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Mobilisation des avocats : le CNB maintient une liste de doléances, la Chancellerie répond

Emmanuel Raskin, avocat membre du Conseil national des barreaux (CNB), a passé en revue les avancées que l’institution a réussi à obtenir de la chancellerie dans le cadre de la négociation relative au projet de loi de programmation pour la justice, mais aussi les points de crispation qui restent encore en débat au jour de la manifestation des professionnels de justice.

par Thomas Coustet et Marine Babonneaule 10 avril 2018

Les lignes du projet de loi de programmation ont finalement bougé, souligne Me Emmanuel Raskin. Si le CNB a obtenu « plusieurs avancées », c’est au prix d’une négociation relatée comme « extrêmement difficile ». « Le calendrier imposé par la Chancellerie nous a placés dans une situation d’extrême urgence. Ce ne sont pas des conditions de travail qui permettent une réelle concertation », regrette cet avocat.

Dans l’entourage de la ministre, une quinzaine de réunions de plusieurs heures sont citées pour démontrer que le Conseil national des barreaux a été partie prenante, de bout en bout, de ces négociations. Sans compter les rencontres, en province, avec les bâtonniers.

Un nombre « significatif » d’avancées

- La tentative de négociation amiable préalable et obligatoire à toute saisine de la juridiction, prévue à l’article 2 du texte (v. Dalloz actualité, 28 mars 2018, art. G. Payan isset(node/189920) ? node/189920 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>189920), a été élargie à la médiation et la procédure participative. Par ailleurs, en matière du divorce, l’acte introductif n’aura plus à indiquer le motif du divorce. Une audience de mise en état sera mise en place pour statuer sur les demandes des époux et les mesures provisoires à la demande d’une des parties.

- L’article 3 du projet de loi prévoyait que la médiation, la conciliation ou l’arbitrage pouvaient résulter exclusivement d’un traitement algorithmique automatisé géré par une plateforme numérique. Ce nouveau mode de traitement a été supprimé. L’article 3 prévoit désormais que les modes alternatifs de résolution des différends ne peuvent « résulter exclusivement » sur ce modèle. Par ailleurs, l’intéressé doit en être informé et y consentir.

« Il a été prévu que la certification sera accordée aux avocats inscrits sur la liste des médiateurs établie par chaque cour d’appel », précise le ministère.

- Au pénal, la négociation a permis notamment de faire retirer du projet l’extension du recours à la visioconférence pour l’interrogatoire de première comparution, de même que l’allongement du délai de présentation à l’avocat de vingt heures à vingt-quatre heures. 

Des points de « crispation » en suspens

- Sur le périmètre du droit, il est désormais prévu que les services en ligne fournissant des prestations de conciliation médiation ou arbitrage pourront « faire l’objet d’une certification par un organisme accrédité ». Le CNB souhaiterait toutefois aller plus loin et rendre le dispositif obligatoire, et le placer sous le contrôle d’une autorité indépendante composée de professionnels du droit, dont le CNB lui-même.

Selon le ministère de la justice, « les plateformes de résolution des litiges en ligne, dans un cadre extra judiciaire, tendent à se multiplier, à l’initiative des "legal tech". Certaines fonctionnent grâce à des processus automatisés, la solution proposée (par ex. un dédommagement) résultant d’un algorithme.

Le ministère de la justice souhaite que les personnes qui ont recours à ces plateformes soient informées que le service s’appuie sur un algorithme. Cela n’interdit pas aux prestataires d’avoir recours à des algorithmes mais vise à donner à nos concitoyens une information transparente sur les conditions dans lesquelles une solution amiable leur est proposée dans le cadre d’un litige, qui permette un consentement éclairé. Cela explique la mention de la loi selon laquelle "la résolution proposée sur le fondement d’un traitement algorithmique comporte une mention explicite en informant l’intéressé, qui doit expressément y consentir".

Cela n’implique nullement que ces plateformes fonctionnent exclusivement grâce à des algorithmes. Pour mémoire, les modes de résolution amiable que sont la conciliation et la médiation nécessitent l’intervention d’une personne physique (en effet lorsque le médiateur est une personne morale, il désigne, avec l’accord des aprties, la personne physique chargée d’accomplir la mission de médiation art 1532 du code de procédure civile).

Enfin, l’objectif de régulation des plateformes de résolution en ligne est sans incidence sur le monopole conféré à l’avocat pour assister et représenter son client devant une juridiction, et celui des professions judiciaires concernant la consultation juridique et la rédaction d’acte sous seing privé. Bien au contraire, il s’agit d’articuler au mieux les prestations de résolution amiable que sont la médiation et la conciliation qui ne relèvent pas de la compétence exclusive des professions réglementées, avec les prérogatives des professionnels précités que sont les avocats, huissiers, notaires, commissaires-priseurs. Il n’est pas prévu d’aller plus loin à ce stade »

- Pour les actes de revalorisation des pensions alimentaires, le texte prévoit d’en déléguer la mise en œuvre à toutes les caisses d’allocation familiales. Leurs actes seront revêtus de la formule exécutoire, alors qu’une CAF n’est pas officier ministériel. Le CNB souhaite obtenir la même chose pour l’acte d’avocat. « Rien ne s’y oppose sur le plan pratique et déontologique. Nos actes pourront toujours faire l’objet d’un examen a posteriori et d’un contrôle du juge. », insiste Me Emmanuel Raskin

Selon la Chancellerie, Les récentes réformes en matière familiale visent à recentrer le juge sur ses missions essentielles tout en pacifiant les relations entre parents après la séparation du couple et en simplifiant leur traitement, dans un contexte budgétaire contraint. Encore récemment, la Chancellerie s’est attachée à ce que soient confiées aux CAF de nouvelles missions permettant d’alléger encore le contentieux de la fixation de la contribution à l’entretien et l’éducation des enfants (CEEE). La loi du 23 décembre 2016 a ainsi prévu qu’à compter du 1er avril 2018, le directeur de l’organisme débiteur des prestations familiales donnera force exécutoire, sous certaines conditions, à l’accord par lequel les parents qui se séparent fixent le montant de la CEEE. La décision du directeur de l’organisme débiteur des prestations familiales constituera un titre exécutoire et permettra donc le recouvrement forcé. Or, si les outils statistiques ne permettent pas de connaître le nombre de demandes portant exclusivement sur la modification du montant de la CEEE, il peut être indiqué que chaque année, environ 170 000 nouvelles demandes sont présentées aux JAF par des parents désireux de voir modifier les dispositions régissant la vie de leurs enfants. La durée moyenne de traitement de ces procédures judiciaires n’est pas inférieure à 6 mois et tend à augmenter.

Dans ces conditions, les réflexions se sont poursuivies sur la déjudiciarisation de la modification du montant des pensions alimentaires. Il s’agit d’offrir aux parents la possibilité d’obtenir plus rapidement un titre exécutoire et de permettre d’éviter, lorsque le seul point de désaccord parental concerne le montant de la pension alimentaire, que le passage obligé devant l’autorité judiciaire, pour un motif purement financier, envenime les relations, notamment lorsque la révision du montant de la pension alimentaire fournit l’occasion d’une surenchère de demandes portant sur d’autres aspects.

Il est donc envisagé, à titre expérimental, pour une durée limitée et dans quelques départements seulement, de confier à une autorité non judiciaire ou à des officiers publics et ministériels la délivrance de titres exécutoires portant sur la modification du montant d’une contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants, lorsque les conditions suivantes sont réunies afin de circonscrire l’expérimentation aux hypothèses les plus simples :

  • la CEEE a antérieurement fait l’objet d’une fixation par l’autorité judiciaire, d’une convention homologuée, ou d’une convention de divorce par consentement mutuel par acte sous signature privée contresigné par avocats et déposé au rang des minutes d’un notaire ;
     
  • la demande est fondée sur l’évolution des ressources des parents ou sur l’évolution, par accord des parties, des modalités d’exercice du droit de visite et d’hébergement ;
     
  • aucune demande portant sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale à l’égard des enfants concernés par la contribution à l’entretien et à l’éducation n’est pendante devant le juge aux affaires familiales.

Un recours devant le juge, suspensif, est également prévu en cas de contestation du montant retenu dans ce cadre.

Ces conditions tendent à faciliter la tâche de l’autorité chargée de la délivrance de titres exécutoires en lui permettant d’utiliser pour apprécier le montant de la nouvelle pension alimentaire à fixer, la table de référence valant barème indicatif en matière de contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants. Sont ainsi été écartées du champ de l’expérimentation les modifications complexes, imposant une appréciation circonstanciée des éléments du cas d’espèce. De même, la première fixation d’une pension alimentaire, qui nécessite une première analyse globale de la situation familiale et sert ensuite de référence, apparaît encore devoir relever de l’expertise juridictionnelle.

- Sur la « carte judicaire », le CNB est encore « en attente des décrets d’application ». Le projet de loi est silencieux sur ce point. Si aucune cour d’appel ne doit être fermée, la Chancellerie a depuis évoqué l’installation de « juridictions de tutelle ». Plusieurs contentieux remonteront vers cette cour d’appel, ce qui mécaniquement privera les autres d’un pan de leur activité. 

- Les nouveaux tribunaux judiciaires opéreront une fusion entre les tribunaux de grande instance et les tribunaux d’instance. Pour le CNB, des incertitudes demeurent encore vives sur le lieu d’affectation de ces juridictions en régions. 

Sur ces deux derniers points, le ministère répond que :

« • Lorsque le TGI et le TI sont situés dans la même ville, ils seront regroupés :

Les ressources matérielles et humaines pourront ainsi être gérées de manière mutualisée. Des gains seront réalisés, pour être consacrés à l’amélioration des conditions de travail des magistrats et fonctionnaires, et à l’amélioration du service public de la justice. La fusion permettra de garantir la continuité de fonctionnement des services et de mieux gérer les aléas. Elle permettra de lutter contre les difficultés rencontrées par les travailleurs isolés (manque de spécialisation, difficulté à assurer la continuité du service en cas d’absence, difficulté à partir en formation…).

Dans cette hypothèse, les magistrats seront nommés dans des fonctions de grande instance au sein du TGI. Pour la bonne organisation de la juridiction, le TGI pourra créer des chambres spécialisées dans les contentieux actuels de l’instance. Les magistrats ayant acquis une spécialisation en matière d’instance pourront y être affectés et ainsi continuer à connaître de ces contentieux. La direction des services judiciaires proposera par ailleurs des profils de postes sur le périmètre de l’instance afin d’assurer des recrutements ciblés sur cette spécialité.

• Lorsque le TI n’est pas situé au siège du TGI, il deviendra une chambre détachée.

Afin que cette évolution ne porte pas préjudice à la lisibilité pour le justiciable, la loi prévoit que ces chambres continueront à s’appeler tribunaux d’instance.

Le socle des compétences de ces chambres sera expressément garanti par décret, comme cela est déjà le cas pour les chambres détachées actuelles. Il reprendra le périmètre des actuels tribunaux d’instance et permettra au-delà de mieux répondre au besoin de proximité, à l’initiative des juridictions elles-mêmes.

Les chefs de cours, après avis des chefs de juridictions, pourront ajouter des compétences supplémentaires aux chambres détachées, sans toutefois les déposséder de leurs attributions.

Une politique commune de l’arrondissement judiciaire pourra ainsi être conduite sous l’autorité des chefs de juridiction.

Les affectations des magistrats et des fonctionnaires se feront par décret, directement au sein des chambres détachées. Elles seront donc sécurisées dès la nomination : les magistrats et fonctionnaires seront statutairement attachés à la chambre, et leur nomination ne pourra pas être remise en cause. Il s’agit là d’une garantie aussi bien pour les magistrats et fonctionnaires que pour l’indépendance de la justice. »