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Article

Affaire France Telecom : consécration prévisible du harcèlement moral institutionnel par la chambre criminelle
Affaire France Telecom : consécration prévisible du harcèlement moral institutionnel par la chambre criminelle
Par arrêt du 21 janvier 2025, la chambre criminelle considère que les agissements visant à arrêter et mettre en œuvre, en connaissance de cause, une politique d’entreprise qui a pour objet de dégrader les conditions de travail de tout ou partie des salariés aux fins de parvenir à une réduction des effectifs ou d’atteindre tout autre objectif, qu’il soit managérial, économique ou financier, ou qui a pour effet une telle dégradation, susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité de ces salariés, d’altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel, agissements constitutifs d’un harcèlement moral institutionnel, entrent, sans méconnaissance du principe de prévisibilité juridique, dans les prévisions de l’article 222-33-2 du code pénal, dans sa version issue de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002.

L’affaire France Telecom (ou Orange) a mis en lumière une nouvelle forme de harcèlement moral, appelé « harcèlement moral institutionnel ».
En 2006, dans un contexte d’évolutions technologiques mais surtout d’ouverture à la concurrence, les dirigeants de la société France Telecom, entreprise publique de télécommunication devenue société anonyme Orange par suite d’une privatisation, avec participation minoritaire de l’État dans le capital, décident de restructurer profondément l’ancien EPIC. Pour ce fait, ils prévoient notamment, sur trois années, la suppression de 22 000 emplois, représentant près d’un cinquième des effectifs en France, ainsi que la mobilité de 10 000 agents. Au cours de cette période, des salariés et des agents se suicident – une trentaine de suicides de salariés entre janvier 2008 et fin 2009 – ou tentent de le faire, d’autres connaissent des dépressions.
En décembre 2009, une plainte est déposée par un syndicat du chef notamment de harcèlement moral contre la société et trois de ses dirigeants, dénonçant les conditions dans lesquelles avaient été mis en œuvre le plan NExT (Nouvelle expérience des télécoms) et son volet social, le programme ACT (Anticipation et compétences pour la transformation), reposant sur la politique d’entreprise mise en place en 2006, qualifiée de déstabilisatrice et anxiogène. Le 4 février 2010, l’inspectrice du travail compétente pour le siège de l’entreprise adresse un rapport accablant au parquet, révélant les méthodes impliquant une « logique business » au détriment de la considération humaine. L’ensemble de ces éléments a conduit à l’ouverture, le 8 avril 2010, d’une information judiciaire et à la mise en examen de la société France Telecom ainsi que de plusieurs cadres dirigeants dont le président-directeur général du groupe, notamment du chef de harcèlement moral ou de complicité de ce délit.
Par ordonnance du 12 juin 2018, le juge d’instruction a notamment renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef de harcèlement moral, commis entre 2007 et 2010, à l’égard notamment de trente-neuf salariés nommément désignés, la société France Telecom, le président-directeur général du groupe ainsi que deux cadres dirigeants de l’entreprise, le directeur des opérations France au sein de la société France Telecom, directeur exécutif délégué et président de la société Orange, et le directeur des ressources humaines.
Il leur était plus particulièrement reproché plusieurs comportements réalisés au sein de cette politique d’entreprise : des réorganisations multiples et désordonnées, des incitations répétées au départ, des mobilités géographiques et/ou fonctionnelles forcées, la surcharge de travail, la pression des résultats ou, à l’inverse, l’absence de travail, un contrôle excessif et intrusif, l’attribution de missions dévalorisantes, l’absence d’accompagnement et de soutien adaptés des ressources humaines, des formations insuffisantes, voire inexistantes, l’isolement des personnels, des manœuvres d’intimidation, voire des menaces, et des diminutions de rémunération.
Il a également renvoyé devant cette même juridiction du chef de complicité de harcèlement moral au travail, à l’égard des mêmes salariés, la directrice du programme ACT, directrice des ressources humaines France puis directrice adjointe des ressources humaines du groupe, la directrice des actions territoriales d’opérations France, le directeur des ressources humaines France ainsi que le directeur de la direction territoriale Est puis directeur des ressources humaines France.
Plus particulièrement, il était reproché aux directrices, respectivement, d’avoir, entre 2007 et 2010, organisé le suivi strict et concret des réductions d’effectifs, en mettant en place des outils de pression sur les départs tels que les réorganisations laissant des salariés et des agents sans poste, un management par les résultats, en encourageant les procédés visant à créer une instabilité pour les agents et salariés, et organisé les incitations financières relatives à l’atteinte des objectifs de réduction d’effectifs », et d’avoir, entre 2007 et mars 2008, organisé le suivi strict et concret des réductions d’effectifs et pratiqué un mode de management très directif encourageant la pression sur les départs.
Par jugement du 20 décembre 2019, le tribunal correctionnel a déclaré la personne morale et certains dirigeants coupables des faits qui leur étaient reprochés, considérant qu’un plan mis en œuvre dans l’entreprise, « dont la stratégie était d’assurer une “croissance rentable”, reposait, notamment, sur une politique de déflation des effectifs concernant tous les employés de [France Telecom], fonctionnaires comme salariés de droit privé, au mépris de leurs statuts d’emploi. Cette politique a eu pour objet, à partir d’octobre 2006, une dégradation des conditions de travail, les départs n’étant plus volontaires mais forcés, au travers de l’instrumentalisation de dispositifs managériaux subie et mise en œuvre par la hiérarchie intermédiaire » (T. corr. Paris, 31e ch. - 2e sect., 20 déc. 2019, n° 0935790257, Orange SA, AJ pénal 2020. 136, obs. D. Viriot-Barrial ).
Sur l’appel interjeté par les prévenus, à l’exception de la société France Telecom pour qui la condamnation est devenue définitive, la cour d’appel a, par arrêt du 30 septembre 2022, largement confirmé le jugement entrepris (Paris, pôle 2 - ch. 13, 30 sept. 2022, n° 20/05346, RDT 2022. 713, note M. Miné ; Gaz. Pal. 8 nov. 2022, n° 36, p. 16, obs. L. Saenko).
La Cour de cassation, saisie de la présente affaire par les pourvois des principaux dirigeants, confirme la consécration du harcèlement moral institutionnel.
Le harcèlement moral institutionnel, une notion consacrée
Pour sa chambre criminelle en effet, « […] constituent des agissements entrant dans les prévisions de l’article 222-33-2 du code pénal, dans sa version résultant de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, et pouvant caractériser une situation de harcèlement moral institutionnel, les agissements visant à arrêter et mettre en œuvre, en connaissance de cause, une politique d’entreprise qui a pour objet de dégrader les conditions de travail de tout ou partie des salariés aux fins de parvenir à une réduction des effectifs ou d’atteindre tout autre objectif, qu’il soit managérial, économique ou financier, ou qui a pour effet une telle dégradation, susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité de ces salariés, d’altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel » (§ 41).
La reconnaissance du harcèlement moral institutionnel
De par cette décision, l’on comprend que le harcèlement moral au travail puisse ressortir, non pas d’un acte répété que l’auteur aurait lui-même commis à l’endroit d’un ou plusieurs salariés de l’entreprise, mais de la politique menée par cette dernière et mise en œuvre par ses dirigeants.
Au vrai, la notion de « harcèlement moral institutionnel » n’est pas nouvelle pour la Cour de cassation. Elle est en effet connue depuis plusieurs années par le droit social. La chambre sociale de la Cour de cassation considère en effet que les méthodes de gestion mises en œuvre par un supérieur hiérarchique sont suffisantes à caractériser un harcèlement moral au travail « dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel » (Soc. 10 nov. 2009, n° 07-45.321, Dalloz actualité, 23 nov. 2009, obs. S. Maillard ; D. 2009. 2857 , obs. S. Maillard
; ibid. 2010. 672, obs. O. Leclerc, E. Peskine, J. Porta, L. Camaji, A. Fabre, I. Odoul-Asorey, T. Pasquier et G. Borenfreund
; JA 2010, n° 415, p. 11, obs. L. T.
; Dr. soc. 2010. 109, obs. C. Radé
; RDT 2010. 39, obs. F. Géa
; v. égal., Soc. 3 mars 2021, n° 19-24.232 ; v. plus largement, A. Carillon, Le harcèlement moral managérial et le harcèlement moral institutionnel, JCP S 2022. 1208).
La chambre criminelle, quant à elle, avait eu à connaître de cette forme de harcèlement moral, sans jamais l’avoir consacrée officiellement (v. en ce sens, L. Saenko, De la difficulté de caractériser le délit de harcèlement moral institutionnel, JCP S 2023. 1199). Cela est chose faite.
Les juges criminels, s’en rapportant à la ratio legis, considèrent que le harcèlement moral institutionnel entre en effet dans les prévisions de l’article 222-33-2 du code pénal. Ils rappellent ainsi que « la Cour de cassation juge, de façon constante, et au visa de l’article 111-4 du code pénal, que le principe de légalité des délits et des peines impose l’interprétation stricte de la loi pénale (v. par ex., Crim. 25 juin 2002, n° 00-81.359 P, PG CA Versailles, D. 2002. 3099 , note J. Pradel
; ibid. 2475, chron. O. Sautel
; ibid. 2003. 243, obs. S. Mirabail
; ibid. 660, obs. F. Planckeel
; Just. & cass. 2005. 181, rapp. F. Rocheteau
; RSC 2003. 91, obs. B. Bouloc
; ibid. 95, obs. Y. Mayaud
). Il se déduit de cette exigence que si le juge ne peut appliquer, par voie d’analogie ou par induction, la loi pénale à un comportement qu’elle ne vise pas, en revanche, il peut, en cas d’incertitude sur la portée d’un texte pénal, rechercher celle-ci en considérant les raisons qui ont présidé à son adoption (Crim. 5 sept. 2023, n° 22-85.540 P, Dalloz actualité, 10 oct. 2023, obs. S. Lavric ; D. 2023. 1517
; ibid. 2102, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, J.-P. Laborde et S. Mirabail
; AJ pénal 2023. 462 et les obs.
; Dalloz IP/IT 2023. 653, obs. E. Derieux
; Légipresse 2023. 451 et les obs.
; ibid. 620, étude D. Pamart
; ibid. 2024. 190, obs. O. Lévy, E. Tordjman et J. Sennelier
; ibid. 257, obs. N. Mallet-Poujol
) » (§ 28).
Reste que la motivation de la chambre criminelle, particulièrement longue sur ce point (§§ 29 à 40), laisse entendre que sa reconnaissance n’avait rien d’évident.
La caractérisation du délit de harcèlement moral institutionnel
Certes, l’incrimination se distingue par sa largesse. L’article 222-33-2, alinéa 1er, du code pénal réprime en effet le harcèlement moral au travail comme « Le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel […] ».
La lettre du texte révèle ainsi un délit doublement formel, en ce que les propos ou comportements répétés reprochés à l’auteur peuvent seulement avoir pour « objet » une dégradation des conditions de travail du salarié, laquelle dégradation n’a, à son tour, qu’à être « susceptible » de porter atteinte aux conditions de travail dudit salarié. La Cour de cassation n’hésite d’ailleurs pas à le rappeler. Elle a ainsi cassé, au visa notamment de l’article 222-33-2 précité, un arrêt de cour d’appel, considérant que cette dernière avait « ajouté à la loi des conditions qu’elle ne comporte pas en retenant que les conséquences de la dégradation des conditions de travail devaient être avérées, alors que la simple possibilité de cette...
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