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Refus de restitution par le juge d’instruction d’un bien constituant le produit de l’infraction

Les dispositions issues de la loi du 3 juin 2016 qui permettent de refuser la restitution des biens qui sont le produit de l’infraction sont immédiatement applicables.

par Cloé Fonteixle 20 mars 2018

Les dispositions de l’article 99 du code de procédure pénale organisent les conditions dans lesquelles une personne qui a vu l’un de ses biens saisi et placé sous main de justice peut, dans le cadre d’une information judiciaire, en solliciter la restitution auprès du magistrat instructeur. Il peut s’agir d’une partie à la procédure (mis en examen, témoin assisté ou partie civile), mais également d’un tiers disposant (ou à tout le moins prétendant disposer) de droits sur le bien. L’alinéa 4 de cet article prévoit classiquement qu’il n’y a pas lieu à restitution lorsque celle-ci est de nature à faire obstacle à la manifestation de la vérité ou à la sauvegarde des droits des parties ou lorsqu’elle présente un danger pour les personnes ou les biens. Il ajoute qu’elle peut être refusée lorsque « la confiscation de l’objet est prévue par la loi », ce qui renvoie à l’article 131-21 du code pénal qui définit quant à lui le champ – extrêmement large depuis quelques années – des biens confiscables.

La loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, a ajouté à ces cas de refus de restitution l’hypothèse où le bien saisi « est l’instrument ou le produit direct ou indirect de l’infraction ». Ce nouveau cas de refus de restitution, qui apparaît comme déconnecté d’une éventuelle déclaration de culpabilité, se retrouve aux articles 41-4 du code de procédure pénale (restitution par le parquet durant l’enquête ou en fin de procédure), 481 et 373 (restitution par les juridictions de jugement, correctionnelles ou criminelles). Ces quelques termes sont loin d’être anodins et élargissent de manière considérable les perspectives d’appréhension des biens en matière pénale (S. Almaseanu, Gaz. Pal. 17 janv. 2017, n° 03, p. 16), en posant d’inévitables questions sur le terrain de la présomption d’innocence, du droit au respect des biens, ou encore de la préservation des droits des tiers. La chambre criminelle se prononce sur l’application de ces nouvelles dispositions dans cet arrêt du 28 février 2018.

L’information judiciaire était en l’espèce ouverte du chef de diverses infractions contre les biens à l’encontre de plusieurs individus, à qui il était notamment reproché d’avoir acquis un véhicule avec des fonds et biens présumés détournés au détriment d’une société, véhicule qu’ils auraient ensuite revendu à un tiers. C’est cette personne, présentant la qualité de partie civile dans cette procédure, qui sollicitait ici la restitution du bien lui ayant été vendu. Le juge d’instruction s’y était opposé en relevant que la facture, émise au nom d’une société allemande, comportait des mentions ne correspondant pas à la réalité, et que le paiement avait été réalisé au moyen de trois chèques aux ordres respectifs des trois personnes physiques mises en cause, et non de la société prétendument venderesse. Il en déduisait que l’acquéreuse « ne pouvait ignorer qu’elle participait à la réalisation d’une opération occulte et qu’elle contribuait incidemment à des faits de blanchiment » au titre desquels l’un des vendeurs était mis en examen. Enfin, le juge d’instruction avait justifié sa décision au regard des règles du droit civil en indiquant que l’acquéreuse avait accepté une vente dans des « conditions frauduleuses avérées, connues et acceptées », et avait « entendu réaliser une opération juridique de vente entachée d’une cause illicite et par conséquent, frappée de nullité ». Statuant en appel, la chambre de l’instruction s’était davantage centrée sur les critères posés par la loi pénale et avait relevé à propos de la requérante que ces divers éléments de fait « ne permett[aient] pas de retenir, en l’état de la procédure, sa qualité de possesseur de bonne foi », affichant son indifférence aux « justificatifs apportés par elle de l’origine des fonds avec lesquels elle [avait] acquis ce bien », ainsi qu’au fait « qu’elle ne soit pas mise en examen, au jour de sa requête, dans cette procédure ».

Deux moyens de cassation étaient formulés à l’appui du pourvoi de la requérante. Le premier reprochait l’application de l’alinéa 4 de l’article 99 du code de procédure pénale dans sa version issue de la loi du 3 juin 2016, entré en vigueur postérieurement au dépôt de la requête en restitution, et faisait valoir à titre subsidiaire que l’arrêt ne pouvait se borner à évoquer l’éventualité d’une confiscation sans en préciser le fondement. Le second moyen, qui s’appuyait sur le postulat qu’aucune des conditions précitées n’étaient ici remplies, rappelait qu’aucune contestation n’avait été élevée quant à la propriété du bien et que celle-ci devait être examinée au regard des seules règles gouvernant le droit de propriété et la possession.

Reprenant l’ensemble des constatations factuelles précitées relatives aux conditions d’acquisition, qui avaient conduit les juridictions du fond à écarter la qualité de possesseur de bonne foi de la requérante, la chambre criminelle écarte ces arguments. Elle affirme le principe d’applicabilité immédiate de l’alinéa 4 de l’article 99 du code de procédure pénale dans sa version issue de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, en le classant parmi les lois « fixant des modalités de poursuites et des formes de la procédure ». S’agissant de l’application dans le temps de ces dispositions, la solution s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence constante de la chambre criminelle, qui considère les règles encadrant les saisies comme des dispositions de procédure soumises au régime de l’article 112-2, 2°, du code pénal (pour une saisie en valeur, Crim. 24 sept. 2014, n° 13-88.602 P, Dalloz actualité, 9 oct. 2014, obs. C. Fonteix , note L. Saenko ; ibid. 2015. 110, chron. G. Barbier, B. Laurent, G. Guého et T. Azéma ; AJ pénal 2014. 592, obs. L. Ascensi ; JCP 2014. 1250, note Rebut ; Gaz. Pal. 2014. 2. 3679, note Mésa ; pour une saisie de patrimoine appliquée aux biens dont la personne mise en examen a seulement la libre disposition, Crim. 9 mai 2012, n° 11-85.522 P, Dalloz actualité, 4 juin 2012, obs. C. Girault , note C. Cutajar ; AJ pénal 2012. 427, obs. L. Ascensi ; JCP 2012, n° 670, obs. J. Lasserre Capdeville ; Gaz. Pal. 2012. 2. 2219, obs. E. Dreyer).

Cette position peut être critiquée. Les précédentes solutions pouvaient se justifier au regard du caractère procédural des mesures en cause, mais apparaissaient incohérentes dans l’hypothèse où la confiscation du bien saisi n’était, in fine, pas envisageable en application du principe de non-rétroactivité de la loi pénale. Avec le nouveau critère posé par la loi, la saisie peut ne pas rester provisoire, puisque même en l’absence de confiscation, la juridiction de jugement, ou le parquet saisi une fois la procédure close, pourrait décider de refuser la restitution, ce qui conduirait à un transfert définitif de la propriété du bien au profit de l’État, selon les conditions posées à l’article 41-4 du code de procédure pénale. Et il est difficile de voir dans cette mesure, qui produit les mêmes effets qu’une confiscation, une simple règle de procédure, quand bien même elle serait réelle et non plus personnelle.

S’agissant de l’application du texte, la chambre criminelle considère que les juges ont « souverainement apprécié, sans insuffisance, que le véhicule en cause constituait le produit indirect des délits poursuivis et que les conditions entachant d’irrégularités l’acquisition du bien revendiquée par la requérante ne lui permettaient pas de justifier du bien-fondé de sa demande en restitution ». La Cour de cassation se retranche donc derrière l’appréciation, souveraine pourvu qu’elle soit suffisante, de la chambre de l’instruction, sur la question de savoir si le bien dont la restitution est sollicitée constitue le produit de l’infraction, mais également sur celle de l’acquisition, dont il ressortait ici des motifs de l’arrêt attaqué qu’elle était entachée d’irrégularités, ce qui selon la chambre criminelle empêchait la requérante de justifier du « bien-fondé » de sa demande de restitution.

À la lecture de cet attendu, il est difficile de déterminer quel critère posé par l’article 99 du code de procédure pénale fait défaut selon la Cour de cassation. Les termes de sa décision semblent signifier que les conditions d’acquisition ne permettent pas d’établir une propriété non contestée au sens de l’alinéa 3 de l’article 99 du code de procédure pénale, ou que, comme s’agissant des biens confiscables même si le texte n’en dit mot, le refus de restitution du bien instrument ou produit de l’infraction ne pourrait intervenir que sous réserve des droits du tiers de bonne foi, condition non remplie en l’espèce.