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Le droit en débats

L’éternelle question de la réforme de la Cour de cassation

Par Daniel Soulez Larivière le 08 Novembre 2019

Le 7 novembre, Henri Nallet a remis le rapport du groupe de travail constitué par lui, sur la réforme de la Cour de cassation dont la garde des Sceaux lui avait confié la charge le 19 décembre 2018.

La Cour de cassation elle-même, sous la présidence et par la voix du premier président, Bertrand Louvel, avait préconisé un « filtrage » des pourvois afin de ne retenir essentiellement que des questions de principe présentant un intérêt pour l’évolution du droit, mais aussi pour empêcher une atteinte grave aux droits. Mais ce « filtrage » a fait l’objet d’une hostilité générale.

Le problème du nombre des pourvois a été soulevé par Bertrand Louvel et beaucoup d’autres : chaque année, 20 000 nouvelles affaires civiles arrivent à la Cour de cassation, dont 70 %, soit environ 14 000, sont soutenues et donnent lieu à des arrêts. Si l’on ajoute 9 000 affaires pénales à ces 20 000 affaires civiles, la France est dotée d’une Cour suprême qui traite environ 30 000 dossiers par an. Elle constitue ainsi un troisième degré de juridiction, complètement incompatible avec un rôle de véritable Cour suprême.

Les mêmes problèmes se posent toujours. Celui du nombre des pourvois est apparu dès la création de la Cour de cassation en 1790 puisque Lechapelier, auteur du projet, a proposé et obtenu l’institution d’une chambre des requêtes. Celle-ci avait pour but de trier les pourvois, précisément ce dont il est question aujourd’hui. Cela n’a pas eu pour effet de réduire le nombre des pourvois mais d’ajouter à la cour initiale une deuxième cour faisant par moment double emploi et générant des doubles délais. Cette chambre des requêtes a été supprimée en 1947. Mais aussitôt, des magistrats avisés ont élevé leur voix en faveur d’un système de régulation que l’on pouvait, dès les années cinquante, qualifier de tri. La loi organique du 25 juin 2001 a créé la pratique de « l’admission ». Il ne s’agit pas là d’un tri en fonction de critères préalables, effectué par un magistrat, mais d’une procédure longue avec trois magistrats et qui, après dépôt des mémoires, déclarent le pourvoi admis ou non (admis à être jugé !).

Malgré les encouragements du premier président Guy Canivet, cette loi n’a connu qu’un succès éphémère. C’est la raison pour laquelle, suivant les conclusions du rapport du président de chambre, Jean-Paul Jean, le premier président Louvet a demandé l’instauration d’un « filtrage ». Présenté en commission des lois dès mai 2016, le texte prévoyant ce « filtrage » ou ce « tri » a été férocement critiqué au nom de l’égalité des citoyens devant la loi et la justice par les parlementaires, dont Alain Tourret, député du Calvados, lui-même avocat. Si bien que le gouvernement a retiré son amendement. Ce fut donc un fiasco.

C’est dans ces conditions qu’Henri Nallet a été chargé par la garde des Sceaux de tenter de trouver une issue à ce débat récent mais séculaire. Son rapport, d’une rare élégance de pensée et de style, abandonne l’idée de « trier », qui fait l’objet d’une forte hostilité générale, au profit d’un nouveau renforcement de la procédure d’admission. S’inspirant en cela du Conseil d’État qui n’a pas les problèmes de la Cour de cassation puisqu’il utilise une procédure d’admission assez brutale mais très efficace, ce qui n’a généré aucune difficulté depuis sa mise en place. Pourrait-on espérer qu’il en aille de même dans le domaine de la justice judiciaire avec cette nouvelle proposition de l’ancien garde des Sceaux et de sa commission ?

Il fait quatre propositions.

  • Premièrement, renforcer la procédure d’admission en instaurant un traitement différencié des pourvois.
     
  • Deuxièmement, solliciter de la commission des lois une évaluation de cette procédure renforcée d’admission et de traitement différencié des pourvois et débattre de ses conséquences.
     
  • Troisièmement, réserver l’assemblée plénière aux seules affaires posant une question de principe.
     
  • Et enfin, restaurer le statut du parquet général afin d’affirmer et d’afficher son indépendance – qui existe déjà mais est mal comprise, notamment par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

Le destin de ces propositions se mesurera à l’aune de la réflexion de fond passionnante menée par l’ancien ministre de la justice sous forme de la question suivante : « Ce n’est qu’en élargissant notre regard à toute l’institution de la justice que l’on peut apporter une forme de réponse au « mystère français » […]. La difficulté constatée à instaurer un système de sélection des pourvois devant la Cour de cassation ne trouve son explication que dans la place que notre société réserve ou concède à l’institution judiciaire et au juge ».

Il situe ainsi très exactement le problème français là où il fait mal. La Cour de cassation, lorsqu’elle est créée en 1790, procède en effet, comme le rappelle Antoine Garapon, d’une méfiance à l’égard des juges et donc de la nécessité d’exercer une sorte de tutorat sur eux. La République n’étant pas fondée sur la reconnaissance du pouvoir judiciaire mais, au contraire, s’en méfiant, cette Cour de cassation s’est trouvée asphyxiée par la quantité des décisions qu’elle devait rendre, sans pouvoir en aucun cas se placer au niveau des cours suprêmes étrangères, qu’il s’agisse de pays fédéraux ou non.

Toute l’architecture du système français repose sur cette méfiance, puisque la première instance devrait être l’occasion d’une vraie rencontre avec le juge dont la figure n’est pas encore à la hauteur de ce qu’elle mériterait. Or, comme le disait Jean-Marie Coulon, ancien premier président de la cour d’appel de Paris, la procédure devant le tribunal n’est qu’un simple « galop d’essai ». Le deuxième degré via la cour d’appel, qui reprend tout à zéro ne constitue pas une sorte de pré-cassation comme dans beaucoup de démocraties. Avec la décision de la cour d’appel, la justice serait donc finalement rendue après avoir tout repris à zéro. Mais elle se trouve affectée d’un pourvoi possible devant la Cour de cassation, sans compter que la CEDH elle-même devient le quatrième degré si la jurisprudence de la Cour de cassation n’est pas conforme au corpus européen. Nous en sommes donc à quatre degrés de juridiction.

Sorte d’épine constamment irritante, le problème de la Cour de cassation exprime le malaise général que procure le système français depuis la première instance jusqu’à la fin de la procédure. Cette impossibilité de régler la question du nombre des pourvois est tout autant un symptôme de maladie que la maladie elle-même. C’est le symptôme d’une société qui n’a pas confiance dans ses juges et organise sa justice comme un millefeuille, de manière à faire respecter l’ordre public tout en multipliant les recours pour ne pas donner trop de pouvoir au juge, celui-ci étant de façon permanente sous la tutelle d’un autre.

En France, depuis la Révolution, le juge a toujours été considéré comme une figure secondaire, tout autant que les avocats, la communauté judiciaire et juridique française n’existant pas. Certains confondent la quantité des décisions et leur force. Cette confusion est un signe de la maladie du système. Certains des nombreux juges de la Cour de cassation qui manifestent leur volonté réformatrice l’ont compris. Ce n’est pas le cas des syndicats de magistrats qui confondent le pouvoir avec la quantité. Beaucoup d’avocats ne l’ont pas compris non plus, d’autant moins qu’ils vivent toujours dans la crainte réelle ou fantasmatique d’un État castrateur qui « leur retire le pain de la bouche », si bien qu’ils voient la multiplication des recours comme une garantie du maintien de leur insertion économique et sociale.

Que va-t-il se passer maintenant ? Peut-être rien. Mais, comme l’a dit Guillaume d’Orange, « il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer » Et à force de heurter le béton des conservatismes, les vagues finiront par le fendre puis laisser passer le flot de la nécessaire réforme.

Ce rapport devrait être cité en exemple pour son intelligibilité, sa profondeur, la culture dont il témoigne et sa mise en lumière de la racine des problèmes judiciaires. Il subira peut-être le sort des autres. Il aura en tout cas contribué à faire avancer la pensée qui, il est vrai, progresse très lentement en matière judiciaire. Voilà qui pourrait être rassurant pour ceux qui vieillissent car, si rien ne change sous leur regard, ils ne se sentent pas vieillir ! Mais la paresse n’est ni éternelle ni fertile et réserve des réveils brutaux sous la pression du réel.