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Reportage 

Tribunaux d’instance : chronique de la justice quotidienne

Juridiction d’exception proche du citoyen, le tribunal d’instance (TI) traite de matières aussi vastes que complexes, des baux d’habitation aux tutelles en passant par le contentieux électoral ou le droit de la consommation. Des enjeux de moindre importance comparé à ceux des dossiers traités par les tribunaux de grande instance (TGI) mais qui affectent directement le justiciable dans son quotidien et révèlent toute l’étendue de la situation socio-économique d’un ressort. Récit de quelques audiences de référés et de fond au tribunal d’instance de Montreuil et dans celui du 17e arrondissement de Paris.

Il est 9 heures et la salle d’audience du tribunal d’instance de la rue des Batignolles, dans le 17e arrondissement de Paris, est déjà pleine. Au mur, quelques tableaux d’art abstrait tentent de pallier le cadre impersonnel des lieux. Tous les sièges ou presque sont pris, si bien que plusieurs personnes se tiennent debout au fond de la salle, leurs sacs au pied et leur manteau à la main, près des portes en verre qui grincent à chaque passage. Ce mardi matin, comme chaque semaine et malgré les vacances de février, le juge s’apprête à traiter des dossiers de fond : des différends entre particuliers et sociétés, des demandes d’expulsion et des arriérés d’impayés, surtout. Empressement, exaspération, éclats de voix, suppliques, lapsus, bégaiements, larmes, fous rires… Les émotions se mêlent dans cette enceinte officielle où les enjeux dépassent souvent les justiciables eux-mêmes, menacent leur intérêt, leur équilibre ou leur survie.

Le greffier se tient à la droite du juge. À voix haute, il énumère les affaires qui s’apprêtent à être plaidées dans l’heure. C’est l’appel des causes. Les demandeurs et défenseurs se lèvent, s’annoncent. On introduit une stagiaire qui va plaider pour la première fois au nom du cabinet qui l’emploie ce qui fait sourire l’assistance et détend un peu l’atmosphère. Des justiciables qui viennent là pour la première fois s’avancent benoîtement vers le bureau du juge qui les somme de regagner leur place pour le moment. Des avocats déjà sollicitent un report d’audience en l’absence de leur confrère ou dans l’attente d’un document tandis que le client apprend, parfois sans ménagement, qu’il vient de perdre sa demi-journée de RTT. On rappelle les parties du premier dossier.

par Anaïs Coignacle 4 mars 2014

« Mais prenez l’affaire ! »

Une jeune femme se lève et s’arrête à hauteur de deux petits pupitres placés négligemment en travers. Elle est seule, sans avocat ni contradicteur :

« Je m’approche ?
- Oui, répond le juge en haussant les épaules, depuis son immense bureau placé en hauteur.
- Désolée, je n’ai pas l’habitude… Voilà toutes les pièces du dossier.
- Attendez, attendez. Vous êtes sans avocat, essayez d’y pallier pour m’expliquer un peu votre affaire sinon je ne vais pas m’en sortir.
- Oui, pardon. Euh, j’étais locataire d’un appartement que j’ai quitté. Il y a eu la visite de sortie avec le propriétaire qui m’a reproché des moisissures et des dégâts qui étaient là quand je suis arrivée ou dont je n’étais pas responsable directement. Du coup j’ai refusé de signer l’état des lieux de sortie. Après ça, je suis restée sans retour de sa part. Voyant qu’il ne se passait rien, je les ai mis en demeure de rendre ma caution environ deux mois plus tard.
- Votre dépôt de garantie, vous voulez dire ?
- Oui, c’est ça.
- Il est de combien ?
- De 855 €.
- Qu’est-ce que vous demandez aujourd’hui ? Le retour de votre dépôt de garantie ?
- …
- C’est le retour de votre dépôt de garantie que vous demandez ? C’est ça ?
- Euh, oui… Et éventuellement quelques dommages et intérêts, tente la plaignante.
- Bien. La décision sera rendue le 13 mai »

Les dossiers se poursuivent. Une avocate se présente avec un dossier rempli de documents qu’elle décline au juge en les lui remettant. « Vous êtes extra », sourit le juge. « Ah, mais je ne fais que mon métier d’avocat », répond cette dernière. La présence de l’avocat n’est pas obligatoire au tribunal d’instance. Aussi, certains justiciables préfèrent défendre eux-mêmes leur dossier afin de ne pas engager des frais supplémentaires, surtout lorsqu’ils sont débiteurs d’une lourde dette. Cependant, le président semble s’agacer lorsqu’un justiciable peine à s’exprimer clairement sur son dossier, méconnaît la procédure ou les termes juridiques appropriés : « Vous devez dire Maître, lorsque vous vous adresser à l’avocat. C’est la moindre des corrections », « Parlez plus fort si vous voulez que je vous entende », « Mettez-vous ailleurs maintenant, j’ai d’autres dossiers à traiter », « Ne me racontez pas votre vie », « Ah, mais vous n’avez qu’à prendre un avocat, ce n’est pas mon rôle de...

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