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Responsabilité des cartellistes : le premier jugement français dans l’affaire de l’entente des camions rappelle avec sévérité les demandeurs à leurs devoirs

Le premier jugement français sur des dommages et intérêts subséquents à la sanction de l’entente des camions déboute les demanderesses pour défaut de preuve du lien de causalité. Il fait ainsi preuve d’une exigence surprenante contrastant avec une jurisprudence récente favorable aux demandeurs.

Dans la clameur d’une jurisprudence européenne indéniablement « claimant-friendly » (v. R. Amaro et J.-F. Laborde, La réparation des préjudices causés par les pratiques anticoncurrentielles, 2e éd., Concurrences, 2020, p. 158) en ce qu’essentiellement préoccupée par l’objectif d’amoindrir les obstacles rencontrés par les demandeurs (v. en ce sens, toujours dans le contexte de l’entente des camions, la solution rendue par la CJUE dans son arrêt du 10 nov. 2022, Paccar, aff. C-163/21, Dalloz actualité, 25 nov. 2022, obs. L.-M. Augagneur ; D. 2022. 2036 ), le jugement du tribunal de commerce de Lyon rendu le 27 octobre 2022 dans l’affaire des camions apparait par sa sévérité comme une dissonance qui n’est toutefois pas sans vertu.

Le tribunal rejette en effet l’ensemble des demandes en réparation faute de preuve suffisante d’un lien de causalité entre les pratiques anticoncurrentielles des défenderesses et le surcoût dont les demanderesses prétendaient avoir souffert.

Pour mémoire, l’ensemble des constructeurs européens de camions avait été sanctionné à 3,8 milliards d’euros d’amende par la Commission européenne par deux décisions de 2016 et 2017. Les constructeurs s’étaient entendus sur les prix de vente et sur les coûts et les modalités de mise en conformité avec les nouvelles normes d’émission entre janvier 1997 et janvier 2011.

La sanction de cette entente a donné lieu à de multiples contentieux subséquents en Europe par lesquels de nombreuses demanderesses réclament désormais réparation pour le préjudice subi.

Cet abondant contentieux présente une branche française dans le cadre de laquelle le jugement commenté fait office de première brindille. C’est peu de dire que la rigueur avec laquelle le tribunal accueille les prétentions des demanderesses n’annonce pas le printemps radieux des actions en dommages et intérêts auquel certains semblaient s’attendre (v. en ce sens l’accueil pour le moins mitigé réservé par Alain Ronzano au jugement, A. Ronzano, L’actu-concurrence, n° 143/2022, 25 nov. 2022).

En cela, le jugement repose le problème délicat de l’équilibre entre, d’une part, la nécessité de ne pas imposer aux demandeurs sérieux une charge probatoire qui mettrait en péril l’effectivité de leur droit à réparation et, d’autre part, la nécessité d’éviter un enrichissement sans cause de demandeurs qui profiteraient d’un standard dégradé et de la complexité du sujet pour obtenir réparation en se soustrayant aux diligences raisonnables attendues de tout requérant.

Si le jugement commenté apparaît à plusieurs égards comme exigeant vis-à-vis des demanderesses, il conserve le grand mérite d’une analyse technique et approfondie des faits de l’espèce qui entraine un intéressant débat sur le lien de causalité, étape du raisonnement trop souvent survolée dans la jurisprudence.

Quelques considérations liminaires sur le régime juridique applicable

La première question qu’il revenait au tribunal de trancher était celle du régime applicable dans la mesure où les demanderesses s’étaient initialement fondées sur la directive 2014/104/UE (dite « Directive Dommages ») et sa transposition en droit français pour...

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