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Repos dominical obligatoire, atteinte à la liberté d’entreprendre et discrimination indirecte d’un commerce de produits casher ?
Repos dominical obligatoire, atteinte à la liberté d’entreprendre et discrimination indirecte d’un commerce de produits casher ?
L’interdiction d’employer sans autorisation du personnel le dimanche après-midi ne constitue pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre des commerces fermés pour le shabbat ou une discrimination indirecte de leur personnel de confession majoritairement juive.
par Raphaël Serres, Docteur en droit privé, Université Grenoble Alpes - CRJle 4 juin 2024
Du vendredi soir jusqu’au samedi à la tombée de la nuit, la tradition religieuse du shabbat impose aux personnes de confession juive de s’abstenir de toute activité économique. Pour la société demanderesse au pourvoi du présent arrêt, exploitant un supermarché casher, l’enjeu de l’emploi de ses salariés durant la période légale du repos dominical (C. trav., art. L. 3132-3) était autant économique que religieux. Non seulement sa clientèle et une très grande partie de son personnel (majoritairement de confession juive) ne peuvent contribuer à l’activité du magasin les samedis – ce qui avec le repos obligatoire du dimanche implique deux journées par semaine sans fonctionnement. De plus l’hypothèse d’une activité du lieu maintenue le samedi par et pour des personnes ne suivant pas cette tradition impliquerait la perte probable d’un label de respect des règles alimentaires juives, donné par le Consistoire central de l’union des communautés juives de France.
Ainsi, lorsque le juge ordonna sous astreinte à la société de cesser d’employer des salariés le dimanche après 13 heures (emploi qui était donc en violation de l’art. L. 3132-13 du c. trav. permettant le travail jusqu’à cette heure pour les salariés des commerces de détail alimentaire), cette dernière entendit contester cette décision en usant de tous les moyens de droit possibles, dont une question prioritaire de constitutionnalité (non renvoyée par la chambre sociale, dans un arrêt du 12 févr. 2020, n° 19-40.035, D. 2020. 393 ) et des demandes de saisines préjudicielles de la Cour de justice de l’Union européenne.
Arguant non seulement d’une atteinte disproportionnée portée par la mesure à la liberté d’entreprendre de la société (en se fondant sur l’art. 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, mais également d’une mesure d’interdiction en elle-même disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi de protection des salariés en raison de la discrimination indirecte envers les magasins casher qu’elle impliquerait (en se fondant sur l’art. 21 de la même Charte, ainsi que sur l’art. 5 de la dir. n° 2003/88/CE du 4 nov. 2003), la partie demanderesse demandait la cassation sans renvoi de l’arrêt confirmatif de la Cour d’appel de Paris du 27 octobre 2022 (n° 21/03007) qui maintenait l’interdiction.
Le présent arrêt de rejet – prévisible – du pourvoi règle rapidement la question posée sur le fond du droit en relevant que l’entreprise n’est pas juridiquement contrainte de fermer le dimanche après-midi et demeure par ailleurs libre de demander une dérogation pour l’emploi de son personnel. L’arrêt donne une bien plus grande place à la motivation de la chambre pour le rejet des demandes de saisines préjudicielles contenues dans le pourvoi, aboutissant à la conclusion que le droit communautaire est suffisamment clair pour rejeter les arguments de disproportion des mesures et des atteintes alléguées : l’atteinte à la liberté d’entreprendre est manifeste mais proportionnée, et la question de la discrimination indirecte ne se pose pas en l’espèce, la société n’étant pas une personne physique et ne pouvant agir en ce sens au nom de ses salariés.
Sur l’absence d’atteinte à la liberté d’entreprendre et de discrimination indirecte
Le commerce subit-il une atteinte disproportionnée à sa liberté d’entreprendre du fait de l’interdiction qui lui est faite ? Pourrait-on par ailleurs caractériser une discrimination indirecte ?
D’après le rapport de la conseillère référendaire Mme Prieur, la question de droit soumise était « signalée sensible, comme dépassant le cadre du litige, dont la réponse sera susceptible d’impacter d’autres commerces et, au-delà, la diversité indispensable à toute société démocratique » ; mais le moins que l’on puisse dire est que la réponse était prévisible au regard du droit national applicable, et plus particulièrement d’une jurisprudence centenaire du Conseil d’État, plus précisément d’un arrêt du 30 novembre 1906 (Rec. 885), rendu quelques mois à peine après la promulgation de la loi du 13 juillet 1906 instaurant le repos hebdomadaire et le fixant sauf exception le dimanche. Le requérant d’alors demandait l’autorisation de donner le repos hebdomadaire à son personnel le samedi, invoquant déjà les prescriptions du judaïsme. Le refus du Conseil d’État, comme le rappelle l’avis de l’avocate générale Mme...
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