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Dossier 

Internet pour les avocats : un défi déontologique

Le formidable essor que connaît internet constitue, à bien des égards, un défi aux règles de droit, condamnées à s’adapter en permanence pour répondre au besoin d’interconnexion dans nos sociétés.

Les règles déontologiques de la profession d’avocat, qui régissent l’utilisation d’internet dans un cadre professionnel strictement réglementé, n’échappent pas à la règle et reviennent fréquemment au devant de la scène sur des questions liées à l’intervention de l’avocat sur le web.

En quelques années, internet s’est en effet placé au centre des préoccupations des avocats, qui voient ce réseau informatique mondial, à la fois comme une menace de dérive de l’exercice de leur profession et un outil de développement de leur activité.

Les avocats n’hésitent pas à brandir leurs règles déontologiques pour faire cesser les prestations frauduleuses de services juridiques en ligne. La dernière procédure judiciaire en date, initiée par le Conseil national des barreaux et l’Ordre des avocats d’Aix-en-Provence, a récemment abouti à l’interdiction d’un site internet qui offrait des prestations juridiques de divorce en ligne à moindre coût. Dans une décision du 24 décembre 2013, le Président du tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence a ordonné à la société exploitant le site internet, sur le fondement règles déontologiques gouvernant la profession d’avocat, à retirer toute offre de services et cesser toute activité de consultation juridique et de rédaction d’actes relative au traitement d’une procédure de divorce (AJ fam. 2014. 75, obs. S. Thouret ).

Mais la profession reste profondément attachée à la communication sur internet. Preuve, s’il en faut, de cet attachement, la mobilisation qui a suivi, en début d’année, l’annonce par le Conseil national des barreaux de la fermeture de la plate-forme hébergeant les blogs de plusieurs avocats. Une quinzaine d’avocats blogueurs étaient alors allés jusqu’à assigner en référé leur instance représentative afin d’obtenir le maintien de l’hébergement de la blogosphère des avocats sur la plate-forme www.avocats.fr (Dalloz actualité, 18 mars 2014, obs. A. Portmann isset(node/165471) ? node/165471 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>165471).

Cette communication en ligne de l’avocat pourrait bien connaître un nouvel essor si l’on tient compte du profond bouleversement de la déontologie de l’avocat résultant de l’entrée en vigueur de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation. Cette réforme du droit économique apporte une modification majeure des règles de la profession en posant le principe général d’autorisation de la sollicitation personnalisée par les avocats.

Internet, dont l’usage à des fins de publicité est déjà largement généralisé au sein de la profession, va sans aucun doute être le principal outil de mis en œuvre du démarchage.

Dans l’attente de la publication d’un décret qui devrait malgré tout encadrer ce principe général d’autorisation de la sollicitation personnalisée, un rappel des règles déontologiques de l’avocat dans l’utilisation d’internet pourrait s’avérer utile.

Tel fut l’objet de l’atelier, organisé à l’occasion de la 2e édition de la Convention Dalloz Avocats et animé par Maître Jean-Christophe Guerrini, avocat au barreau de Paris, associé au sein du cabinet Casalonga Avocats.

Son intervention a été l’occasion d’aborder les règles déontologiques de la profession d’avocat dans l’utilisation, par ces derniers, du web à la fois comme un outil de publicité promotionnelle des avocats (I) et un outil de travail (II).

par Julien Mourrele 16 avril 2014

Déontologie et communication de l’avocat sur internet

A - Cadre juridique de la publicité personnelle de l’avocat

1. La communication passive de l’avocat

En ce qu’il n’est pas un commerçant mais un auxiliaire de justice assermenté, l’avocat est autorisé à recourir à la publicité, c’est-à-dire à « la diffusion d’informations sur la nature des prestations de services proposées », mais cette autorisation de principe est soumise à des conditions strictes.

L’article 15 du décret n° 2005-790 du 21 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat pose, en effet, le principe selon lequel « la publicité est permise à l’avocat si elle procure une information au public et si sa mise en œuvre respecte les principes essentiels de la profession ».

D’aucuns s’en souviendront, ce décret, dont l’article 15 est repris à l’identique à l’article 10 du règlement intérieur national (RIN) était venu assouplir les règles antérieures en posant le principe de l’autorisation de publicité personnelle de l’avocat, conditionnée au respect des principes essentiels de la profession et à l’interdiction du démarchage.

Mais la publicité autorisée à l’avocat est, en réalité, assez éloignée du sens qu’on lui connait traditionnellement. Ainsi, celle-ci ne peut emprunter les voies classiques de diffusion à savoir « les tracts, affiches, films cinématographiques, émissions radiophoniques ou télévisées » (art. 10.2 RIN).

Sous cette réserve, l’avocat est autorisé à recourir à « tous moyens légaux permettant d’assurer sa publicité personnelle ». Celle-ci pourra ainsi emprunter des formes moins traditionnelles aux nombres desquels l’envoi de lettres d’informations générales sur le cabinet, le droit et la jurisprudence, la diffusion de plaquettes de présentation du cabinet, l’apposition d’une plaque signalant l’implantation du cabinet à l’entrée de l’immeuble, ou encore la publication d’encarts publicitaires dans les annuaires ou dans la presse (art. 10.3 RIN).

L’avocat qui envisagerait de communiquer sur son activité en diffusant des informations sur les prestations de services qu’il propose n’est donc pas totalement démuni. Il n’en demeure pas moins que la plupart des formes de publicité autorisées ont, en réalité, une portée relativement limitée, et ce d’autant plus que leur contenu doit, en principe, demeurer neutre et exclusif de tout démarchage.

2. Le démarchage ou la sollicitation personnalisée de l’avocat

le démarchage consiste, selon règles déontologiques gouvernant la profession d’avocat, à « offrir ses services, en vue de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière juridique ou de provoquer à la souscription d’un contrat aux mêmes fins, notamment en se rendant personnellement ou en envoyant un mandataire soit au domicile ou à la résidence d’une personne, soit sur les lieux de travail, de repos, de traitement ou dans un lieu public. » (Décr. n° 72-785, 25 août 1972, art. 1er).

À l’inverse d’une publicité indirecte ou passive, le démarchage consiste à adresser « à un client potentiel », une « offre de service personnalisée » (Décr. n° 2005-790, 21 juill. 2005, art. 15), c’est-à-dire à prospecter activement de nouveaux clients qui n’ont pas manifesté un quelconque besoin de conseil juridique.

Jusqu’à récemment, le démarchage était unanimement prohibé par les règles déontologiques de la profession d’avocat, en tête desquels l’article 10.2 du RIN qui prévoit l’interdiction de « tout acte de démarchage (…) en quelque domaine que ce soit », et ce sous peine d’une d’amende de 4 500 € (9 000 € en cas de récidive), ainsi que d’une peine emprisonnement de six mois (L. n° 71-1130, 31 déc. 1971, art. 66-4).

Mais l’entrée en vigueur, le 18 mars 2014, de la Loi Hamon relative à la consommation a mis un terme à cette interdiction générale, opérant ainsi une réforme majeure de la déontologie de l’avocat (L. n° 2014-344, 17 mars 2014, art. 13).

 

Cette réforme, qui constitue « un pas important vers la banalisation de la prestation juridique » (D. 2013. Pan. 136, obs. T. Wickers ) et perçue comme la confirmation d’un mouvement qui tend à faire de l’avocat un simple prestataire de services au sens économique du terme. En témoigne, la présence de l’article 13 de la loi dans un Chapitre de dispositions visant à « améliorer l’information et renforcer les droits contractuels des consommateurs ».

 

À compter de l’entrée en vigueur de la loi, l’article 3 bis de la loi du 31 décembre 1971 est réécrit et prévoit désormais que « dans les conditions fixées par décret en Conseil d’État, l’avocat est autorisé à recourir à la publicité ainsi qu’à la sollicitation personnalisée. Toute prestation réalisée à la suite d’une sollicitation personnalisée fait l’objet d’une convention d’honoraires. »

Désormais, la proposition personnalisée de prestation de services faite par un avocat qui n’y aurait pas été préalablement invité et ce par tous moyens techniques de communication à distance, y compris par internet, est autorisée.

La fin de l’interdiction absolue et générale du démarchage était en réalité pressentie depuis que la Directive européenne n° 2006/123/CE relative aux services dans le marché intérieur (dites Directive « Services ») avait prévue « de mettre fin aux interdictions totales des communications commerciales pour les professions réglementées (…) en levant les interdictions qui, de manière générale et pour une profession donnée, interdisent une ou plusieurs formes de communication commerciale (…) ».

Saisie d’une demande de décision préjudicielle portant sur l’interprétation de la directive, la grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne avait, dans un arrêt 5 avril 2011, jugé que ce texte devait être interprété comme s’opposant à une réglementation nationale « qui interdit totalement aux membres d’une profession réglementée, telle que la profession d’expert-comptable, d’effectuer des actes de démarchage » (CJUE, 5 avr. 2011, aff. C-119/09, Sté fiduciaire nationale d’expertise comptable, Dalloz actualité, 7 avr. 2011, obs. X. Delpech ; D. 2013. 136, obs. T. Wickers ; RFDA 2011. 1225, chron. L. Clément-Wilz, F. Martucci et C. Mayeur-Carpentier ;...

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