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Violation du secret professionnel : un an de prison avec sursis requis contre l’ancien garde des Sceaux

Le parquet de la Cour de justice de la République a requis, hier, une peine d’un an de d’emprisonnement assorti du sursis à l’encontre de Jean-Jacques Urvoas, jugé pour violation du secret professionnel.

par Marine Babonneaule 27 septembre 2019

 « Pardonnez-moi la trivialité de la question mais qu’est-ce qui vous a pris ? », a demandé à Jean-Jacques Urvoas le président de la Cour de justice de la République, Jean-Baptiste Parlos. Cette question, si elle n’est pas fondamentale pour caractériser la violation du secret professionnel dont est accusé l’ex-garde des Sceaux, a eu le mérite d’assouvir – enfin – la curiosité de tous. Pourquoi le ministre de la justice, à la veille de quitter la place Vendôme, après la victoire d’Emmanuel Macron à la présidentielle, a-t-il pris le risque de transmettre une « FAP », fiche d’action publique contenant des éléments de procédure au député Thierry Solère, poursuivi par la justice dans une affaire de fraude fiscale ? « On a oublié l’incroyable tension de cette période, entre la fin janvier 2017 et la victoire de Macron, a débuté M. Urvoas. Créditez-moi d’avoir souhaité être un minitre utile. (…) Le souhait d’être utile m’a habité à chaque instant. (…) J’avais l’impression d’avoir un devoir à accomplir ». L’ancien ministre de la justice n’a pourtant « pas la délectation de la lumière », seule « la volonté d’agir » le guide. La preuve, « les plus beaux messages » de soutien reçus depuis le début de l’affaire sont venus des magistrats. « Ça m’aide à vivre tous les jours », dit-il, aidé d’un « bilan dont il est fier ». Personne ne conteste, d’ailleurs. Et puis, il y a « ce candidat à la présidentielle, François Fillon, qui en février 2017, sur France 2 dit qu’il y a un cabinet noir à la justice, il donne un nom : celui du directeur des affaires criminelles et des grâces (DACG). Pendant des semaines, la DACG va être canonnée, mon travail d’un an et demi mis à terre, c’est donc cela qu’il restera de moi ? (…) Pardon de ce narcissisme. Thierry Solère était parti de ce concert, « le cabinet noir », ce sont les termes de Thierry Solère ».

« Ce n’est pas à la Cour de justice de dire si le secret ou pas s’applique à un ministre ! »

À la fin 2016, Thierry Solère, déjà en proie aux révélations de la presse, dit tout le mal qu’il pense de la justice et de la police à Jean-Jacques Urvoas qu’il croise dans les couloirs de l’Assemblée nationale. Pour défendre « l’intégrité » du parquet de Nanterre, Jean-Jacques Urvoas promet au député courroucé de demander des informations, à savoir une FAP, « ce document d’une banalité confondante ». Le temps passe, le ministre assure qu’il est passé à autre chose, une FAP sur le dossier Solère lui parvient en février 2017 sans qu’il ne la demande - c’est courant pour avertir d’affaires sensibles. Il n’en fait rien. Le 26 avril, Thierry Solère est invité à la Chancellerie en tant que politique parlant à un politique. La campagne présidentielle bat son plein, il faut penser à l’après, les deux hommes briguent un mandat de député. Thierry Solère n’est plus le porte-parole de François Fillon mais il est proche d’Edouard Philippe. « À ce moment, je reçois un homme politique, pas un justiciable, explique Jean-Jacques Urvoas. (…) Mon sujet, ce n’est pas notre situation personnelle mais ce qui arrive à notre pays. À la fin du rendez-vous, il me reparle du document dont je lui avais parlé mais que je n’avais jamais envoyé ». Il s’engage à lui faire parvenir. Ce sera chose faite le 5 mai 2017.

« Je n’ai aucun souvenir d’avoir évoqué le sujet », proteste à la barre Thierry Solère. Peu importe, le message est envoyé et la matérialité des faits n’est contestée par personne. En revanche, Thierry Solère ne s’attendait pas pour autant à recevoir un message de Jean-Jacques Urvoas. Il croit d’abord lire un extrait d’un article de presse mais se rend compte qu’il y a des informations, qu’il connaît, mais dont les journalistes ne disposent pas. Il a le reflexe immédiat de montrer cela à son avocat, Pierre-Olivier Sur, qui lui dit « détruis-moi ça tout de suite ! ». Mieux, Thierry Solère précise à la cour : « j’ai veillé à ne plus avoir de contact avec le ministre ». Jean-Jacques Urvoas a-t-il tenté, en proposant de transmettre des informations sensibles à l’intéressé, « de créer les conditions qui auraient facilité son élection aux législatives ? », interroge la cour. Il n’aurait jamais négocié Thierry Solère, qui n’est pas « un adversaire principal », mais plutôt avec Richard Ferrand, « un finistérien », assure-t-il. « Je n’ai cherché aucun investissement au nom de la fidélité à l’organisme à qui je dois ma carrière politique, le parti socialiste ».

Jean-Jacques Urvoas a transmis une FAP, pour protéger l’institution judiciaire malmenée par Thierry Solère. Il l’a fait d’autant plus librement que ces fiches n’ont pas de caractère secret. Un ministre ne peut être tenu par le secret du parquet « autrement, il y aurait instrumentalisation du ministère public, assure-t-il. Je suis une autorité politique, mes devoirs, c’est la Constitution de la République qui me les donne, je dois rendre des comptes. (…) Si j’avais lu la FAP devant l’Assemblée nationale, serais-je devant vous aujourd’hui ? (…) Ce n’est pas à la Cour de justice de dire si le secret ou pas s’applique à un ministre ! C’est à la loi de le faire et elle ne le prévoit pas. Je n’ai rien signé. (…) Dès lors, il m’appartient de décider ce que je fais des FAP. (…) Révéler ou communiquer un document qui ne relève d’aucune protection, c’est la même chose. Le secret professionnel n’existe pas pour les ministres ».

 « Il est beaucoup plus vraisemblable que M. Urvoas a souhaité être agréable à M. Solère »

Le parquet n’est pas tout à fait d’accord avec cette analyse. Pendant 1h30, Philippe Lagauche et François Molins vont livrer un réquisitoire charpenté sur « un dossier emblématique qui pose la question de notre système d’informations dans les affaires individuelles » et qui « révèle sa fragilité ». « Je voudrais vous rappeler que la responsabilité politique d’un ministre de la République ne le place pas au-dessus des lois. Vous êtes là pour juger s’il a, ou pas, commis une infraction dans l’exercice de ses fonctions. C’est la première fois que la Cour de justice de la République juge un ancien garde des Sceaux, mis en cause pour violation du secret professionnel », a débuté le procureur général François Molins. C’est un dossier « d’une gravité certaine » car le ministre de tous les magistrats « a trahi la confiance de ceux qui lui sont subordonnés, en violant le secret dont sont couvertes les informations que ces derniers lui transmettent conformément à la loi ».

À Philippe Lagauche, avocat général délégué auprès de la Cour, de s’attacher aux faits. « On a beaucoup parlé des FAP au cours de ce procès, comme s’il s’agissait d’une innovation majeure de ces dernières années, qui obéirait à un régime juridique sui generis ». Ce n’est rien d’autre qu’un note au cabinet, « modernisée ». « Cela ne change évidemment rien en termes de secret, qui ne dépend que de son contenu et non de sa forme ». Les magistrats interrogés l’ont dit, « unanimement » : le contenu des FAP est par nature secret, même après l’éventuelle synthèse opérée par la DACG. C’est la loi de 2013 et sa circulaire du 31 janvier 2014 qui encadrent ces remontées. Pour l’avocat général, « ce cadre législatif et réglementaire est on ne peut plus clair, et il n’est pas exact de dire qu’il n’existe aucun texte applicable en matière de secret des remontées d’informations ». D’un côté l’article 11 du code de procédure pénale pour ceux qui concourent à l’enquête et de l’autre l’article 226-13 du code pénal pour qui reçoivent les « secrets » des parquetiers. C’est le secret professionnel. « Il n’est nul besoin de faire prêter serment au ministre, ça ne s’est jamais vu, ni de définir « une doctrine d’emploi du garde des Sceaux » ». Logiquement, la personne soumise au secret ne peut en aucun cas fournir des informations secrètes à une personne qui n’y serait pas soumise.

Et puis, se demande Philippe Lagauche, « comment concevoir qu’un procureur de la République, un procureur général, ou qu’un DACG, tous magistrats du parquet statutairement sous l’autorité du garde des Sceaux, expurge ou filtre l’information qu’ils lui donnent ? L’information doit être complète, c’est une question d’efficacité – sinon l’information est inutile – et de loyauté ». Et le ministre a bien évidemment le droit de se servir de ces informations « mais s’en servir ne veut pas dire les rendre publiques. Ne pas faire la différence entre savoir et révéler, entre parler sommairement du contenu de la fiche et diffuser, c’est étonnant ». Jean-Jacques Urvoas a voulu défendre l’institution judiciaire en transmettant la FAP à Thierry Solère ? Ça n’a pas de sens, pour le magistrat. Thierry Solère n’a pas attaqué la justice mais Bercy et Jean-Jacques Urvoas avait des tas d’autres moyens de défendre l’institution. Sur un dossier en cours, « ce n’est pas au ministre de la Justice de faire des mises au point sur des procédures individuelles ». En réalité, « il est beaucoup plus vraisemblable que M. Urvoas a souhaité être agréable à M. Solère (…) soit pour des raisons amicales ou d’appartenance aux mêmes cercles, mais on nous a dit que non, soit pour des raisons politiques liées au contexte électoral de l’époque ».

Jean-Jacques Urvoas a « trahi la confiance de ces magistrats attachés au respect de ce secret  »

François Molins estime la défense de l’ex-ministre de la justice « étonnante ». « Que dirait-on si le ministre du budget venait expliquer qu’il n’est pas soumis au secret fiscal ? ». Premier point : le contenu de ces fiches était-il secret ? « En dehors du secret défense ou du secret médical, il n’existe pas de secret professionnel par nature ; c’est la nature des informations et le dépositaire des données qui confèrent à celles-ci leur caractère confidentiel ». La loi ne peut pas définir « systématiquement » ce qui relève du secret ou pas, c’est « irréaliste », « c’est à la jurisprudence » de le faire, continue l’ancien procureur de Paris. Dans cette affaire, les FAP « portent le contenu des procédures d’enquête ou d’information qu’il convient de protéger de toute entrave, et sur des qualifications pénales qui peuvent gravement préjudicier aux personnes, à leur réputation et à leur honorabilité ». C’est la « chaîne du ministère public ». François Molins détaille le contenu des fiches transmises à M. Solère : nature et montant des droits éludés, ouverture d’une enquête préliminaire, extension de la procédure, perquisitions au sein de sociétés…. Il ne fait aucun doute pour le magistrat que les éléments contenus dans la FAP sont couverts par le secret.

Le garde des Sceaux est-il tenu à un secret quelconque ? « M. Urvoas soutient également qu’aucune norme ne prévoit le secret professionnel inhérent aux fonctions de garde des Sceaux et que le caractère secret serait directement lié à l’information, et non à l’activité exercée ». Jean-Jacques Urvoas a soutenu également qu’il n’avait jamais été averti que ces informations étaient secrètes, et d’ailleurs, a-t-il répété à la barre, il n’est pas astreint au secret de l’instruction puisqu’il ne concoure pas à l’enquête. Il a aussi affirmé qu’il était seul juge des personnes à qui il divulguait les FAP. « Avec ce type de raisonnement, il pourrait aussi livrer des informations au mis en cause dans une affaire de trafic de stupéfiant ou de terrorisme », a cinglé François Molins. Personne n’a jamais déclaré que le ministre de la justice était soumis au secret de l’instruction. Ce n’est pas la question. « Il n’est pas non plus la personne désignée pour communiquer sur des éléments précis issus de l’enquête, le procureur de la République étant le seul désigné pour ce faire, (…) à l’exclusion de tout autre, fut-il ministre de la justice ou de l’intérieur ! Donc, le garde des Sceaux n’a pas, institutionnellement parlant, le droit d’aller communiquer des éléments d’enquête sur les plateaux télé ou radios ! ». Le garde des Sceaux, parce qu’il est l’autorité hiérarchique du parquet et en charge de la politique pénale, a le droit de demander des informations dans cet unique cadre. « En aucun cas la remontée d’informations ne peut être motivée par le fait de permettre au garde des Sceaux de renseigner, directement et par messagerie cryptée, le principal mis en cause des évolutions d’une enquête en cours le concernant et couverte par le secret. Ceci n’a rien à voir avec l’intérêt général ». Plus simplement, c’est une simple « question de bon sens » de ne pas aller divulguer partout des informations couvertes par le secret.

« Une déclaration de culpabilité s’impose donc à l’évidence. Votre décision aura donc, je le rappelais au début de mon propos, une portée considérable car ce dossier a révélé la fragilité de notre système de remontée d’informations des magistrats du parquet au garde des Sceaux. (…) L’affaire qui vous est soumise révèle la fragilité de notre système et la loi du 25 juillet 2013 (…) a un goût d’inachevé. Le statut du parquet tel qu’il existe aujourd’hui ne garantit pas suffisamment son indépendance dans la conduite des affaires individuelles ».

Mais, a-t-il prévenu, une déclaration de relaxe reviendrait à donner entière liberté à un ministre, en toute impunité, tout en tarissant les remontées des parquets. Une relaxe « signifierait la fin du ministère public à la française ».

Le ministère public requiert un an de prison avec sursis. Jean-Jacques Urvoas a « trahi la confiance de ces magistrats attachés au respect de ce secret, ce qui démontre la gravité tout à la fois réelle et symbolique des faits commis ». Il y eu « un trouble » grave et ce d’autant plus que l’information a été donné à la personne soupçonnée. « Monsieur Urvoas a jugé plus important, en tant qu’homme politique, à l’heure où il se sentait qu’il allait perdre son ministère et se trouvait en difficulté pour sa réélection dans sa circonscription, de ménager un autre homme politique, plutôt que, en tant que garde des Sceaux, protéger une enquête judiciaire en cours et ainsi protéger le travail des magistrats dont il était le ministre ».

La défense plaide aujourd’hui. Le délibéré est attendu lundi 30 septembre.