Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Le droit en débats

Justice pénale négociée : la délicate question de la situation des personnes physiques

La justice pénale négociée, de création relativement récente et issue d’une autre culture juridique que la nôtre, défraie la chronique judiciaire depuis quelques années. Les imperfections des régimes des principaux mécanismes que sont la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) et la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) soulèvent des débats juridiques d’une grande importance.

En 2021, l’affaire Bolloré posait la question cruciale de la place à accorder aux personnes physiques, singulièrement aux dirigeants de l’entreprise, dans le cadre d’une CJIP. Dans cette affaire, le parquet national financier (PNF) avait, pour des faits allégués de corruption au Togo, négocié, en parallèle d’une CJIP avec le Groupe Bolloré SE, trois procédures de CRPC avec Vincent Bolloré et deux dirigeants de son groupe. Le 26 février 2021, ces procédures firent l’objet d’un refus d’homologation au motif que les faits avaient gravement porté atteinte à « l’ordre public économique » et à « la souveraineté de l’État togolais » et qu’ils nécessitaient donc la tenue d’un procès pénal. L’admission concomitante de la CJIP négociée avec le Groupe Bolloré SE avait soulevé la question de la prise en compte de la situation pénale des personnes physiques : comment ce mécanisme pouvait-il rester attractif pour les entreprises si leurs dirigeants n’étaient pas assurés de l’homologation de l’accord relatif à leur situation personnelle ? Comment s’assurer qu’en cas d’échec de l’homologation et donc de renvoi devant le tribunal correctionnel, leur droit à ne pas s’auto-incriminer et le principe de la présomption d’innocence soient garantis en dépit de leur admission des faits dans la perspective d’un accord de justice négociée ? À la suite de cette affaire, la mission d’information parlementaire sur l’évaluation de l’impact de la loi Sapin 2 s’est montrée soucieuse de réformer le dispositif français de justice négocié à l’égard des personnes physiques. Les parlementaires ont notamment insisté « sur l’importance de donner une plus grande assurance aux parties que le compromis trouvé à la suite de la phase de négociation sera homologué par le juge »1.

Le 17 mai 2022, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu un arrêt important dans lequel elle affirme clairement qu’en cas de refus par le juge d’homologuer une procédure de CRPC, le ministère public n’est pas autorisé à se présenter de nouveau, dans la même affaire, devant le juge homologateur en proposant une peine qui prenne en compte les motifs de la non-homologation initiale. Cet arrêt, en imposant au parquet de saisir la juridiction de jugement ou d’instruction, sans possibilité de mieux se pourvoir devant le juge homologateur, s’éloigne un peu plus des préoccupations fondamentales en matière de justice pénale négociée : mieux assurer les droits de la défense et donner aux personnes physiques une plus grande assurance que la peine qu’elles se voient proposer et qu’elles acceptent soit homologuée par le magistrat du siège.

En l’espèce, dans le cadre d’une procédure de CRPC, le PNF avait proposé une peine à un individu poursuivi du chef de blanchiment qui reconnaissait les faits. Le 6 juillet 2021, le juge du siège délégué par le président du tribunal judiciaire de Paris avait rendu une ordonnance de refus d’homologation. Le 12 octobre 2021, après avoir proposé une nouvelle peine, conforme aux exigences du juge homologateur, à la personne poursuivie qui l’acceptait, le PNF avait introduit une nouvelle requête en homologation. Le juge de l’homologation avait alors déclaré cette seconde requête en homologation irrecevable au motif que la première avait déjà fait l’objet d’un refus. Afin de contester cette ordonnance d’homologation insusceptible de recours (C. pr. pén., art. 495-12), comme dans l’affaire Bolloré, le PNF n’avait eu d’autre choix que se pourvoir en cassation pour excès de pouvoir. La Cour de cassation a déclaré le pourvoi irrecevable au motif qu’il était intervenu plus de cinq jours francs après la décision, en violation de l’article 568 du code de procédure pénale. La haute juridiction juge « qu’une nouvelle proposition de peine ne saurait autoriser, après un refus d’homologation, la mise en œuvre d’une autre comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité » et en déduit qu’en « déclarant irrecevable la seconde requête en homologation au motif que la première proposition de peine avait fait l’objet d’un refus d’homologation, le juge délégué n’a pas excédé ses pouvoirs ».

L’absence de voie de recours effective en cas de non-homologation d’une CRPC

Les conditions pour former un appel dans le cadre d’une procédure de CRPC sont limitées. S’agissant des ordonnances d’homologation, la personne condamnée peut interjeter appel à titre principal de l’ordonnance d’homologation dans le délai de dix jours et le procureur de la République a la seule faculté de faire appel à titre incident2 (C. pr. pén., art. 495-11, al. 3). En revanche, si le juge homologateur rejette la proposition du procureur de la République, ce dernier ne dispose d’aucune voie de recours contre l’ordonnance de refus d’homologation. Dans l’arrêt du 17 mai 2022, la Cour de cassation rappelle à cet égard qu’« aucun texte n’envisageant la possibilité d’un recours contre l’ordonnance de refus d’homologation des peines proposées par le procureur de la République dans le cadre d’une procédure de CRPC, un pourvoi en cassation contre une telle décision n’est possible que si son examen fait apparaître un risque d’excès de pouvoir relevant du contrôle de la Cour de cassation ». De façon prétorienne, la Cour de cassation a fait de l’excès de pouvoir un cas particulier d’ouverture à cassation permettant de contester des décisions normalement insusceptibles de recours lorsque le juge a méconnu gravement son office ou l’étendue de ses pouvoirs. Toutefois, la haute cour a adopté une conception restrictive de la notion en la restreignant aux seuls cas dans lesquels le juge n’est pas habilité à prononcer la décision contestée3. Ainsi, ne constitue un excès de pouvoir ni la violation des règles relatives à la composition des juridictions, ni la violation du principe de la contradiction4, ni la violation de l’obligation de motivation5, ni la méconnaissance du principe de loyauté des débats6, ni même la méconnaissance des articles 6, § 1, et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme7.

Cette conception restrictive s’est confirmée dans l’affaire Bolloré. Le 12 avril 2021, la Cour de cassation a rendu un arrêt de non-admission du pourvoi formé par le PNF pour excès de pouvoir contre l’ordonnance de refus d’homologuer les procédures de CRPC négociées, en parallèle de la CJIP, entre Vincent Bolloré, deux dirigeants de son groupe et le PNF. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 17 mai 2022, le pourvoi du PNF, à le supposer recevable car formé dans les temps, aurait donc eu peu de chance de prospérer. En effet, aucun texte n’interdit au juge homologateur de rendre une ordonnance de refus l’homologation au motif qu’une première avait déjà été rendue pour les mêmes faits. Dès lors, il est acquis que face à une ordonnance de refus d’homologuer, le ministère public et la personne poursuivie sont dépourvues de voie de recours. Ni l’appel ni le pourvoi en excès de pouvoir ne permettent de contrôler l’action du juge homologateur. Après l’arrêt du 17 mai 2022, il est également établi que le ministère public n’est pas habilité non plus à solliciter une seconde fois l’homologation de la peine, quand bien même celle-ci tiendrait compte des motifs ayant conduit à l’échec de la première CRPC. Ceci constitue non seulement un frein au développement de la justice négociée, mais également une sérieuse limitation au principe de l’opportunité des poursuites.

La limitation contestable de l’opportunité des poursuites du ministère public par la Cour de cassation

Dans cette affaire, la décision de la Cour de cassation ne semble pas, à première vue, sujette à beaucoup de contestation dès lors que le pourvoi a été formé au-delà du délai de cinq jours francs prévu par l’article 568 du code de procédure pénale. Néanmoins, la Cour de cassation ayant tenu à statuer sur le bien-fondé du pourvoi pour excès de pouvoir, il aurait été souhaitable qu’elle motive sa décision. Pour aboutir au principe suivant lequel un premier refus d’homologation rend impossible la mise en œuvre d’une nouvelle procédure de CRPC pour les mêmes faits, la Cour de cassation se fonde sur l’article 495-12 du code de procédure pénale ainsi que sur « les travaux parlementaires des lois n° 2004-204 du 9 mars 2004 et n° 2018-898 du 23 octobre 2018 ». Cette référence aux travaux parlementaires semble surprenante. D’abord, il est difficile de trouver dans les travaux législatifs de la loi du 9 mars 2004 des éléments qui pourraient asseoir de manière définitive la position de la Cour de cassation, d’autant plus qu’à l’époque, le Parlement ne pouvait avoir un recul suffisant sur la procédure de CRPC pour nourrir une réflexion de ce type. Ensuite, la loi du 23 octobre 2018 n’a modifié le régime de la CRPC que pour y inclure le délit de fraude fiscale. À aucun moment, le Parlement ne s’est prononcé, lors de l’examen de ce texte, sur l’opportunité de permettre au ministère public d’introduire une nouvelle requête en homologation après une première ordonnance de refus. Au contraire, il est venu étendre le champ de la CRPC.

En réalité, le fondement le plus sérieux avancé par la Cour de cassation est celui de l’article 495-12 du code de procédure pénale. Ce texte dispose en effet qu’en cas de refus d’homologation « le procureur de la République saisit, sauf élément nouveau, le tribunal correctionnel selon l’une des procédures prévues par l’article 388 [citation, convocation par procès-verbal ou comparution immédiate] ou requiert l’ouverture d’une information ». Dans une lecture littérale, ce texte semble signifier que le ministère public n’a d’autre choix, après un refus d’homologation, que de saisir le tribunal correctionnel ou un juge d’instruction. Pourtant, il est traditionnellement admis que lorsque le juge saisi refuse l’homologation de la peine, le procureur de la République recouvre « son pouvoir d’opportunité des poursuites pour choisir le nouveau mode de poursuite qui lui paraît le plus adapté à la cause, voire décider d’un classement sans suite »8. Dès lors que, conformément au principe de l’opportunité des poursuites, le ministère public est fondé à prononcer un classement sans suite à la suite d’une ordonnance de refus d’homologation, il pourrait apparaître paradoxal de lui denier le droit de se présenter une nouvelle fois devant le juge homologateur, mieux pourvu d’une peine qui serait plus adaptée à « la nature des faits, la personnalité de l’intéressé, la situation de la victime ou les intérêts de la société » (C. pr. pén., art. 495-11-1). Ceci est d’autant plus étonnant que l’ordonnance de refus d’homologation ne saurait bénéficier de l’autorité de la chose jugée. La position de la Cour de cassation n’est pas, en soi et nécessairement, illégitime. Simplement, de meilleures explications auraient été utiles dès lors que le choix a été fait de prendre position en dépit de l’irrecevabilité du pourvoi tardif. Plutôt que de poser un principe sans y apporter aucune motivation, la Cour de cassation aurait peut-être dû se contenter de déclarer le pourvoi tardif irrecevable et repousser à une prochaine affaire la détermination d’une position arrêtée sur ce point. Ceci aurait été d’autant plus souhaitable que cette position est appelée à entraîner des conséquences importantes dans la pratique quotidienne des CRPC et, plus largement, de la justice négociée.

Le risque d’atteinte aux droits de la défense en cas de non-homologation d’une CRPC

Considérer que le ministère public, dépourvu de toute voie de recours, ne peut plus introduire une nouvelle requête en homologation après une première ordonnance de refus revient à lui donner le choix, soit de citer la personne poursuivie – et ayant reconnu les faits dans la perspective de la CRPC – devant le tribunal correctionnel, soit de saisir un juge d’instruction, soit de prononcer un classement sans suite. Dans la majorité des cas – compte tenu du fait que la personne a formellement reconnu les faits – et en l’absence de faits nouveau, le parquet ne va probablement pas classer l’affaire. Or la citation devant le tribunal correctionnel ou l’ouverture d’une information après que la personne a reconnu les faits semble difficilement conciliable avec le droit de ne pas s’auto-incriminer ou le principe de la présomption d’innocence. L’article 495-14, alinéa 2, du code de procédure pénale prévoit, en cas d’échec de la CRPC par refus de la proposition du procureur par le prévenu ou par rejet de l’homologation, que la déclaration de culpabilité ne peut être prise en compte par la juridiction de jugement ou d’instruction. Concrètement, cela signifie que les procès-verbaux relatifs à la procédure de CRPC seront archivés et en aucun cas transmis à la juridiction ou au juge d’instruction saisi. Toutefois, il est très difficile en pratique de s’assurer que les magistrats nouvellement saisis n’auront pas connaissance de l’échec de la CRPC – notamment dans le cas des affaires médiatisées – et donc de la reconnaissance de culpabilité de la personne qu’ils auront à juger.

Aggravation du risque en cas de recours simultané à la CJIP et à la CRPC

Ce risque d’atteinte aux principes fondamentaux de la procédure pénale est encore accru en cas de négociation simultanée d’une CJIP et d’une CRPC. Le recours à la CRPC permet, dans le cadre de la négociation d’une CJIP entre le parquet et une personne morale, de régler le sort des dirigeants de l’entreprise. L’une des conditions posées par l’Agence française anticorruption (AFA) et le PNF pour la conclusion d’une CJIP est « la coopération de l’entreprise à l’enquête et la mise en œuvre d’investigations internes »9. Non seulement cette coopération est un facteur minorant du montant de l’amende, mais elle est présentée comme une étape indispensable pour que le ministère public renonce aux poursuites et envisage la conclusion d’une CJIP. Le fait que depuis la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020, l’entreprise ne soit plus contrainte de reconnaître les faits en cas d’information judiciaire n’y change rien, sa coopération étant toujours requise pour obtenir l’assentiment du parquet à la conclusion d’une CJIP. Dans ce cadre, l’entreprise est amenée à révéler des éléments de fait et il n’est pas illégitime que ses dirigeants attendent que leur situation pénale personnelle fasse également l’objet d’une négociation. La procédure de CRPC a pu alors apparaître comme « un outil complémentaire et bien adapté à la négociation d’une CJIP » dont la rapidité et la confidentialité permettaient une synchronisation du traitement de la personne morale et de ses dirigeants10. Ainsi, le ministère public négocie avec les dirigeants, les termes de la CJIP pour la personne morale et pour eux, la peine dont il sera demandé l’homologation au président du tribunal judiciaire dans le cadre d’une procédure de CRPC. Cependant, dès lors (i) qu’il existe un risque de refus d’homologation de la CRPC et (ii) que le ministère public ne peut pas en introduire une seconde requête, plus conforme aux attentes du juge homologateur, en cas de refus de ce dernier, la question se pose de savoir comment convaincre les dirigeants de l’opportunité de révéler spontanément des faits délictuels alors même qu’ils pourraient craindre que tous les éléments qu’ils auront remis au parquet dans le cadre des négociations de la CJIP seront utilisés contre eux devant le tribunal correctionnel. Non seulement ceci porte atteinte au droit de la défense le plus élémentaire, celui de ne pas s’auto-incriminer, mais encore cela fait peser un risque significatif sur l’avenir de la justice négociée en France.

La pérennité de la CJIP, outil permettant une solution rapide et efficace des dossiers d’atteinte à la probité, dépend notamment de la manière dont on traitera la situation des personnes physiques mises en causes11. C’est la raison pour laquelle, il apparaît fondamental de repenser le mécanisme de la CRPC afin qu’il s’articule mieux avec les CJIP et que les droits fondamentaux des personnes physiques soient respectés.

La nécessité de prévoir un mécanisme d’inclusion des personnes physiques dans un accord global

Pour mieux assurer aux personnes physiques que l’accord trouvé avec le ministère public sera homologué, la mission d’information parlementaire a proposé dans les conclusions de son rapport d’évaluation de la loi Sapin 2 de créer un dispositif de CRPC spécifique, dont le champ serait restreint aux faits de corruption et autres infractions d’atteinte à la probité. Cette procédure serait conditionnée à la révélation spontanée des faits et à la pleine coopération à l’enquête des personnes physiques. Le parquet serait tenu d’adapter la peine proposée à la gravité des faits en cause. « En contrepartie, les critères pris en compte par le juge au stade de l’homologation seraient précisés, de manière à limiter le risque de refus. L’appréciation du juge porterait essentiellement sur la qualification juridique des faits, sur le caractère spontané de leur révélation, ainsi que sur la réalité de la coopération de la personne physique aux investigations. »12 Cette position n’a toutefois pas été reprise par la proposition de loi n° 4586 visant à renforcer la lutte contre la corruption déposée par le député Raphaël Gauvain le 19 octobre 2021. Bien qu’intéressante, cette proposition nous semble toutefois incomplète en ce qu’elle ne prend pas en compte la nécessité de lier le sort de la personne physique à celui de la personne morale pour s’assurer de la pleine coopération des dirigeants et en même temps du respect de leurs droits fondamentaux. C’est la raison pour laquelle, certains praticiens ont pu justement proposer de prévoir la possibilité d’une « résolution globale » matérialisée par la conclusion d’une CJIP, qui inclurait à la fois les dirigeants et la personne morale13. De la sorte, les dirigeants continueraient à avoir intérêt à révéler spontanément des faits délictueux et à coopérer avec les autorités. Cette proposition a d’ailleurs été reprise par l’Agence française anticorruption qui, dans sa réponse au questionnaire adressée par la mission d’information parlementaire, relève que « la CRPC n’est pas forcément l’instrument le plus adapté, notamment par le fait que les sanctions encourues dans la CRPC ne sont pas toujours adaptées et qu’il vaudrait mieux envisager, dans certaines conditions envisagées par la loi, des CJIP qui règlent à la fois le sort des entreprises et de leurs dirigeants en une seule et même décision qui serait soumise à l’homologation du juge simultanément et qui ne pourrait être validée que globalement »14.

A minima, l’introduction d’un recours contre les ordonnances de refus d’homologation des CRPC

En attendant que cette proposition puisse un jour aboutir, il conviendrait a minima de réformer la procédure de la CRPC afin de mieux assurer les droits de la défense. Le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution, le fait qu’il n’existe pas de voie de recours en cas de refus d’homologation de la requête introduite par le ministère public15. Le Conseil constitutionnel considère en effet que (i) la Cour de cassation ayant ouvert un pourvoi en cassation en cas d’excès de pouvoir, que (ii) le refus d’homologation ne valant pas condamnation pénale, et que (iii) la juridiction de jugement ou d’instruction n’ayant pas accès aux procès-verbaux relatifs à la procédure de CRPC, il n’était pas porté atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif. Toutefois, ceci semble relativement éloigné de la pratique judiciaire. Non seulement le pourvoi pour excès de pouvoir n’est pas un véritable recours juridictionnel compte tenu du caractère particulièrement restrictif de la notion, mais encore chaque praticien sait que la reconnaissance par une personne poursuivie est faite par elle en vue de conclure avec le ministère public une CRPC. Dès lors, il est artificiel de considérer que la juridiction de jugement n’aura pas accès aux procès-verbaux intéressant la procédure de CRPC alors même que le ministère public lui-même aura connaissance de ce que le prévenu a déjà reconnu les faits. Ceci est encore plus préoccupant dans le cas où la CRPC a été négociée en parallèle d’une CJIP. Ainsi, il semble fondamental que soit ouverte une voie d’appel en cas de refus d’homologation de la procédure de CRPC. Il n’y aurait rien d’illégitime à faire examiner par une cour d’appel le raisonnement qui a conduit le juge homologateur à refuser la peine proposée ni que la cour d’appel revienne sur la décision de ce dernier si elle considère que la nature des faits, la personnalité de l’intéressé, la situation de la victime et les intérêts de la société justifiaient l’homologation de la CRPC. Si le juge du siège conserve une place centrale dans les dispositifs de justice négociée, rien ne justifie qu’il ne soit pas soumis aux mêmes exigences que celles auxquelles il est exposé dans les procédures ordinaires.

Là encore, en attendant la création d’un tel recours, il aurait été souhaitable que la Cour de cassation laisse ouverte la possibilité d’introduire une seconde requête en homologation à la suite du refus de la première. Le principe de l’opportunité des poursuites du ministère public le commandait et celui de l’autorité de la chose jugée, inapplicable en l’espèce, ne l’empêchait pas. Dans les affaires UBS et Bolloré, le ministère public se serait ainsi trouvé en mesure de revenir devant le juge homologateur avec une peine qui aurait tenu compte des motifs de refus de la première requête et la justice ne s’en serait pas plus mal portée.

En tout état de cause, si l’on souhaite assurer la pérennité de la justice pénale négociée et ainsi se prémunir contre d’éventuelles sanctions extraterritoriales américaines, il est indispensable de repenser la manière dont est traitée la responsabilité pénale des personnes physiques, dirigeantes de la personne morale bénéficiant d’une CJIP. Ce n’est malheureusement pas la voie prise par la Cour de cassation dans cet arrêt. 

 

Notes

1. R. Gauvain et O. Marleix, Rapport d’information sur l’évaluation de l’impact de la loi n° 2016-1691 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « loi Sapin 2 », 7 juill. 2021, p. 124.

2. Crim. 10 nov. 2010, n° 10-82.097, Dalloz actualité, 16 déc. 2010, obs. C. Girault ; 29 mars 2011, n° 10-88.236, Dalloz actualité, 30 mai 2011, obs. S. de la Touanne.

3. J. Heron et T. Le Bars, Droit judiciaire privé, LGDJ, 2015, n° 735, p. 582 ; v. Cass., ch. mixte, 28 janv. 2005, n° 02-19.153.

4. Civ. 2e, 17 nov. 2005, n° 03.20-815.

5. Com. 26 janv. 2010, n° 08-21.330, Dalloz actualité, 9 févr. 2010, obs. A. Lienhard.

6. Com. 8 mars 2011, n° 09-71.764, Dalloz actualité, 17 mars 2011, obs. A. Lienhard ; 12 juill. 2011, n° 09-71.764, Dalloz actualité, 20 juill. 2011, obs. A. Lienhard.

7. Com. 19 juin 2012, n° 11-20.066.

8. S. Guinchard et J. Buisson, Procédure pénale, 13e éd., Lexis Nexis, n° 1678, p. 947-948.

9. AFA/PNF, Lignes directrices sur la mise en œuvre de la convention judiciaire d’intérêt public, avr. 2019, p. 8.

10. R. Gauvain et O. Marleix, rapp. préc., p. 122.

11. A. Mignon-Colombet, Quel avenir pour la convention judiciaire d’intérêt public ?, Revue internationale de la compliance et de l’éthique des affaires, avr. 2021, comm. 84.

12. R. Gauvain et O. Marleix, rapp. préc., p. 125.

13. B. Cazeneuve, B. Van Gaver et A. Mennucci, Justice pénale négociée : quels rapports entre la responsabilité des entreprises et celle des dirigeants ?, Le droit en débats, Dalloz actualité, 26 mars 2021.

14. R. Gauvain et O. Marleix, rapp. préc., 7 juill. 2021, p. 123.

15. Cons. const. 18 juin 2021, n° 2021-918 QPC, Dalloz actualité, 23 juin 2021, obs. D. Goetz.