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Affaire Playmédia c/ France Télévisions : fin de partie

Après la Cour de cassation, le 4 juillet dernier, le Conseil d’État est venu, par arrêt du 24 juillet 2019 clore le long contentieux qui opposait depuis 2014, France Télévisions à Playmédia.
 

par Amélie Blocmanle 11 septembre 2019

Ce faisant, le juge administratif, éclairé par la Cour de justice de l’Union européenne, a précisé le champ d’application de l’obligation de « must carry » des distributeurs de services audiovisuels. La Cour de cassation s’est quant à elle prononcée sur le régime des liens hypertextes profonds et de la « transclusion » au regard du droit voisin de l’entreprise de communication audiovisuelle.

Playmédia propose le visionnage de programmes de télévision en flux continu et en direct sur son site playtv.fr, et se rémunère principalement par la diffusion de messages publicitaires. L’article 34-2 de la loi du 30 septembre 1986 instaure une obligation de reprise, ou must carry, imposant aux distributeurs de services audiovisuels de « mettre gratuitement à disposition de leurs abonnés » les chaînes de l’audiovisuel public diffusées par voie hertzienne. Se prévalant de la qualité de distributeur de services, Playmédia estimait tirer de ces dispositions le droit de diffuser les programmes édités par France Télévisions.

La solution au regard du droit de l’audiovisuel

Le groupe audiovisuel public, qui diffusait lui-même ces programmes en flux continu et en direct sur le site Pluzz.fr, ne l’entendait pas ainsi. Pourtant, il a été mis en demeure par le CSA, le 27 mai 2015, de se conformer à l’obligation de reprise et de ne pas s’opposer à la diffusion de ses programmes par Playmédia.

France Télévisions a alors demandé devant le Conseil d’État l’annulation de la décision du CSA. Dans le même temps, la société a assigné Playmédia en concurrence déloyale et contrefaçon devant les juridictions judiciaires.

Confronté à une difficulté d’interprétation de la notion de « distributeur de services », qui n’a pas d’équivalent en droit communautaire, le Conseil d’État a transmis à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) plusieurs questions préjudicielles. En effet, l’article 31.1 de la directive 2002/22 dite « service universel » subordonne la possibilité pour les États membres d’imposer le must carry à l’existence d’un nombre significatif d’utilisateurs finals de réseaux de communications électroniques qui les utilisent comme moyen principal pour recevoir des émissions de télévision. Le droit français, pour sa part, prévoit cette obligation pour les « distributeurs de services », qu’ils soient ou non exploitants des réseaux de communications électroniques et sans, par ailleurs, reprendre les conditions prévues par la directive 2002/22, notamment celle du nombre significatif d’utilisateurs finals. La CJUE s’étant prononcée le 13 décembre 2018 (aff. C-298/17), le Conseil d’État a donc statué au fond.

Dans son arrêt du 24 juillet 2019, le Conseil d’État rappelle qu’il résulte de l’interprétation de la CJUE que l’activité de la société Playmédia ne la fait pas rentrer dans le champ de l’obligation de diffusion prévue par l’article 31 de la directive. Toutefois, la CJUE a également jugé que les dispositions de la directive ne s’opposent pas à ce qu’un État membre impose, dans une situation telle que celle en cause dans cette affaire, une obligation de diffuser à des entreprises qui, sans fournir des réseaux de communications électroniques, proposent le visionnage de programmes de télévision en flux continu et en direct sur internet.

Si Playmédia, par son activité, est susceptible de présenter le caractère d’un distributeur de services au sens de l’article 2-1 de la loi du 30 septembre 1986, l’article 34-2, qui instaure le must carry, subordonne toutefois l’obligation de diffusion à la condition que la distribution de services soit destinée à des « abonnés ». Se référant aux travaux préparatoires de la loi, la Haute juridiction administrative considère que la notion « d’abonnés » s’entend des utilisateurs liés au distributeur de services par un contrat commercial prévoyant le paiement d’un prix.

En l’espèce, pour juger que la condition prévue à l’article 34-2 de la loi du 30 septembre 1986, tenant à la distribution du service à des abonnés, était remplie, le CSA a constaté que l’offre de Playmédia s’adressait pour partie à des personnes souscrivant, pour y accéder, « un engagement de nature contractuelle matérialisé par l’acceptation de conditions générales d’utilisation, et par le renseignement de plusieurs informations personnelles telles que leur adresse de courrier électronique, leur date de naissance et leur sexe ». Dès lors que l’accès au service n’était pas subordonné au paiement d’un prix, le Conseil d’État juge que le CSA a fait une application erronée de ces dispositions. Il annule la décision du CSA ayant imposé à France Télévisions de ne pas s’opposer à la diffusion de ses programmes par la société Playmédia.

La solution au regard du droit de la propriété intellectuelle

Au plan judiciaire, la Cour de cassation, par arrêt du 4 juillet 2019 (Civ. 1re, 4 juill. 2019, n° 16-13.092, D. 2019. 1447 ), a également mis fin au volet « propriété intellectuelle » du litige. Playmédia avait en effet été condamné en appel (Paris, 2 févr. 2016, n° 14/20444, Dalloz IP/IT 2016. 196, obs. S. Dormont  ; V. aussi TGI Paris, 9 oct. 2014, RTD com. 2014. 820, obs. F. Pollaud-Dulian ) à verser 200 000 € à France Télévisions pour contrefaçon de droits voisins, et 150 000 € au titre de la concurrence déloyale, pour avoir permis d’accéder sans autorisation, sur son site « playtv.fr », aux programmes de France Télévisés depuis le propre site Pluzz de celle-ci, grâce à des liens profonds et à la technique de la « transclusion ».

La technique incriminée consiste à diviser une page d’un site internet en plusieurs cadres et à afficher dans l’un d’eux, au moyen d’un lien internet incorporé, dit « in line linking », un élément provenant d’un autre site en dissimulant l’environnement auquel il appartient. Ainsi, les liens que la société Playmédia a créés ne renvoient pas vers le site Pluzz sur lequel les émissions peuvent être visionnées, mais permettent au public se trouvant sur le site playtv.fr, d’accéder directement à des œuvres déterminées et de les visionner sur ce site après affichage d’une publicité insérée par la société Playmédia.

France Télévisions agissait, pour les faits postérieurs au 20 novembre 2014, en contrefaçon de ses droits voisins d’entreprise de communication audiovisuelle, lesquels relèvent du deuxième paragraphe de l’article 3 de la Directive 2001/29/CE du 22 mai 2001, et non pas en contrefaçon de droits d’auteur. Ainsi, l’arrêt Svensson (CJUE 13 févr. 2014, aff. C-466/12, D. 2014. 480 ; ibid. 2078, obs. P. Sirinelli ; ibid. 2317, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; JAC 2014, n° 12, p. 6, obs. E. Scaramozzino ; RTD com. 2014. 600, obs. F. Pollaud-Dulian ; RTD eur. 2014. 965, obs. E. Treppoz  ; Légipresse 2014. 275, obs. V.  Varet) et l’ordonnance BestWater International (CJUE 21 oct. 2014, aff. C-348/13, D. 2014. 2293 ; ibid. 2015. 2214, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; RTD com. 2014. 808, obs. F. Pollaud-Dulian ) de la CJUE n’étaient pas applicables aux faits de l’espèce.

Comme l’a jugé la cour d’appel, l’article 3, § 2, de la directive 2001/29/CE ne s’oppose pas à une réglementation nationale étendant le droit exclusif des organismes de radiodiffusion à des actes de communication au public que pourraient constituer des transmissions de rencontres sportives réalisées en direct sur internet, par l’insertion sur un site internet de liens cliquables grâce auxquels les internautes accèdent à la transmission en direct, sur un autre site (V. en ce sens, CJUE 26 mars 2015, aff. C-279/13, C More Entertainment AB, pt 31, D. 2015. 805 ).

L’article L. 216-1 du code de la propriété intellectuelle soumet à l’autorisation de l’entreprise de communication audiovisuelle la reproduction et la télédiffusion de ses programmes. La Cour de cassation approuve donc la cour d’appel d’avoir retenu que la société France Télévisions bénéficie, en sa qualité d’entreprise de communication audiovisuelle, du droit exclusif d’autoriser la mise à la disposition du public en ligne de ses programmes et des œuvres diffusées sur son site Pluzz.

Elle juge en outre que la cour d’appel a également caractérisé les actes de concurrence déloyale, distincts de ceux relatifs à la diffusion en direct des programmes sanctionnés au titre de la contrefaçon.