche l’unité de traitement en temps réel (TTR) du parquet de Paris. Des magistrats de permanence y coordonnent les affaires dont leur rendent compte des officiers de police judiciaire (OPJ) de tous les services de la capitale. Le jargon de flic des vieux polars y est donc de coutume, de même que l’alphabet radio. Au passage, de mauvaises langues feraient remarquer que les locaux ne se trouvent pas à proprement parler dans le « nouveau » tribunal de Paris, mais dans le « bastion » voisin, siège de la PJ parisienne : c’est pour être plus proche du dépôt. Dans l’open space de la permanence générale transite l’essentiel des infractions délictuelles faisant l’objet d’une enquête de flagrance (et accessoirement d’une garde à vue). Elles ont en principe vocation à se retrouver aux comparutions immédiates, devant la 23e chambre correctionnelle ou une chambre de délestage. On y croise donc à peu près tout ce qui n’est pas criminel (du ressort de la « perm’ crim’ »), n’est pas en enquête préliminaire (section P20), ne vise pas un mineur (section P4) et ne relève pas d’une section spécialisée (par exemple, la C1 pour ce qui est « terro »). Les premières (re)qualifications se font à chaud, au gré des échanges téléphoniques, puis un examen plus poussé en « salle de qualif’ » permet d’aboutir à un chef de prévention… qui reste toutefois en suspens jusqu’aux derniers délibérés, régulièrement rendus au cœur de la nuit.
Acte I. À la permanence générale
Dans cette première phase, les magistrats prenaient jusqu’à peu des notes sur des feuilles volantes, dont on se demandait parfois quelles traces elles pouvaient laisser dans les procédures avant de finir en boule à la corbeille. Désormais, sauf bien sûr quand l’informatique tombe en rade, tout se fait sur ordinateur, casque sans fil rivé aux oreilles. Mais toujours à un rythme fou : au bout de quelques minutes seulement s’esquisse un curieux patchwork de roulotteurs, dealers de crack, arracheurs de portables et paumés en tout genre…
Par exemple, la nuit dernière, dans le XIIIe arrondissement, la BAC de nuit a monté un « dispo » devant un foyer et repéré, vers minuit, le ballet de plusieurs individus dans une ruelle sombre. Plusieurs d’entre eux se sont fait la malle, mais deux ont été interpellés, séparément. Le cas du premier ne fait pas un pli : on a trouvé sur lui deux plaquettes de résine (de 100 g chacune). Le second est considéré comme un rabatteur, même s’il ne semble pas pour l’heure avoir fait grand-chose d’autre que revendre deux ou trois clopes. La proc’ est pour le moins dubitative : « c’est léger tout ça et je ne vous sens pas méga emballé par cette procédure… ». L’interlocuteur, qui prend son service et n’en sait guère plus, le concède aisément : « c’est sûr qu’on a vu mieux, ça va être dur de l’accrocher ». La magistrate donne son accord pour une « perquise », mais le gardé à vue n’a pas de clé sur lui : « on pourrait casser… », tente l’OPJ. Mais elle calme tout net ses ardeurs : « alors non, on va éviter d’y aller comme des bourrins et de buter la porte, parce qu’après on m’envoie des courriers, et c’est pénible ». Sage décision, car au fil de la journée, il apparaît de plus en plus clairement que le vendeur de cigarettes n’a rien à voir dans l’histoire : il aurait juste pris contact avec les autres pour faire de la monnaie. Classement sans suite. Le mis en cause, qui ne l’est donc plus vraiment, fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), avec placement en centre de rétention administrative (CRA) : il n’est donc pas au bout de ses peines. Mais la porte est intacte.
Coup de fil du XIe : un hurluberlu, auquel il restait fort peu de sang dans l’alcool, aurait tenté à l’aube d’incendier deux motos, puis plusieurs poubelles, des faits qu’il nie sans relâche depuis son interpellation. Il y a un témoin direct (dûment auditionné) pour l’une seulement des motos, mais deux passants ont dans leurs smartphones des vidéos du mauvais pyromane se rabattant sur des containers verts en attente de ramassage. Pas de constatations au dossier puisque ces derniers n’ont jamais été retrouvés, malgré une enquête de voisinage auprès des gardiens d’immeubles du coin. Pour la qualification, le service interpellateur est parti sur des destructions par incendie, mais rien ne semble avoir été ne serait-ce que dégradé : ce sont donc de simples tentatives, avec des commencements d’exécution, mais ayant manqué leur effet en raison de circonstances indépendantes de la volonté de leur auteur (C. pén., art. 121-5). Cela ne change rien aux peines encourues (C. pén., art. 322-11) mais a l’éminent mérite de tenir la route. En pratique, la proc’ retient pour les motos une tentative de dégradation ou détérioration du bien d’autrui par un moyen dangereux pour les personnes (dix ans et 150 000 €, C. pén., art. 322-6). S’agissant des poubelles de la ville de Paris, en raison de l’absence de risque d’explosion (et sans doute aussi pour varier les plaisirs), la notion de danger s’efface derrière une circonstance (car les deux sont incompatibles) : ce sont des biens destinés à l’utilité ou à la décoration publique et appartenant à une personne publique ou chargée d’une mission de service public (cinq ans et 75 000 €, C. pén., art. 322-3). À la demande de la magistrate, on présente les vidéos au mis en cause, qui se reconnaît dessus mais maintient ne se souvenir de rien, puis les cinéastes amateurs sont entendus… ou presque (l’un par téléphone, l’autre par e-mail). De l’audience du lendemain, il ressortira que le prévenu a été interpellé, tout juste dix jours auparavant, dans le même quartier et pour les mêmes faits, puis placé sous contrôle judiciaire (CJ) dans l’attente de son jugement. L’expertise psy ne fera état d’aucune abolition ou altération du discernement et le roi du barbecue écopera de dix mois, dont cinq de sursis avec mise à l’épreuve (SME), mais aussi d’une interdiction de paraître dans le XIe ou dans un débit de boissons.
Nouvel appel entrant, nouvelle affaire : un refus d’obtempérer avec mise en danger (cinq ans et 75 000 € encourus). La proc’ demande une exploitation de la « PZVP » (le réseau de vidéoprotection parisien), ainsi que le procès-verbal qui...
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