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Harcèlement moral et rupture conventionnelle : la rupture n’est pas nécessairement nulle

En l’absence de vice du consentement, l’existence de faits de harcèlement moral n’affecte pas en elle-même la validité de la convention de rupture intervenue en application de l’article L. 1237-11 du code du travail.

par Loïc Malfettesle 7 février 2019

Peut-on valablement conclure une rupture conventionnelle dans un contexte d’existence d’un harcèlement moral ?

La question du contexte de conclusion de la convention de rupture prévue par l’article L. 1237-11 du code du travail est bien connue en jurisprudence. Celle-ci étant un acte juridique, elle se voit soumise aux conditions de validité qui leurs sont propres, en sus de conditions spécifiques définies par le code du travail. Ainsi a-t-il été jugé que l’existence d’un vice affectant le consentement d’un salarié lors de la conclusion d’une rupture conventionnelle du contrat de travail peut être soulevée pour en invoquer la nullité, l’appréciation relevant du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond (Soc. 16 sept. 2015, n° 14-13.830 P, Dr. soc. 2015. 941, obs. D. Chenu ).

En revanche, et contrairement à la jurisprudence applicable par le passé à la rupture d’un commun accord, les juges considèrent aujourd’hui que l’existence d’un différend entre les parties au contrat de travail au jour de la signature n’affecte pas par elle-même la validité de la convention de rupture « en l’absence de pression ou contrainte exercée sur le salarié pour l’inciter à choisir la voie de la rupture conventionnelle » (V. Soc. 23 mai 2013, n° 12-13.865 P, D. 2013. 1355, obs. B. Ines ; ibid. 1768, chron. P. Flores, S. Mariette, F. Ducloz, E. Wurtz, C. Sommé et A. Contamine ; ibid. 2014. 1115, obs. P. Lokiec et J. Porta ; RDT 2013. 480, obs. G. Auzero , concernant une nullité de la rupture en présence de menaces de ternir la poursuite du parcours professionnel du salarié ; ou encore récemment, Soc. 15 janv. 2014, n° 12-23.942 P, D. Actu., 6 févr. 2014, obs. C. Fleuriot ; ibid. 1115, obs. P. Lokiec et J. Porta ).

A défaut de telles pressions ou contraintes, la nullité de la convention ne peut reposer sur de simples tensions entre les parties (V. Soc. 3 juill. 2013, n° 12-19.268 P, D. 2013. 1752 ; RDT 2013. 555, obs. G. Auzero , où la convention de rupture avait été signée alors que la salariée venait de refuser la modification de son contrat de travail, ce qui en soit se révèle insuffisant).

Mais qu’en est-il lorsque le contexte de rupture n’est pas seulement conflictuel, mais recèle une véritable situation de harcèlement moral ? Tel était précisément le cas dans cet arrêt rendu par la chambre sociale le 23 janvier 2019.

Dans cette affaire, une salariée engagée en qualité d’agent administratif et commercial a, après avoir signé une convention de rupture avec son employeur, saisit les juridictions prud’homales afin d’en voir prononcer la nullité.

À l’appui de sa prétention, elle invoquait que la rupture conventionnelle était intervenue dans un contexte de harcèlement moral. Cette seule circonstance permettrait, suivant l’argumentation de la salariée, d’obtenir l’annulation de la rupture de son contrat de travail, et ce sans avoir à prouver un vice du consentement, sur le fondement de l’article L. 1152-3 du code du travail.

Parmi les éléments de preuve avancés, il était question d’une dégradation progressive de l’état de santé psychique de la salariée, qu’elle imputait aux tensions qui pouvaient exister entre elle et son directeur. Plusieurs témoignages apportés dans les débats faisaient en effet état du fait qu’elle devait consigner par écrit sur un cahier toutes les tâches qu’elle accomplissait, y compris ses pauses pour aller aux toilettes, que le gérant avait demandé à plusieurs reprise si elle prenait des médicaments à ses collègues, et plus largement qu’il la dénigrait pour incompétence.

Aussi, les juges d’appel, sensibles à ces arguments ont caractérisé la situation de harcèlement moral et en ont tiré comme conséquence la nullité de la rupture conventionnelle intervenue dans ce contexte, sans exiger de la salariée qu’elle ne démontre un quelconque vice de son consentement.

L’employeur s’est alors pourvu en cassation pour contester cette solution.

La Cour de cassation, au visa des articles L. 1237-11, L. 1152-1 et L. 1152-3 du code du travail, va casser l’arrêt d’appel en précisant qu’en l’absence de vice du consentement, l’existence de faits de harcèlement moral n’affecte pas en elle-même la validité de la convention de rupture intervenue en application de l’article L. 1237-11 du code du travail.

Cette solution s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence précédemment évoquée sur les circonstances de la rupture qui sont ici encore analysées au (seul) prisme des conditions de validité des contrats, et en particulier celles inhérentes aux vices du consentement.

Pour la chambre sociale, l’argumentation se positionnant sur le harcèlement moral est jugée totalement inopérante, puisqu’elle précise que quand bien même un tel harcèlement serait établi, il n’affecte pas en lui-même la validité de la convention de rupture.

Cette solution constitue un apport intéressant en ce qu’elle vient préciser la portée de l’article L. 1152-3 du code du travail. Celui-ci dispose en effet pourtant que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions prohibant le harcèlement moral est nulle. Bien que l’article cité par l’article L. 1152-3 évoque l’hypothèse d’un salarié qui se ferait licencier pour avoir subi ou refusé de subir un harcèlement moral, rien ne nous empêchait de penser que la rupture conventionnelle puisse également être concernée. Ceci à plus forte raison qu’il est fait état de « toute rupture du contrat » lorsque le législateur énonce la sanction de nullité.

Par cet arrêt, la Cour neutralise la tentation de mettre en œuvre une stratégie argumentative se positionnant sur le harcèlement moral pour obtenir la nullité d’une rupture conventionnelle lorsque les éléments permettant de prouver un vice du consentement sont manquants.

L’un des principaux intérêts d’une telle stratégie eut été de profiter d’un régime probatoire plus favorable au salarié que le droit commun, puisque la charge de la preuve d’un harcèlement moral ne repose pas sur le salarié (V. Soc. 16 mai 2018, n° 16-19.527). Il doit en effet simplement apporter la preuve de la matérialité des faits qui selon lui caractérisent le harcèlement moral. Lorsque le juge considère que la matérialité des faits est établie par le salarié, une présomption simple est posée et il revient à l’employeur de démontrer que lesdits faits ne sont pas constitutifs de harcèlement moral.

À en suivre le raisonnement des Hauts magistrats, le salarié victime de harcèlement moral qui souhaite obtenir la nullité de la convention de rupture devra établir qu’il était placé dans une situation telle qu’il n’a pas pu donner un consentement libre et éclairé à l’acte, ce qui se révèle nettement plus compliqué.