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Licenciement pour faute : étendue du pouvoir de contrôle du juge

Il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux du motif du licenciement disciplinaire et, partant, de s’assurer que la faute invoquée par l’employeur est suffisamment grave pour justifier la rupture.

par Julien Cortotle 27 novembre 2017

Au milieu d’une période mouvementée pour le droit du travail, il n’est pas inutile de rappeler les fondamentaux. Parmi ces derniers figure en bonne place l’exigence pour tout licenciement de présenter une cause réelle et sérieuse (C. trav., art. L. 1232-1 pour le licenciement pour motif personnel et L. 1233-2 pour le licenciement pour motif économique). Cet impératif, posé par la loi du n° 73-680 du 13 juillet 1973 modifiant le code du travail en ce qui concerne la résiliation du contrat de travail a durée indéterminée, souffre néanmoins d’une imprécision quant à son contenu. En effet, la cause réelle et sérieuse n’est définie ni par la loi, ni par la jurisprudence (v. G. Auzero, D. Baugard, E. Dockès, Droit du travail, 31e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2017, p. 557). Pour cerner ces notions, il est de coutume de se rapporter aux travaux parlementaires ayant entouré l’adoption de la loi précitée. C’est ainsi que l’on retient, sur la base des déclarations du ministre du travail d’alors, que la cause sérieuse de licenciement (il en va de même pour la faute sérieuse) est celle qui, d’une certaine gravité, rend impossible, sans dommages pour l’entreprise, la poursuite de la relation de travail et rend par conséquent nécessaire le licenciement (JO - débats AN, 30 mai 1973, p. 1619). Par suite, le licenciement pour faute grave pourra être envisagé lorsque le comportement du salarié rend immédiatement impossible cette continuation.

Prononcé par l’employeur seul, le licenciement n’est pas à l’abri d’un recours de la part du salarié dont le contrat a été rompu. C’est ainsi que l’article L. 1235-1 du code du travail précise qu’il appartient au juge d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur. Reste à déterminer l’étendue du pouvoir du juge. Plus précisément, lorsque la faute est établie par l’employeur, celui-ci est-il totalement libre dans le choix des conclusions à en tirer ou le juge peut-il remettre en cause son appréciation de la gravité de la faute ? C’est là tout le problème de la proportionnalité de la mesure au comportement reproché qui ressort de la décision du 25 octobre 2017.

Dans cette affaire, une salariée avait utilisé à des fins personnelles une carte de télépéage mise à sa disposition par son entreprise et téléchargé des fichiers personnels volumineux sur l’ordinateur portable qui lui avait été confié dans le cadre de son activité professionnelle. Licenciée pour faute grave par son employeur, elle décidait de contester cette sanction.

Alors que la cour d’appel a écarté toute idée de faute susceptible de justifier une rupture du contrat, et donc a fortiori de faute grave, l’employeur se pourvoit en cassation. Il considère notamment que, sous couvert d’appréciation de la cause réelle et sérieuse de la rupture, les juges du fond ont recherché si la sanction prononcée était ou non proportionnée à la faute établie du salarié. Or, selon lui, il n’appartient pas au juge prud’homal de décider si la sanction du licenciement disciplinaire est proportionnée aux fautes du salarié dont il retient l’existence.

L’argument se comprend par la référence faite, dans le pourvoi, à l’article L. 1333-3 du code du travail. Cette disposition écarte les règles du contrôle juridictionnel des sanctions disciplinaires posées par les deux articles précédents – au nombre desquelles le contrôle de proportionnalité – lorsque la sanction prononcée est un licenciement. En cas de rupture, il est en effet renvoyé aux dispositions des articles L. 1235-1 et suivants du code du travail visant le licenciement. Or la lecture de ces articles ne met pas en place, à proprement parler, un contrôle de proportionnalité du licenciement par le juge par rapport aux faits invoqués par l’employeur.

Fort logiquement, la Cour de cassation ne suit pas ces développements. Considérant qu’il résulte de l’article L. 1235-1 qu’il appartient au juge d’apprécier le caractère sérieux du licenciement, elle retient que les juges du fond ont pu considérer que les faits reprochés et établis n’étaient pas constitutifs d’une faute grave ni d’une cause réelle et sérieuse de licenciement.

On ne peut qu’acquiescer. Le contrôle de la cause sérieuse de licenciement, considéré au regard de la définition présentée supra, inclut nécessairement un contrôle de proportionnalité du licenciement par le juge du fond au regard des faits reprochés, étant donné qu’ils doivent revêtir une gravité suffisante. Assurément, la réforme opérée par la loi de 1973 aurait été privée d’une bonne partie de son efficacité dans le cas contraire.

Au demeurant, la chambre sociale ne fait ici que confirmer une position constante, par laquelle elle considère que les juges du fond doivent rechercher si le comportement professionnel du salarié, même reconnu par ce dernier comme fautif, constitue une cause de licenciement (Soc. 9 avr. 1987, n° 84-40.461, Bull. civ. V, n° 204). Participe du même mouvement la jurisprudence selon laquelle il relève de l’office du juge d’apprécier la gravité de la faute reprochée afin de retenir une faute sérieuse s’il considère que la faute grave visée par l’employeur ne doit pas être retenue (Soc. 26 juin 1991, n° 90-41.219, Bull. civ. V, n° 329).