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Audiences 2.0 et visioconférence : l’extension d’une option se poursuit

La chambre de l’instruction qui ordonne la comparution personnelle d’une personne mise en accusation peut recourir à un dispositif de visio-conférence, lequel n’est qu’une modalité de cette comparution

par Warren Azoulayle 22 mars 2018

Qu’il s’agisse de la standardisation des procédures, de l’accélération de la réponse pénale, de la mise en place de tableaux de bord d’activité ou encore des nouvelles exigences gestionnaires de l’institution judiciaire, le changement de rationalité observable dans le fonctionnement de la justice pénale a déjà fait l’objet de vives critiques (V., L. Dumoulin et C. Licoppe, La visioconférence comme mode de comparution des personnes détenues, une innovation « managériale » dans l’arène judiciaire, Dr. sociétés, n° 90, 2015, p.  288). Les technologies de l’information et de la communication offrent alors une pléthore d’outils dont use l’autorité judiciaire afin de répondre, entre autres, à l’impératif d’une bonne administration de la justice, et l’utilisation de la visioconférence comme mode de comparution des personnes détenues tend aujourd’hui à s’institutionnaliser (V., L. Dumoulin et C. Licoppe, Les audiences à distance. Genèse et institutionnalisation d’une innovation dans la justice, LGDJ, coll. « Droit et société », 2017).

En l’espèce, un individu était mis en examen du chef de viol aggravé et le juge d’instruction ordonnait sa mise en accusation devant une cour d’assises. Il interjetait appel de cette décision et demandait à comparaître personnellement devant la chambre de l’instruction. Son avocat faisant savoir la veille de l’audience qu’il était déchargé de la défense de ses intérêts, les juges du second degré renvoyaient l’affaire. Lors de la seconde audience, sa comparution était mise en place au moyen d’une visioconférence, l’individu refusant alors de quitter sa cellule pour se rendre dans la salle aménagée à cet effet. Un arrêt confirmatif était rendu, et il formait un pourvoi devant la Cour de cassation au motif, notamment, que les magistrats d’appel auraient non seulement dû l’entendre, mais également qu’aucun texte ne prévoit qu’une personne mise en accusation puisse comparaître devant une chambre de l’instruction par télécommunication.

Les juges de la Cour de cassation battaient l’argumentation en brèche, ceux-ci considérant que les techniques de télécommunication ne causent aucun grief à l’individu comparant, et que la visioconférence constitue une modalité de comparution personnelle d’une personne mise en accusation dont peut user la chambre de l’instruction.

En effet, cette juridiction dispose de la possibilité d’ordonner la comparution personnelle des parties (C. pr. pén., art. 199, al. 4) et la loi relative à la sécurité quotidienne de 2001 (Loi n° 2001-1062 du 15 nov. 2001) instaurait la faculté d’utiliser des moyens de télécommunication au cours de la procédure pénale pour tenir des audiences (C. pr. pén., art. 706-71). Pour autant, si le texte a connu onze modifications depuis son entrée en vigueur, celui-ci étant venu étendre cet usage à une multitude de situations, le contentieux qui l’entoure permet de constater que le législateur n’a, selon la Cour de cassation, pas entendu lister de façon exhaustive les occurrences dans lesquels elle pouvait être mise en place. La chambre criminelle s’applique alors à en combler les manques au fil du temps.

Ainsi, la juridiction suprême a pu considérer par le passé qu’en matière de détention provisoire, la visioconférence n’est qu’une modalité de comparution personnelle (Crim. 1er oct. 2013, no 13-85.013, inédit), étant précisé que la décision ordonnant cette comparution à distance devant la chambre de l’instruction n’est aucunement soumise à une obligation de motivation (Crim. 7 déc. 2010, no 10-86.884, RSC 2011. 419, obs. J. Danet ; 2 mars 2011, nos 10-88.524 et 10-88.525, RSC 2011. 419, obs. J. Danet ; V., not., Rép. pén., vo Détention provisoire, par C. Guéry, no 291). Par ailleurs, le mis en examen peut refuser de comparaître selon ce mode lorsqu’il doit être statué sur le placement ou la prolongation d’une mesure de détention provisoire, sauf si son transport paraît devoir être évité en raison des risques graves de trouble à l’ordre public ou d’évasion (Crim. 11 oct. 2011, no 11-85.602, Dalloz actualité, 14 nov. 2011, obs. M. Léna ; 29 nov. 2017, no 17-85.300, Dalloz actualité, 21 déc. 2017, obs. H. Diaz isset(node/188170) ? node/188170 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>188170), celui-ci devant faire part de son opposition dès le moment où il est informé que la tenue de l’audience se fera selon ce dispositif (Crim. 19 avr. 2017, no 17-80.571, Dalloz actualité, 27 nov. 2017, obs. D. Goetz isset(node/187805) ? node/187805 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>187805).

En revanche, les juges du droit n’avaient pas encore eu l’occasion de se prononcer sur la régularité du recours à l’utilisation d’un moyen de télécommunication audiovisuelle par la chambre de l’instruction lorsqu’elle a à connaître du contentieux relatif au règlement d’une procédure. Elle rappelle ici sa position sur le fait que la comparution personnelle d’un individu devant cette juridiction n’est qu’une faculté laissée à sa libre appréciation selon une interprétation stricte de l’article 199, alinéa 4, du code de procédure pénale, la comparution n’étant donc pas de droit, tout comme le fait d’y être entendu physiquement, selon cette fois une interprétation extensive de la règle de droit.

Si la Cour européenne des droits de l’homme a énoncé que le recours à la visioconférence n’est pas incompatible avec la notion de procès équitable (CEDH 2 nov. 2010, Sakhnovski c/ Russie, no 21272/03, Dalloz actualité, 12 nov. 2010, obs. M. Léna ), des auteurs exprimant en ce sens le souhait que cet « intérêt gestionnaire […] n’aveugle pas trop les juges, et parfois même les avocats » (Crim. 16 mars 2016, no 15-87.644, Dalloz actualité, 30 mars 2016, obs. C. Benelli-de Bénazé ), entrainant une rupture de l’équilibre de l’audience (RSC 2011. 801, obs. J. Bossan ).