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Logement : avant ELAN, l’action de groupe était impossible

Le contrat de location d’un logement, en ce qu’il oblige le bailleur à mettre un immeuble à la disposition du locataire afin qu’il en jouisse pendant un certain temps, sans imposer au premier, à titre principal, l’exécution d’une prestation, ne constitue pas un contrat de fourniture de services.

par Agnès Danonle 5 juillet 2019

S’inspirant du système des class actions, apparu aux États-Unis dans les années 1950, et de celui des actions collectives au Canada, le législateur a décidé d’introduire en droit français l’action de groupe, qui peut être définie comme une procédure de poursuite collective permettant à des consommateurs, qui s’estiment victimes d’un même préjudice causé par un professionnel, de se regrouper et d’agir en justice.

Certes, les associations de défense de consommateurs avaient déjà la possibilité d’exercer une action collective sous l’empire du droit antérieur grâce à la procédure de représentation conjointe. Mais la mise en œuvre de celle-ci était très difficile car elle imposait d’identifier préalablement les consommateurs lésés et de recueillir auprès de chacun d’eux un mandat pour agir. Surtout il n’était pas envisageable pour d’autres consommateurs, faisant état d’un préjudice identique de se joindre ultérieurement au groupe afin d’obtenir également réparation.

C’est ainsi que la loi « Hamon » n° 2014-344 du 17 mars 2014 a ajouté au code de la consommation un article (alors numéroté L. 423-1) ainsi rédigé :

« Une association de défense des consommateurs représentative au niveau national et agréée en application de l’article L. 411-1 peut agir devant une juridiction civile afin d’obtenir la réparation des préjudices individuels subis par des consommateurs placés dans une situation similaire ou identique et ayant pour cause commune un manquement d’un ou des mêmes professionnels à leurs obligations légales ou contractuelles :
1° À l’occasion de la vente de biens ou de la fourniture de services ;
2° Ou lorsque ces préjudices résultent de pratiques anticoncurrentielles au sens du titre II du livre IV du code de commerce ou des articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
L’action de groupe ne peut porter que sur la réparation des préjudices patrimoniaux résultant des dommages matériels subis par les consommateurs. »

Nous la qualifions ici d’action de groupe « consommation » afin de la différencier de deux autres actions de groupe existant également en droit français : celle concernant les dommages causés par des produits de santé introduite par l’article 84 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé et celle issue de loi n° 2016-1547 de modernisation de la justice du 21e siècle du 18 novembre 2016, concernant les discriminations, à l’environnement, et aux protections des données à caractère personnel.

Cette action de groupe « consommation » (C. consom., art. L. 623-1 s.) est une procédure de nature judiciaire réservée aux associations de défense des consommateurs représentatives au niveau national et agréées par arrêté ministériel (il y en a aujourd’hui quinze) et ressort de la compétence exclusive du tribunal de grande instance (depuis l’assignation jusqu’à l’indemnisation finale des consommateurs).

Ses conditions et modalités d’exercice ont été fixées dans un décret du 24 septembre 2014 et explicitées par une circulaire très complète du ministère de la justice du 26 septembre 2014. Cette réglementation assez dense concerne les « préjudices individuels patrimoniaux résultant d’un dommage matériel » (ce qui exclut donc ceux résultant de dommages corporels, moraux, ou environnementaux) ayant pour « cause commune un manquement d’un ou des mêmes professionnels à des obligations légales ou contractuelles » et qui interviennent « à l’occasion de la vente de biens ou de la fourniture de services » ou « résultent de pratiques anticoncurrentielles ».

Le Syndicat du logement et de la consommation de la Confédération syndicale des familles (SLC-CSF) a été l’une des premières associations de consommateurs à introduire une action de groupe en assignant un bailleur social (Paris-Habitat) aux fins obtenir sa condamnation au paiement de 30 €, par locataire et sur une période de trois ans, à titre de remboursement de frais liés au dispositif de télésurveillance des ascenseurs dont ils contestaient le caractère récupérable.

C’est dans ce cadre que s’est posée la question de savoir si l’action de groupe « consommation » pouvait, ou non, concerner les litiges locatifs.

Pour ce faire, il convenait de répondre à trois questions.

La première question était de savoir si un locataire pouvait être considéré comme un consommateur. Elle n’a posé aucune difficulté et n’a d’ailleurs jamais été véritablement débattue. En effet, la loi Hamon a introduit un article préliminaire dans le code de la consommation définissant ainsi le consommateur : « personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale » (à noter que le terme « agricole », qui manquait étrangement à cette liste d’adjectifs, ne sera rajouté que par l’ordonnance du 14 mars 2016, relative à la partie législative du code de la consommation).

Il en a été de même pour la deuxième question concernant la qualification de « professionnel » du bailleur qui, par effet miroir avec la définition du consommateur, concerne selon cette même ordonnance « toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu’elle agit au nom ou pour le compte d’un autre professionnel ».

Ainsi, si le bailleur est une personne physique (ou assimilée, comme c’est le cas pour les sociétés civiles immobilières familiales), il ne peut faire l’objet d’une action de groupe « de consommation » puisqu’il n’est pas un professionnel.

Par contre, si le bailleur est une personne morale, il est alors indéniable qu’il possède la qualité de professionnel, ce qui est évidemment le cas des bailleurs sociaux. Il en est de même des mandataires professionnels (car ils agissent bien « au nom ou pour le compte d’un autre professionnel »), ce qui explique d’ailleurs que l’association UFC Que Choisir a pu introduire une action de groupe « consommation » à l’encontre du groupe Foncia pour contester la facturation d’avis d’échéance aux locataires, étant précisé que son action a été déclarée irrecevable par le tribunal de grande instance de Nanterre pour un autre motif (TGI Nanterre, 8e ch., 14 mai 2018, n° 14/11846, D. 2019. 607, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; JA 2018, n° 582, p. 12, obs. X. Delpech ).

En fait, la pierre d’achoppement à la recevabilité de l’action de groupe « consommation » était la troisième question : le contrat de bail peut-il être qualifié juridiquement de « contrat de fourniture de services » et, dans ce cas, est-il régi par le code de la consommation ?

Dans la mesure où la procédure introduite par le SLC-CSF, concernant les frais liés au dispositif de télésurveillance des ascenseurs, a fait l’objet d’un règlement transactionnel, il a fallu attendre la troisième action de groupe « consommation », engagée à l’initiative de la Confédération nationale du logement (CNL) contre un autre bailleur social (la société Immobilière 3F) pour avoir la réponse à cette question.

La CNL reprochait à l’Immobilière 3F d’avoir fait application d’une clause insérée dans les conditions générales des baux consentis à ses locataires ainsi libellée : « Le retard dans le paiement d’une partie ou de la totalité du loyer, du supplément de loyer de solidarité et des dépenses récupérables donne lieu au versement par le locataire d’une somme égale à 2 % du montant impayé ». Elle l’a donc assignée devant le tribunal de grande instance (TGI) de Paris sur le fondement des dispositions relatives à l’action de groupe « consommation », aux fins de voir déclarer cette clause non écrite et d’obtenir sa condamnation à rembourser aux locataires les sommes litigieuses.

Suivant jugement du 27 janvier 2016 (TGI Paris, 27 janv. 2016, n° 15/00835, D. 2016. 1690 , note B. Javaux ; JA 2016, n° 545, p. 9, obs. X. Delpech ) le TGI de Paris a décidé, contrairement à ce que l’Immobilière 3F soutenait, que cette action était recevable, en considérant notamment à cet effet qu’il était « indiscutable que le législateur a clairement manifesté sa volonté d’inclure le secteur du logement social dans le champ d’application du dispositif de l’action de groupe ».

Effectivement, il semblait résulter des travaux parlementaires que l’intention du législateur avait été d’inclure les litiges nés d’un contrat de location dans le champ de l’action de groupe (Rapp. AN n° 1574, p. 40) et l’administration avait considéré « qu’aucun secteur ou domaine d’activité n’est exclu du champ d’application du dispositif d’action de groupe. Les locataires, en tant que personnes physiques agissant à des fins non professionnelles, sont bien des consommateurs » (Rép. min. n° 38849, JOAN Q, 10 juin 2014, p. 4696).

Toutefois, sur le fond, le tribunal a débouté la CNL de ses demandes dans la mesure où la clause litigieuse avait reçu application avant les dispositions de la loi ALUR du 24 mars 2014 interdisant désormais au bailleur de « percevoir des amendes ou des pénalités en cas d’infraction aux clauses d’un contrat de location ou d’un règlement intérieur à l’immeuble » (L. n° 89-462, art. 4 i). De ce fait, la clause litigieuse ne pouvait, comme le soutenait la CNL, être considérée comme « abusive » et « illicite » au regard du code de la consommation, au motif d’un « déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ».

L’Immobilière 3F a toutefois souhaité relever appel de ce jugement concernant la problématique (capitale pour les bailleurs sociaux) de la recevabilité des actions de groupe « consommation » dans le domaine du logement et la cour d’appel de Paris a infirmé le jugement de  2016 par le TGI de Paris en décidant que le contrat de location n’est pas un contrat de prestation de services et qu’il n’est pas régi par le code de la consommation (Paris, pôle 4, ch. 3, 9 nov. 2017, n° 16/05321, D. 2017. 2368 ; JA 2018, n° 571, p. 11, obs. X. Delpech ; RTD civ. 2018. 149, obs. P.-Y. Gautier ).

La CNL s’est pourvue en cassation, recours que la première chambre civile a rejeté, suivant l’arrêt du 19 juin 2019 rapporté, décidant que la cour d’appel de Paris avait retenu à juste titre que « le contrat de location d’un logement, en ce qu’il oblige le bailleur à mettre un immeuble à la disposition du locataire afin qu’il en jouisse pendant un certain temps, sans imposer au premier, à titre principal, l’exécution d’une prestation, ne constitue pas un contrat de fourniture de services ».

Cette décision de rejet était prévisible, puisque la motivation de la cour d’appel de Paris ne pouvait souffrir d’une quelconque critique, et ce dans la mesure où le code civil distingue clairement « le louage des choses » du « louage d’ouvrage ».

Plus précisément, l’article 1709 de ce code précise que « le louage des choses est un contrat par lequel une des parties s’oblige à faire jouir l’autre d’une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige de lui payer », alors que le louage d’ouvrage est, selon son article 1710, un « contrat par lequel l’une des parties s’engage à faire quelque chose pour l’autre, moyennant un prix convenu entre elles », c’est-à-dire, pour reprendre des termes plus actuels, à lui fournir un service.

Pour la doctrine, les contrats de fourniture de services sont « ceux qui portent sur des obligations de faire », ce qui implique la « réalisation d’une activité humaine créatrice d’utilité économique » (A. Benabent, Les contrats civils et commerciaux, 8e éd., Montchrestien, 2008, n° 700).

Or, dans l’hypothèse du louage de choses, l’utilité est directement fournie par la chose mise à disposition et non par l’activité humaine du débiteur. Ainsi, et dans la mesure ou le bail n’est pas un contrat ayant pour objet la fourniture de services, il ne peut rentrer dans le champ d’application de l’action de groupe « consommation ».

C’est d’ailleurs le raisonnement qui avait été également tenu ensuite le 14 mai 2018 par le TGI de Nanterre dans le cadre de la deuxième action de groupe « consommation » en matière de logement introduite par l’association UFC Que Choisir à l’encontre du groupe Foncia concernant la facturation aux locataires de frais d’avis d’échéance (v. supra).

En effet, pour motiver leur décision de déclarer irrecevable cette action, les juges du TGI de Nanterre ont notamment relevé que « le contrat de fourniture de services est celui qui permet de réaliser une prestation de services, le consommateur se procurant des services à des fins non professionnelles. Il comprend comme obligation essentielle une obligation de faire, le débiteur de cette obligation s’engageant à titre principal, à effectuer une activité déterminée créatrice d’utilité économique. Or, dans le bail d’habitation, qui constitue un contrat de louage de choses au sens de l’article 1719 [anc. art. 1709] du code civil, la mise à disposition d’un bien immobilier, obligation principale du bailleur, ne saurait être qualifiée de fourniture de services et correspondre, pour le locataire, à la consommation d’un service » (TGI Nanterre, 8e ch., 14 mai 2018, préc.).

Il faut souligner que, dans l’arrêt rapporté, la Cour de cassation n’a pas eu à examiner la question subsidiaire de la soumission, ou non, au droit de la consommation, du contrat de location, la cour d’appel de Paris ayant sur ce point indiqué à titre surabondant que le logement obéit à des règles spécifiques exclusives du droit de la consommation, les règles applicables au contrat d’habitation étant comprises dans le code civil ou dans des textes non codifiés mais pas dans le code de la consommation, qui n’y renvoie d’ailleurs pas.

Il est toutefois fort probable que la haute juridiction ait alors décidé de suivre le même raisonnement que la cour d’appel de Paris, puisqu’elle a déjà considéré, à propos de la prescription applicable à un litige locatif, que l’article 7-1 de la loi de 1989 était seul applicable à l’action en recouvrement des réparations locatives et des loyers impayés, à l’exclusion de l’article L. 218-2 du code de la consommation (Civ. 3e, 26 janv. 2017, n° 15-27.580, D. 2017. 388 , note V. Pezzella ; ibid. 1149, obs. N. Damas ; ibid. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2017. 443 , obs. N. Damas ; ibid. 498, étude M. Moreau et J. Adda ; RTD civ. 2017. 372, obs. H. Barbier ).

Le débat sur le fait de savoir si le locataire peut être considéré comme un consommateur et si le contrat de location peut être qualifié juridiquement de contrat de fourniture de services est aujourd’hui définitivement clos. En effet, la loi ELAN du 23 novembre 2018 a décidé de modifier l’article L. 623-1 du code de la consommation en insérant les termes « relevant ou non du présent code concernant les professionnels concernés » et surtout en rajoutant, après les termes « à l’occasion de la vente de biens ou de la fourniture de services », ceux de « ainsi que dans le cadre de la location d’un bien immobilier ».

Cette intervention législative aura des conséquences bien plus importantes que celles qui avaient été ou pu être envisagées dans le cadre des débats lors de l’introduction des trois actions de groupe « consommation » en matière de logement.

En effet, il s’agissait de procédures afférentes uniquement à des litiges concernant les baux à usage d’habitation régis par la loi du 6 juillet 1989, alors que la rédaction actuelle de l’article L. 623-1 du code de la consommation, dans sa version issue de la loi ELAN, est de nature à permettre l’exercice d’actions de groupe « consommation » dans un cadre bien plus large, à savoir « la location d’un bien immobilier » (ce qui vise donc aussi les baux à usage commercial, ceux à usage professionnel, ceux uniquement régis par le code civil et même les baux ruraux).

Il n’est pas sûr que le législateur ait bien pris la mesure de ces conséquences pour les bailleurs institutionnels…