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Reportage 

La courte-échelle, le pont entre étudiants et magistrats

On la dit homogène et difficilement accessible. La magistrature s’ouvrira-t-elle socialement ? C’est en tout cas le pari fait par le magistrat Youssef Badr, ancien porte-parole du ministère de la justice. Voilà un an, il a lancé l’association « courte-échelle », qui promeut le parrainage d’étudiants en droit par des professionnels des filières visées. Un projet qui essaime au-delà des frontières imaginées.

par Anaïs Coignac, Journalistele 16 janvier 2023

Un parcours, une ambition

« Je vous écris pour vous annoncer la nouvelle : je suis prise a l’ENM (École nationale de la magistrature, ndlr) ! » Voici le genre de messages que reçoit Youssef Badr, magistrat à Bobigny, dans sa boîte mail. En l’occurrence, l’étudiante avait connu un premier échec au concours puis réussi à se remobiliser grâce aux encouragements et à l’« exemple » de l’ancien porte-parole du ministère de la justice (2017 à 2019) qui « avait cru en [elle] ». « Quand vous grandissez dans un milieu modeste, vous manquez d’horizon. Il faut que quelqu’un vienne vous le dire pour que vous sachiez que vous êtes capable de passer ce type de concours ! », confie l’intéressé qui n’a jamais caché ses origines modestes aux médias, au risque d’incarner seul la diversité d’un corps qui tarde à s’ouvrir. Etudiant en DU carrière juridique dans les années 2000 à la faculté de Villetaneuse, en Seine-Saint-Denis, enchaînant les petits boulots, il est « à un cheveu » de décrocher, notamment avant la licence 3. Un de ses professeurs lui donnera l’élan, le courage d’y croire, suivi plus tard dans ses études par un magistrat. Sa famille lui apporte le soutien indéfectible et quelques coups de semonces salutaires. « Mes deux grands frères m’ont souvent remonté quand je me décourageais, se souvient-il. Je m’étais dit que si j’avais ma licence, c’était un signe, sinon je laisserai tomber. » Il l’aura, et obtiendra le concours de l’ENM à la deuxième tentative – l’oral de culture générale sonnera le glas de la première. Son ambition à travers « la Courte Échelle » : aider des étudiants de tous horizons à réussir les concours de la magistrature grâce au parrainage d’un tuteur ou d’une tutrice magistrat. Et sortir de la fatalité de l’échec – chaque année, entre 5 % (1996) et 8 % (2021) des candidats réussissent le concours d’entrée – en misant autant sur la pédagogie, la méthodologie que sur le soutien moral. « À Villetaneuse, le dernier étudiant reçu à l’ENM remonte à 2007, c’est moi ! Et à Saint-Denis, les étudiants n’ont même pas de prépa donc ils ne peuvent pas passer le concours ! », s’insurge-t-il, déplorant « l’état de paupérisation et la solitude de certains étudiants ». Le magistrat n’a pas attendu de monter son association pour échanger avec ces derniers, les encourager, les aiguiller. Pro-actif sur les réseaux sociaux, il compte une communauté de plus de 35 000 abonnés sur Twitter. Coordinateur de formation au pôle communication judiciaire pendant trois ans, il a également été en contact étroit avec les auditeurs de justice. De retour au tribunal judiciaire de Bobigny en septembre 2022 comme premier vice-président adjoint, huit ans après son départ, l’ex-procureur aspire à « changer le regard » sur son métier, même s’il déplore « l’échec collectif » des journées à prononcer des peines de prison ferme. « Juger c’est aimer les gens ».

« Structurer » l’accompagnement des étudiants

En créant son association, le natif de Levallois a souhaité faire se rencontrer ses deux réseaux, les étudiants et les professionnels de la justice. « L’idée germait depuis très longtemps. Accompagner des étudiants, je le faisais avant déjà, tout seul », précise-t-il. Mesurant sa popularité, un journaliste lui suggère de « structurer » son initiative. Youssef Badr se tourne alors vers son ami Ronan Le Goff,...

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