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Le droit en débats

Pourquoi refuser la réforme judiciaire prévue ?

Par Daniel Soulez Larivière le 22 Février 2018

Dans une tribune du Monde, le 15 février dernier, les syndicats du monde judiciaire exceptionnellement rassemblés se dressent vent debout contre « la réforme judiciaire prévue », alors qu’il n’en existe pas encore de projet précis et complet. Elle donne un large écho à une journée de mobilisation des tribunaux qui n’en a, d’ailleurs, guère rencontré. L’objectif était d’attaquer préventivement le garde des Sceaux, sans savoir exactement ce qu’il va faire mais afin d’exercer une pression pour éviter tout changement. On ne voit pourtant guère pointer à l’horizon de « rapport Spinetta sur la justice » qui tenterait de dégager ce grand service public des intérêts particuliers et catégoriels pour essayer de sortir l’institution du marasme dans lequel elle dit se trouver.

Un front uni des conservatismes s’est donc formé avec pour les magistrats : FO, UNSA, le Syndicat de la magistrature, l’Union syndicale des magistrats, la Fédération CFDT ; et pour les avocats : le Syndicat des avocats de France, la Fédération nationale des unions des jeunes avocats, ainsi que la Conférence des Bâtonniers, l’organisme le plus conservateur du barreau. Cette tribune est typique du symptôme bien français auquel se heurte tout mouvement réformiste dans ce pays. Et c’est sans doute dans le secteur de la justice que se manifeste de la façon la plus puissante cette unité conservatrice, qui disparaît dès la première menace sur les intérêts catégoriels.

Toute cette effervescence pour essayer d’éviter une modification « uniquement gestionnaire » de la carte judiciaire qui créerait des « obstacles à l’accès au service judiciaire ». Au début des années 90, les syndicats de magistrats ont déjà démoli le principe d’un tribunal départemental expérimenté par Henri Nallet. Alors que, depuis 50 ans, tout le monde sait que la carte judiciaire française n’a plus lieu d’être, avec des cours d’appel dont le ressort porte l’empreinte de l’Ancien Régime. Quelque 173 tribunaux de grande instance et près de 300 tribunaux d’instance, c’est trop pour un pays qui compte 101 départements. La petite révolution que serait la création d’un tribunal judiciaire départemental se heurte à des intérêts particuliers et aux habitudes des avocats et magistrats. Et voilà aussitôt que les réformateurs se voient traiter de « fossoyeurs », tout comme ceux qui, en 1988, préconisaient de fusionner les professions d’avocat et de conseil juridique étaient les « fossoyeurs de la profession ». Un vocabulaire rituel pour tout ce qui n’est pas la répétition du passé.

Qu’il s’agisse de créer des tribunaux départementaux ou de réformer les cours d’appel, tout est menace : une justice mobile et itinérante comme aux États-Unis écartèlerait magistrats et avocats entre plusieurs juridictions ; la tentative de spécialiser les juridictions reviendrait à priver « ces structures (nouvelles) d’une indépendance, garantie essentielle de la justice ! » Et voilà brandie la bannière de l’indépendance alors que cela n’a rien à voir avec le sujet. 

Quant à l’argument selon lequel les avocats sont trop chers pour ceux qui sont à la limite de l’aide judiciaire, l’idée que le recours à un avocat n’est pas indispensable et que les procédures orales et sans avocat sont une panacée relève d’une vision populiste de la justice. Le problème de la défense des plus démunis ne se poserait pas si l’on se penchait sérieusement sur la création, en prenant modèle sur les médecins, d’un « internat des avocats », qui s’occuperait à plein temps de ceux qui n’ont pas suffisamment de ressources pour être réellement dans le marché et pouvoir se payer un défenseur. Mais cette idée mûrie à la Chancellerie voici déjà sept ans, avec des avocats dits « dédiés » payés pratiquement comme les magistrats, a évidemment été repoussée par l’ensemble du corps qui prétend satisfaire le justiciable mais refuse les moyens d’y parvenir.

Pour finir, nous voilà repartis sur la question des moyens. C’est vrai que la justice n’a pas assez d’argent. Mais aussi, qu’elle le dépense mal. Arroser une machine dépassée ne peut aboutir à la moderniser, mais seulement à l’enkyster dans ses archaïsmes.

Les signataires de cette tribune réactionnaire prétendent adapter la réforme aux besoins de la justice des citoyens en récusant une attitude « purement gestionnaire ». Comme si la justice pouvait se passer de la gestion. C’est bien toujours par le bas que l’unité se fait lorsqu’il s’agit de ne toucher à rien et de continuer à se plaindre sans trouver les remèdes pour guérir les maux et en faire disparaître les causes.