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Article
L’effectivité du suivi et de la régulation de la charge de travail du salarié au forfait en jours
L’effectivité du suivi et de la régulation de la charge de travail du salarié au forfait en jours
Manque à son obligation d’assurer le suivi régulier de la charge de travail et à son obligation de sécurité l’employeur qui, d’une part, n’assure pas l’organisation de l’entretien annuel prévu par la convention collective pour un salarié soumis à une convention de forfait en jours, et, d’autre part, ne prend pas des mesures de nature à protéger sa santé alors que des alertes et le document de suivi des jours travaillés, prévu par la même convention collective, laissaient apparaître une situation chronique de surcharge de travail. La convention de forfait doit être privée d’effet pour toute la période couverte par ces manquements.
À partir de 2011, palliant les carences d’une législation laconique, la Cour de cassation a développé une jurisprudence visant à conditionner le recours aux conventions de forfait en jours à l’existence de dispositions conventionnelles offrant certaines garanties aux salariés. Celles-ci devaient notamment permettre le suivi de leur charge de travail pour qu’elle reste raisonnable. S’appuyant sur cette exigence, le juge considérait qu’un forfait en jours était nul lorsque le dispositif conventionnel ne comportait pas de garanties suffisamment protectrices (Soc. 24 avr. 2013, n° 11-28.398, Dalloz actualité, 23 mai 2013, obs. J. Siro ; D. 2013. 1143 ; ibid. 1768, chron. P. Flores, S. Mariette, F. Ducloz, E. Wurtz, C. Sommé et A. Contamine ; ibid. 2014. 1115, obs. P. Lokiec et J. Porta ; RDT 2013. 493, obs. M. Véricel ) ou privé d’effet lorsque les stipulations conventionnelles étaient satisfaisantes mais non appliquées par l’employeur (Soc. 29 juin 2011, n° 09-71.107, Dalloz actualité, 19 juill. 2011, obs. L. Perrin ; D. 2011. 1830, et les obs. ; ibid. 2012. 901, obs. P. Lokiec et J. Porta ; RDT 2011. 474, Controverse B. Van Craeynest et P. Masson ; ibid. 481, étude M.-F. Mazars, S. Laulom et C. Dejours ; 19 déc. 2018, n° 17-18.725, D. 2019. 20 ; JA 2022, n° 665, p. 38, étude P. Fadeuilhe ; RDT 2020. 129, obs. M. Véricel ). Deux décisions rendues par la chambre sociale de la Cour de cassation le 10 janvier 2024 (outre l’arrêt commenté, v. Soc. 10 janv. 2024, n° 22-15.782, Dalloz actualité, 23 janv. 2024, obs. S. Demay ; D. 2024. 63 ) apportent une attention particulière au comportement adopté par l’employeur pour assurer le suivi et la régulation de la charge de travail, dans le prolongement de la réforme du forfait en jours par la loi « Travail » n° 2016-1088 du 8 août 2016.
Prenant acte de cette jurisprudence, le législateur avait en effet modifié le régime juridique du forfait en jours, afin d’offrir au salarié des garanties légales jusqu’alors inexistantes. Depuis août 2016, une disposition d’ordre public enjoint notamment à l’employeur de s’assurer « régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail » (C. trav., art. L. 3121-60). Un accord collectif, obligatoire pour recourir à ce type de forfait (C. trav., art. L 3121-63) doit prescrire les actions à mettre en œuvre pour respecter cette obligation. Il doit notamment déterminer « les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié » ainsi que « les modalités selon lesquelles l’employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l’organisation du travail dans l’entreprise » (C. trav., art. L. 3121-64). Des dispositions supplétives permettent enfin à l’employeur de mettre en œuvre le forfait malgré les carences conventionnelles sur les points précédents, à condition d’organiser un entretien annuel sur la charge de travail, de s’assurer que celle-ci est compatible avec le respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire et d’établir un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées et demi-journées travaillées (C. trav., art. L. 3121-65).
Il ressort de l’arrêt commenté, rendu au visa de ces nouvelles dispositions légales et respectant l’esprit et la lettre de celles-ci, que le juge entend désormais scruter avec rigueur le comportement adopté par l’employeur pour assurer le suivi et la régulation de la charge de travail.
En l’espèce, un directeur d’hôtel avait conclu en 2016 un contrat de travail prévoyant un forfait annuel en jours. Après avoir démissionné début 2019, il saisit le conseil de prud’hommes de diverses demandes relatives à l’exécution et la rupture du contrat. En raison de divers manquements reprochés à l’employeur, il demandait notamment aux juges de priver d’effet la convention de forfait pour la période couverte par celle-ci. Soumis à la convention collective des hôtels, cafés et restaurants, le salarié devait bénéficier, au titre du suivi et de la régulation de la charge de travail, de différentes garanties :
- un entretien annuel avec le supérieur hiérarchique au cours duquel sont évoquées sa charge de travail, l’amplitude de ses journées d’activité, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle et familiale ainsi que sa rémunération ;
- un document de suivi tenu par l’employeur faisant apparaître le nombre et la date des journées travaillées, le positionnement et la qualification des jours de repos (repos hebdomadaire, congés payés, jours fériés), permettant au supérieur hiérarchique d’assurer un suivi de l’organisation du travail du salarié, afin de veiller à ce que l’amplitude et la charge de travail soient raisonnables.
Le salarié invoquait précisément l’absence de mise en œuvre de ces garanties, de nature à le protéger contre les risques liés à une charge de travail excessive : d’une part, l’entretien annuel de l’année 2018 n’avait pas été organisé pour être finalement programmé au mois de mars 2019 ;...
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