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Le droit en débats

La justice et le président de la République

Par Daniel Soulez Larivière le 02 Février 2018

De Gaulle fâcha en déclarant que l’autorité de l’État était confiée toute entière au président, qu’il n’en existait aucune autre « ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciaire qui ne soit conférée et maintenue par lui ». Avec cette vision monarchique et l’aide de Michel Debré, il restaura l’autorité judiciaire, transforma les carrières, réforma les procédures civiles et pénales et créa l’embryon de l’École nationale de la magistrature.

Georges Pompidou ne dit rien et ne fit rien.

Valéry Giscard d’Estaing, lors de la visite d’une prison en effervescence, serrant la main d’un détenu, fit un geste symbolique fertile, mieux qu’une bonne parole. Et il transforma le Conseil constitutionnel en cet embryon de Cour constitutionnelle qui s’épanouit aujourd’hui.

François Mitterrand n’aimait pas les juges et parla peu de la justice mais nomma un garde des Sceaux emblématique, Robert Badinter, qui supprima la peine de mort, les juridictions d’exception et permit l’intégration de la France dans le concert de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Celui qui choisit Robert Badinter le laissa parler de ce qu’il n’aimait pas et devenir le ministre de la justice le plus iconique de la Ve République.

Jacques Chirac en parla peu et ne réussit rien.

Nicolas Sarkozy eut la maladresse de traiter les juges de « petits pois » mais le courage de faire la grande réforme de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), un instrument révolutionnaire pour faire progresser la hiérarchie des normes en France et améliorer les procédures civile et pénale. Il réforma également le Conseil supérieur de la magistrature en 2008, qui ouvrit la magistrature sur l’extérieur au sein d’une institution à l’autorité et à la légitimité renforcées grâce à une majorité de membres non magistrats. Il essaya de supprimer le juge d’instruction mais il s’y cassa les dents.

Et François Hollande n’a rien dit ni rien fait.

Emmanuel Macron n’a encore rien fait mais il a déjà beaucoup dit. Son discours du 15 janvier 2018 devant la Cour de cassation est pour la première fois celui d’un président qui manie avec beaucoup de subtilité et de pertinence des concepts sur lesquels on disserte davantage à l’Institut des hautes études de la justice qu’aux rentrées solennelles des cours et tribunaux.

Écoutons :

• Le parquet dépend nécessairement du garde des Sceaux, même s’il doit être indépendant. Mais le concept d’indépendance ne doit pas « tout écraser ». Le parquet ne peut pas procéder de lui-même et constituer ce « tiers de confiance » puisqu’il dispose d’un rôle spécifique dans le procès. (Contrairement à ce que répètent à l’envi les syndicats de magistrats,) les arrêts Medvedyev et Moulin ne font que rappeler la spécificité de son rôle. Élégamment dit, cela signifie, comme la CEDH l’exprime, que, le parquet étant une partie, il ne peut incarner l’autorité judiciaire.

• Le Conseil supérieur de la magistrature est très bien comme cela. Que les magistrats n’aient pas la majorité est un gage d’ouverture sur l’extérieur.

• La Cour de justice de la République doit être supprimée bien que les responsabilités ministérielles ne puissent pas être considérées comme des responsabilités pénales comme les autres.

• La Cour de cassation ne peut être un troisième degré de juridiction et, sous-entendu, il faut recaler le centre de gravité de la justice vers la première instance et donc transformer le rôle des cours d’appel.

• Enfin, l’opinion dissidente dans une décision judiciaire pourrait être salutaire puisqu’elle permettrait davantage l’adhésion des citoyens du fait que celui qui a perdu comprendrait mieux qu’il a été entendu.

Le discours du président de la République dans son entier reprend toutes les idées modernes sur l’évolution de notre justice sans être plombé ni par la démagogie ni par les idées reçues, non plus que par les satisfactions corporatistes.

Emmanuel Macron n’a encore rien fait dans ce domaine mais, si ses actes sont aussi révolutionnaires que son discours, le quinquennat devrait être riche en surprises, difficilement compréhensibles sur le moment par les purs profanes mais fortes d’effets pratiques à long terme. Il existe dans ces propos une véritable analyse théorique et pratique de ce qu’est l’autorité judiciaire aujourd’hui qu’il faut saluer. En attendant la mise en œuvre de ces concepts, leur expression est bonne. Mais ce sera difficile. Tout ce qui est nouveau heurte à la fois les avocats, les magistrats et le monde judiciaire tout entier. On l’a vu avec le sort réservé à la réforme Coulon1, qui, voici vingt-cinq ans, voulait réformer la construction de la justice civile en la recalant sur la première instance mais ne donna lieu qu’à la création d’une commission pour l’enterrer. Ses idées sont reprises aujourd’hui par le président. Quant au rapport Delmas-Marty2 sur la réforme de la procédure pénale, il reste enfoui depuis trente ans sous le conservatisme, du moins jusqu’à nouvel ordre.

Il est vrai qu’il était difficile de réformer le droit du travail, il va être très dur d’équilibrer les comptes de la sécurité sociale. Il le sera au moins autant, si ce n’est davantage, de modifier les habitudes judiciaires et d’abandonner les idées reçues, bien pensantes et désuètes.

 

 

1. J.-M. Coulon, ancien premier président de la cour d’appel de Paris, Réflexions et proposition sur la procédure civile, 1992.
2. M. Delmas-Marty, professeur de droit, La mise en état des affaires pénales, 1990.