Dans la 10e chambre du Tribunal administratif de Nantes ce lundi 15 janvier, une avocate attend que l’audience commence. Elle est venue avec son client, un réfugié guinéen qui vient contester le refus de délivrance de visa que la France oppose à sa femme et à leur fille, née en 2017. Fin 2019, après la reconnaissance de son statut par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), il a demandé une réunification familiale aux autorités consulaires françaises en Guinée où la mère et l’enfant résident toujours – c’est l’une de spécificités et difficultés de ce contentieux que d’être exercé physiquement depuis l’étranger. Les autorités consulaires en Guinée ont refusé, arguant que l’intéressé serait connu des services de police en France pour des faits de violences conjugales sur une autre femme, et que les documents d’état civil produits par les demandeuses ne permettraient pas d’établir leur identité et leur lien familial avec lui. Le requérant s’est adressé à la Commission de recours contre les refus de visas d’entrée en France (CRRV), étape préalable obligatoire, et celle-ci a confirmé le refus. Aujourd’hui, l’affaire arrive devant le juge du fond. « On a eu le sens des conclusions du rapporteur public et c’est positif », signale l’avocate qui évoque « une décision d’annulation de la décision ».
L’audience commence avec la lecture de l’affaire par l’un des deux conseillers autour de la présidente Mme Le Barbier. Puis, le rapporteur public, M. Barès, se lève pour lire ses conclusions. « La Commission n’a pas repris le motif initialement opposé », fait-il remarquer, celui des violences conjugales, et de préciser que la procédure pénale avait été classée sans suite et que le requérant soutenait qu’il n’était pas en couple avec la plaignante. « La décision est fondée sur un unique motif tiré du caractère non probant des documents d’état-civil produits », poursuit-il, avant de développer un argumentaire contestant la position de l’administration. Le magistrat écarte les soupçons de fausses déclarations ou de mariage blanc, « extrêmement difficiles à prouver » en l’espèce. Il évoque d’une part un jugement supplétif établissant l’identité de l’épouse, la Guinée ne tenant pas de registre d’état-civil ou pas de manière complète comme cela arrive dans certains pays africains, et d’autre part, « le caractère authentique et intangible » de l’acte de mariage entre les époux établi par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). « Les éléments sur lesquels l’administration se fonde sont trop fragiles pour remettre en cause l’intention matrimoniale des deux requérants », résume-t-il, avant de proposer d’annuler la décision attaquée « pour une double erreur d’appréciation », d’enjoindre au ministre de l’Intérieur de délivrer les visas longs séjours sollicités pour l’épouse et l’enfant, et de condamner l’État à verser 1 200 € à l’avocate.
Celle-ci se lève à son tour : « je vais être très brève ». Elle soulève l’incohérence de l’administration dans ses arguments et abonde dans le sens du rapporteur public. L’affaire est mise en délibéré. « Vous aurez notification dans environ trois semaines », clôt la présidente. Face à l’absence d’avocats pour défendre les autres affaires inscrites au rôle (25 au total), la séance est levée.
Quelques jours plus tôt, s’est tenue la séance d’instruction, une journée au cours de laquelle la formation de jugement passe en revue tous les dossiers présentés au rôle. Le rapporteur public, chargé de donner son avis indépendant sur l’affaire, produit des conclusions lorsque les dossiers présentent des enjeux nouveaux ou délicats, le reste du temps il envoie ses notes avec son raisonnement juridique. « J’essaie de faciliter le travail de la chambre, souligne M. Barès. Sur cinquante décisions, il y en a une ou deux pour lesquelles le sens de la décision envisagé en séance d’instruction change lors du délibéré. En général, on essaie de trouver un consensus mais cela peut arriver que nous ayons du mal à trancher ». Un débat se tient entre les membres de la séance d’instruction puis à l’échelle de la chambre avant que ne se tienne l’audience puis le délibéré, cette fois sans la présence du rapporteur public.