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Reportage 

Les greffiers des tribunaux de commerce, une exception historique en question

Le dernier rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) sur les professions et activités réglementées a mis en lumière l’écart surprenant entre la très forte rémunération des greffiers des tribunaux de commerce, officiers publics et ministériels titulaires d’une charge (professionnels libéraux) avec celle de leurs confrères fonctionnaires des autres juridictions. L’occasion de faire le point sur cette profession qui bénéficie d’un statut particulier, à l’approche de la présentation du projet de loi sur la croissance repris par le nouveau ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, Emmanuel Macron.

par Anaïs Coignacle 24 septembre 2014

Les faits

Parmi les 37 professions visées dans le rapport (sélectionnées pour leur poids dans l’économie, leur rentabilité et leur système qui repose sur au moins deux réglementations spécifiques), on découvrait que la mieux rémunérée était celle des greffiers des tribunaux de commerce, avant même la profession de mandataire et d’administrateur judiciaire, et bien au-delà de celle de notaire ou de médecin. Soit un revenu net mensuel médian de 29177 € qui proviendrait, en particulier, du fait que ces derniers gèrent les registres du commerce. Un montant infiniment supérieur à la grille de salaire d’un greffier salarié de la fonction publique (même en fin de carrière), et donc de tous leurs confrères des autres juridictions françaises.

Un rapport à « charge »

Les rapporteurs précisent que le montant de ce revenu médian représente 27,6 fois le SMIC net mensuel et que les 25 % des greffiers des tribunaux de commerce les mieux rémunérés déclaraient une rémunération nette mensuelle supérieure à 38777 €. Pour renforcer encore le poids des chiffres, l’IGF fait état d’un sondage d’Opinion Way réalisé en décembre 2012 selon lequel la rémunération mensuelle nette d’un greffier de tribunal de commerce estimée par les sondés s’élève à seulement 2076 €. A la question, « quelle rémunération mensuelle estimeriez-vous juste pour cette profession ? », les sondés ont par ailleurs répondu 1903 €. On est donc très très loin du compte. L’argument de l’IGF, pour justifier l’intégration de ce sondage dans son rapport est le suivant : « en tout état de cause, s’agissant de dépenses largement contraintes et encadrées par les pouvoirs publics, la mission a cherché à étudier l’acceptabilité par les usagers des rémunérations observées », une manière de rallier le public à sa cause de libéralisation du marché, nous verrons plus loin ses conclusions en la matière.

Au Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC), le rapport est largement critiqué même si selon Philippe Bobet, son président, « les conclusions négatives pour l’ensemble des professions du droit en tout cas, n’ont surpris personne ». En effet, l’organisation dénonce le manque de concertation avec les rapporteurs : « il y a eu une seule réunion, pas un seul déplacement dans un greffe, ils ne sont pas rentrés du tout dans la technique, c’est de l’analyse purement financière et économique ». Il ajoute que cette réunion s’est « très mal passée car c’était déjà immédiatement à charge ». Une critique qu’aurait également formulée toutes les autres professions du droit, des notaires aux commissaires-priseurs, notamment à travers des courriers envoyés « sans concertation » à la ministre de la justice, Christiane Taubira.

Il est vrai que dans ce document, le constat est sévère : « le niveau de qualification exigé n’explique pas les écarts de revenu observés entre professions et au sein de certaines professions », titrent les rapporteurs qui précisent dans le graphique correspondant en remarque « les revenus des professions de greffiers de tribunal de commerce, d’administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire dépassaient l’échelle du graphique ». Par ailleurs : « le niveau de certaines rémunérations ne s’explique pas davantage par l’ampleur des investissements à opérer » (p11). Ou encore « le niveau de rémunération des professionnels concernés ne correspond pas, toujours non plus, à une prise de risque économique clairement identifiable ». Enfin, les rapporteurs considèrent ces rentes (p13) de « quasi-prélèvement[s] obligatoire[s] sur les ménages et les entreprises français »…

Des chiffres contestés

Et qu’en est-il des chiffres ? Ils étaient déjà rapportés sur Europe 1 en 2013 par Louis Gallois : « vous savez combien gagne un greffier de tribunal de commerce dans un gros greffe ? 30 000 € par mois ». À la différence des greffiers des autres juridictions, ceux des tribunaux de commerce sont des professionnels au même statut que les notaires, à savoir d’officier public et ministériel, exerçant en libéral. Si Philippe Bobet ne conteste pas que lui et ses confrères bénéficient d’« une situation professionnelle confortable », il souligne ne pas avoir « d’idée précise » sur leur rémunération moyenne. « Ce n’est pas notre mission au conseil national de s’en occuper », assure-t-il. Par ailleurs, le CNGTC met en cause les méthodes d’évaluation de l’IGF, non communiquées selon lui dans le rapport, et qui ne prendraient sans doute pas en compte la diversité des structures juridiques des greffiers (SCP, SEL, exercice individuel -plus rare-), le paiement de l’office de greffier ni certaines cotisations personnelles et sociales. « Il y a certainement des erreurs qui...

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