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Sécurité sociale : notion de pratique commerciale et conformité à la Charte UE

Le recouvrement des cotisations et contributions dues au titre d’un régime obligatoire de protection sociale ne revêt pas le caractère d’une pratique commerciale au sens de la directive 2005/29/CE et ne peut être, dans ce cadre, examiné à l’aune de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (Charte UE).

par Bertrand Inesle 15 juillet 2015

Les caisses de la mutualité agricole sont chargées de gérer les régimes obligatoires de protection sociale des non-salariés des professions agricoles (C. rur., art. L. 721-1 et L. 723-2). À ce titre, elles doivent, outre la délivrance des prestations dues en application des différentes assurances sociales (C. rur., art. L. 732-1 s.), s’assurer du recouvrement des cotisations dues par les personnes obligatoirement affiliées au régime précité (C. rur., art. L. 723-3 et L. 725-1 s.). Comme cela fut le cas par le passé pour l’affiliation au régime des travailleurs non salariés des professions non agricoles (V. CJCE 17 févr. 1993, Poucet et Pistre, aff. C-159/91 et C-160/91, D. 1993. 277 , obs. X. Prétot ; Dr. soc. 1993. 488, note P. Laigre ; ibid. 494, obs. J.-J. Dupeyroux ; RDSS 1993. 310, obs. G. Vachet ; ibid. 554, note P. Chenillet ; RTD com. 1993. 429, obs. C. Bolze ; ibid. 1994. 645, étude G. Lhuilier ; RTD eur. 1995. 39, chron. J.-B. Blaise et L. Idot ; 26 mars 1996, Garcia, aff. C-238/94 ; AJDA 1996. 273, chron. H. Chavrier, E. Honorat et G. de Bergues ; Dr. soc. 1996. 705, note P. Laigre ), le caractère obligatoire, et partant l’absence de choix en découlant, de l’affiliation au régime des travailleurs non salariés des professions agricoles a été contesté, soi-disant pour sa non-conformité au droit communautaire (V. Soc. 30 nov. 2000, n° 98-18.634, Dalloz jurisprudence). Il s’agissait, dans l’un et l’autre cas, de faire reconnaître aux divers organismes mettant en œuvre les régimes légaux et obligatoires de sécurité sociale la qualité d’entreprise, ce qui les aurait de jure soumis au droit de la concurrence et aurait eu pour effet de laisser aux affiliés le choix du prestataire (pour une tentative similaire sur le fondement des directives relatives à l’assurance, V. not. Civ. 2e, 13 mars 2014, n° 12-29.361, Dalloz jurisprudence). Parce qu’ils remplissent une fonction de caractère exclusivement social et n’exercent aucune activité économique, ce que traduisent les éléments de solidarité et le contrôle opéré par l’État sur le montant des cotisations et des prestations (V. CJCE 17 févr. 1993, préc. ; 26 mars 1996, préc. ; 22 janv. 2002, Cisal di Batistello, aff. C-218/00, D. 2002. 1321 ; RDSS 2002. 533, obs. P.-Y. Verkindt ; RTD eur. 2003. 287, chron. L. Idot ; RJS 2002, n° 513, note F. Kessler ; 16 mars 2004, AOK Bundesverband, aff. C-264/01), ces organismes ne peuvent dépendre de la libre concurrence qu’implique le marché unique.

Jamais encore ce caractère obligatoire n’avait été contesté sur le fondement de la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur. La Cour de cassation a dû se prononcer sur ce point dans un arrêt du 18 juin 2015 et ce, pour la première fois.

L’approche retenue, en l’espèce, par le demandeur au pourvoi est néanmoins surprenante. Les organismes de sécurité sociale, dont les caisses de mutualité agricole, semblent a priori bien éloignés des vicissitudes entourant les relations entre professionnels et consommateurs. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a pourtant décidé, dans un arrêt BKK du 3 octobre 2013 (V. CJUE 3 oct. 2013, BKK, aff. C-59/12, D. 2013. 2334 ; Dr. soc. 2014. 464, chron. S. Hennion, M. Del Sol, P. Pierre et M. Hallopeau ; RTD eur. 2014. 730, obs. C. Aubert de Vincelles ; Rev. UE 2014. 436, obs. Karim Jakouloff ; Europe 2013. Comm. 540, obs. M. Meister), qu’un organisme de droit public en charge d’une mission d’intérêt général, telle que la gestion d’un régime légal d’assurance maladie, relève du champ d’application personnel de la directive 2005/29/CE. On est donc en présence d’un « professionnel » qui ne peut diffuser auprès de ses affiliés, alors considéré comme consommateur, des informations trompeuses les empêchant de faire un choix éclairé ou les conduisant à prendre une décision qu’il n’aurait pas prise autrement. Or la directive du 11 mai 2005 emploie indifféremment les termes d’« entreprise » ou de « professionnel » pour désigner celui qui, dans le cadre de son activité, délivre un bien ou un service, même si le second est utilisé plus fréquemment. Le demandeur tente de tirer parti de cette double assimilation. Si les organismes de sécurité sociale entrent dans le champ de la directive 2005/29/CE, ils sont des professionnels et a fortiori des entreprises que les consommateurs, en l’occurrence les affiliés, devraient pouvoir être libres de choisir. Les dispositions du code rural et de la pêche maritime, qui imposent une affiliation au régime de sécurité sociale spécifique aux professions agricoles et qui, pour ce faire, attribuent aux seules caisses de mutualité agricole le soin de procéder au recouvrement des cotisations et contributions nécessaires au financement de ce régime, seraient donc contraires non seulement à la directive précitée mais encore, parce que l’application de celle-ci emporte mise en œuvre du droit de l’Union européenne, à la liberté d’association et au droit d’accès aux prestations de sécurité sociale et à une aide sociale, respectivement consacrés aux articles 12 et 34 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (Charte UE).

Ces arguments n’ont pas prospéré devant la Cour de cassation. Après avoir rappelé que, selon l’article 2, d), de la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005, on entend, aux fins de la directive, par « pratiques commerciales des entreprises vis-à-vis des consommateurs […] toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing, de la part d’un professionnel, en relation avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs », la deuxième chambre civile estime, dans un premier temps, que le recouvrement selon les règles fixées par les règles d’ordre public du code rural et de la pêche maritime des cotisations et contributions dues par une personne assujettie à titre obligatoire au régime de protection sociale des travailleurs non salariés agricoles ne revêt pas le caractère d’une pratique commerciale au sens des dispositions précitées et n’entre pas, dès lors, dans le champ d’application de la directive. Dans un second temps, elle énonce que la Charte UE reconnaît et respecte, en son article 34, § 1, le droit d’accès aux prestations de sécurité sociale et aux services sociaux selon les règles établies par le droit de l’Union et les législations et pratiques nationales et énonce en son article 51, § 2, que la Charte UE n’étend pas le champ d’application du droit de l’Union européenne au-delà des compétences de l’Union ni ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelle pour l’Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies dans les traités. La deuxième chambre civile en déduit que le moyen est inopérant en sa première branche et non fondé pour le surplus.

Ainsi, l’application de la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 aux organismes de sécurité sociale n’emporte pas pour autant contrariété du système d’affiliation et de cotisation obligatoire auprès d’un de ces organismes au droit de l’Union européenne ni à la Charte UE.

Car le refus de mettre en œuvre la directive, en l’espèce, n’est en rien incompatible avec l’arrêt BKK et, au contraire, s’articule avec lui, ce qui écarte toute crainte d’une remise en cause de la jurisprudence Poucet et Pistre (V. S. Hennion, M. Del Sol, P. Pierre et M. Hallopeau, obs. préc.). La CJUE a, pour parvenir à inclure dans le champ d’application personnel de la directive relative aux pratiques commerciales déloyales les organismes de sécurité sociale, suivi une interprétation téléologique de ce texte. Selon elle, la...

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