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Vente après division d’immeuble : constitutionnalité du droit de préemption du locataire

Le droit de préemption  reconnu aux locataires et occupants de bonne foi lorsque leur lot est mis en vente, suite à la division ou à la subdivision de l’immeuble étant susceptible de constituer une limitation au droit de propriété du vendeur, non justifiée par un objectif d’intérêt général, et une méconnaissance du principe d’égalité entre locataires et entre propriétaires, la question soulevée présente un caractère sérieux et doit donner lieu à un contrôle de constitutionnalité.

par Delphine Peletle 19 octobre 2017

Le Conseil d’État a été saisi en septembre dernier d’une demande de renvoi devant le Conseil constitutionnel d’une question portant sur la conformité de l’article 10 de la loi n° 75-1351 du 31 décembre 1975 aux droits garantis par la Constitution.

Ces dispositions confèrent un droit de préemption aux locataires ou occupants de bonne foi, de locaux destinés en tout ou partie à l’habitation. Cette prérogative n’a vocation à s’exercer que dans l’hypothèse d’une vente consécutive à la division initiale ou à la subdivision de l’immeuble. Depuis la loi ALUR n° 2014-366 du 24 mars 2014, si l’offre de vente n’est pas acceptée par le locataire ou l’occupant, un nouveau droit de préemption s’ouvre au profit de la commune, afin que cette dernière puisse assurer le maintien du locataire dans les lieux.

Conformément à l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958, la recevabilité de la question prioritaire de constitutionnelle (QPC) est subordonnée à la preuve du caractère nouveau ou sérieux de la question posée, et de son applicabilité au litige.

Afin d’étayer le caractère sérieux de la QPC introduite, le requérant reprochait aux dispositions litigieuses d’être entachée d’une incompétence négative par laquelle le législateur aurait manqué à son obligation de garantie du droit de propriété et du principe d’égalité devant les charges publiques.

Le droit de préemption est un droit reconnu à des personnes publiques ou privées identifiées, qui leur permet d’acquérir en priorité un bien mis en vente, par préférence à tout autre acheteur. En ce qu’il prive le propriétaire de la possibilité de vendre librement son bien à la personne de son choix, le droit de préemption peut être considéré comme une atteinte au droit de propriété. L’atteinte est, en revanche, admise lorsque le droit de préemption est justifié par des préoccupations d’intérêt général, à l’instar du droit au logement des locataires, réputées parties faibles.

En premier lieu, le requérant indique que la loi ne définirait pas suffisamment ce qu’il convient d’entendre par vente « consécutive » à la division initiale ou à la subdivision de tout ou partie de l’immeuble en lots.

La loi de 1975 donne un droit de préemption au locataire sur la première vente consécutive à une modification de la situation juridique de l’immeuble, que constitue soit la division initiale du bien, soit sa subdivision, dans un sens matériel ou juridique. Plusieurs arrêts sont venus préciser qu’un immeuble placé ab initio sous le régime de la copropriété ne pouvait donner lieu à l’application de l’article 10 de la loi de 1975, la division étant d’origine (Civ. 3e, 8 avr. 1987, n° 84-15.191 ; 19 févr. 1992, n° 90-12.677). De même, les juges exigent-ils que la vente soit la première à intervenir postérieurement à la division (Civ. 3e, 16 nov. 2005, n° 04-12.563, D. 2005. 2968, obs. Y. Rouquet ; ibid. 2006. 958, obs. N. Damas ; AJDI 2006. 372 , obs. Y. Rouquet ), le droit de préemption n’étant plus applicable à partir de la seconde mise en vente du bien (Civ. 3e, 5 avr. 1995, n° 92-16.574, RDI 1995. 564, obs. J.-C. Groslière et C. Saint-Alary-Houin ).

Le requérant dénonce l’atteinte portée au droit de propriété du vendeur par le caractère disproportionné du champ d’application du droit de préemption. Cette critique vise-t-elle l’étendue des bénéficiaires ou bien le type de ventes concernées ?

A priori, l’application ratione materiae de l’article 10 paraît plutôt restreinte, si l’on considère qu’il limite le droit de préemption aux seules hypothèses de ventes de biens destinés à l’habitation, uniquement dans le cas où la vente est la première à suivre la division ou la subdivision de l’immeuble. De surcroît, l’article 10 encadre très strictement les conditions de la vente en prévoyant notamment de nombreux délais. Enfin, le droit de préemption litigieux est autonome et indépendant de celui consacré à l’article 15-II de la loi n° 89-642 du 6 juillet 1989, dont il doit être distingué.

En revanche, l’application ratione personae du texte pourrait être en cause, en ce qu’il attribue ce droit de préemption non seulement aux locataires, mais également aux occupants de bonne foi. Selon l’article 1er du décret de 1977, ces derniers sont ceux visés par l’article, 4 alinéa 2, de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948, à savoir « les locataires, sous-locataires, cessionnaires de baux, à l’expiration de leur contrat, ainsi que les occupants qui, habitant dans les lieux en vertu ou en suite d’un bail écrit ou verbal, d’une sous-location régulière, d’une cession régulière d’un bail antérieur, d’un échange opéré dans les conditions légales, exécutent leurs obligations ». Par ailleurs, la commune peut, elle aussi, se prévaloir du droit de préemption si les locataires n’ont pas souhaité se porter acquéreurs. Cette récente extension du droit de préemption renforce l’atteinte portée au principe de libre disposition du bien par le propriétaire, d’autant qu’à défaut d’accord amiable, le prix est fixé comme en matière d’expropriation.

Concernant enfin la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi, le requérant reproche aux dispositions litigieuses d’induire des différences de traitement entre propriétaires et entre locataires, sans rapport avec leur finalité, la protection de l’habitation. En effet, les dispositions de l’article 10 de la loi de 1975 institue des différences de traitement entre propriétaires de biens à vendre non divisés, ou ayant déjà été vendus après division, qui ne supportent pas ce droit de préemption, et propriétaires de biens vendus pour la première fois après division, qui sont quant à eux tenus de proposer en priorité leur bien au locataire ou à la commune. A contrario, en fonction de la situation dans laquelle se trouve le bien, le locataire bénéficiera ou ne bénéficiera pas du droit de préemption, ce qui pourrait s’analyser en une rupture d’égalité injustifiée.

L’examen de cette QPC sera donc l’occasion pour le Conseil constitutionnel de se prononcer sur la proportionnalité du rapport entre la gravité de l’atteinte portée au droit de propriété du vendeur, ainsi que la rupture d’égalité qui pourrait en découler entre propriétaires et entre locataires, et l’importance du motif d’intérêt général poursuivi par le législateur.