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Procès équitable et constitution de partie civile du chef de l’État : la position attendue de la CEDH

Le président de la République est recevable, en sa qualité de victime, en application de l’article 2 du code de procédure pénale, à exercer les droits de la partie civile pendant la durée de son mandat. Pour la Cour européenne des droits de l’homme, la constitution de partie civile de Nicolas Sarkozy, alors président de la République est conforme au droit à un procès équitable.

par Dorothée Goetzle 22 octobre 2018

Les faits à l’origine de cette intéressante requête sont les suivants : en 2008, Nicolas Sarkozy, président de la République en exercice, est victime d’un piratage de ses comptes bancaires. Sa banque dépose plainte contre X pour faux, usage de faux et escroquerie. En octobre 2008, le procureur de la République ouvre une information judiciaire des chefs d’escroquerie en bande organisée et Nicolas Sarkozy se constitue partie civile. À l’issue de l’instruction, sept individus sont renvoyés devant le tribunal correctionnel qui condamne notamment le requérant à un an d’emprisonnement. En outre, le tribunal correctionnel a rejeté l’argument tiré de l’irrecevabilité de la constitution de partie civile de Nicolas Sazkozy.

L’intéressé forme alors un pourvoi en cassation et demande en vain à la Cour de cassation de soumettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la compatibilité de l’article 2 du code de procédure pénale avec le respect de la séparation des pouvoirs et des droits de la défense ainsi que du droit à un procès équitable. En effet, les hauts magistrats ne renvoient pas la QPC au double motif qu’elle n’est pas nouvelle et qu’elle ne présente pas un caractère sérieux. L’assemblée plénière de la Cour de cassation avalise ensuite ce choix en considérant que le président de la République, en sa qualité de victime, était bien recevable à exercer les droits de la partie civile pendant la durée de son mandat (Cass., ass. plén., 15 juin 2012, Thiam c. Sarkozy, n° 10-85.678, Dalloz actualité, 27 juin 2012, obs. M. Léna ; D. 2012. 1916 , note O. Beaud ; AJ pénal 2013. 46, obs. S. Lavric ; RFDA 2012. 1203, note O. Desaulnay ; JCP 2012. 933, note C. Ambroise-Casterot). Cette formation prenait d’ailleurs le soin de souligner que le requérant ne rapportait pas la preuve d’avoir souffert d’une atteinte portée par les institutions françaises au droit au procès équitable dès lors que la seule nomination des juges par le président de la République n’est pas ipso facto constitutive d’une dépendance à son égard (D. De Béchillon, Le président de la République, partie civile à un procès impartial, AJDA 2012.1369 ).

Dans sa requête portée devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), le requérant continuait d’estimer avoir été victime d’une violation de l’égalité des armes. Premièrement, il relevait qu’en sa qualité de président de la République, Nicolas Sarkozy était protégé de toute action prévue pour sanctionner les abus de sa constitution de partie civile par l’article 67 de la Constitution. Deuxièmement, il maintenait que l’équité du procès aurait exigé sa confrontation avec le président de la République devant le juge d’instruction ou au cours des débats devant le tribunal. Troisièmement, il pointait le soutien apporté par le ministère public à la partie civile.

Aucun de ces arguments n’a réussi à séduire la CEDH. D’abord, cette juridiction relève que les conditions d’ouverture des actions visées par l’article 67 de la Constitution n’étaient pas réunies puisque le requérant n’était pas bénéficiaire d’un non-lieu ou d’une relaxe, d’autant plus que Nicolas Sarkozy n’avait pas mis en mouvement l’action publique. Ensuite, la Cour relève qu’en vertu de la Constitution, le président de la République ne peut être requis de témoigner étant précisé qu’en l’espèce, la nature de l’affaire et les preuves disponibles n’imposaient pas l’audition la partie civile. Enfin, la CEDH signale à juste titre que rien dans le dossier n’indique que l’intervention de Nicolas Sarkozy ait encouragé le ministère public à des agissements visant à influencer indûment la juridiction pénale ou à empêcher le requérant de se défendre efficacement. Il en résulte que, pour la Cour européenne, le principe d’égalité des armes n’a pas été violé.

Cet aspect ayant été écarté, la CEDH se penche ensuite sur la question de l’impartialité du tribunal appelé à juger le requérant. Pour conclure à l’absence d’atteinte de ce chef, les magistrats rappellent une évidence qui a ici son importance, à savoir que la culpabilité du requérant résultait d’éléments de preuve indépendants de l’action civile de Nicolas Sarkozy.

Se pose enfin l’intéressante question de l’examen de l’indépendance du tribunal. Précisément, le fait que le président de la République signe les décrets de nomination des magistrats pouvait-il faire naître un doute dans l’esprit du requérant au sujet de l’indépendance avec laquelle il avait été jugé ? Cette question est intéressante car, il faut bien le reconnaître, la participation à la procédure d’une personnalité ayant un rôle institutionnel dans le déroulement de la carrière des juges peut effectivement alimenter un doute sur l’indépendance et l’impartialité de ceux-ci (CE 18 oct. 2000, req. n° 208168,M. Terrail, Lebon ; AJDA 2001. 288 , note M.-C. Rouault ; D. 2000. 280, et les obs. ). En l’espèce, ce doute doit toutefois être dissipé. Avant de revenir sur la motivation de l’arrêt, il faut souligner qu’en l’espèce, les faits soumis aux juges ne présentaient aucun lien avec les fonctions politiques du président de la République et que celui-ci n’avait ni déclenché l’action publique ni fourni d’élément destiné à établir la culpabilité du requérant. Au travers d’une approche concrète, et après examen du mode de nomination des magistrats, de leur condition statutaire et des circonstances particulières de l’espèce, la CEDH estime en l’espèce à l’unanimité qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. 

En effet, bien qu’exercé par le président de la République, le pouvoir de nomination suppose un « avis conforme » du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Il en résulte que l’exécutif ne peut pas nommer un magistrat à l’encontre de cet avis. De plus, pour les nominations des magistrats du siège de la Cour de cassation ainsi que des présidents des cours d’appel et des tribunaux de grande instance, la formation compétente du CSM propose des candidats et procède seule à l’examen des candidatures et au choix de celle qui lui paraît devoir être retenue. Enfin, le décret de nomination d’un magistrat peut faire l’objet d’un recours en annulation devant le Conseil d’État. De surcroît, le requérant ne fournissait en l’espèce aucun élément concret susceptible de démontrer qu’il pouvait objectivement craindre que les juges du tribunal de grande instance et de la cour d’appel se trouvaient sous l’influence de monsieur Sarkozy (v. Cass., ass. plén., 15 juin 2012, n° 10-85.678, v. les réf. préc.).

Cette décision est l’occasion de se souvenir que le Conseil supérieur de la magistrature a été profondément rénové dans sa composition et son fonctionnement par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, dont la mise en œuvre est intervenue le 23 janvier 2011, soit antérieurement à l’arrêt de l’assemblée plénière critiqué. En effet, pour garantir l’indépendance de l’institution, ce texte a modifié la loi organique du 5 février 1994 en réformant la composition du CSM. Précisément, il a été mis fin à la présidence du CSM par le président de la République et à sa vice-présidence par le garde des Sceaux, ce dernier conservant toutefois la faculté de participer aux séances des formations du CSM qui ne sont pas relatives aux questions disciplinaires. De plus, il a également été prévu la possibilité pour les justiciables de saisir le CSM s’ils estiment que le comportement d’un magistrat dans l’exercice de ses fonctions peut constituer une faute disciplinaire (v. Rép. pr. civ., Magistrat, par J. Betoulle).É