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Baby-Loup : passage en force des juges d’appel

Une personne morale de droit privé, qui assure une mission d’intérêt général peut, dans certaines circonstances, constituer une entreprise de conviction au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et se doter de statuts et d’un règlement intérieur prévoyant une obligation de neutralité du personnel, justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché.

par Marie Peyronnetle 28 novembre 2013

Une crèche associative se revendiquant « laïque » peut-elle exiger de son personnel, par l’intermédiaire de son règlement intérieur, une obligation de neutralité dans l’exercice de l’ensemble de ses activités ?

L’arrêt du 19 mars 2013 de la chambre sociale, à l’origine de cet arrêt de renvoi (V. pour un rappel des faits et de la décision, Dalloz actualité, 27 mars 2013, obs. M. Peyronnet ; G. Calvès, La chambre sociale de la Cour de cassation face à l’affaire Baby Loup : trois leçons de droit, et un silence assourdissant, Respublica, 21 mars 2013 ; E. Dockès,  Liberté, laïcité, Baby Loup : de la très modeste et très contestée résistance de la Cour de cassation face à la xénophobie montante, Dr. soc. 2013. 388 ; R. Schwartz, La laïcité paradoxalement consacrée, Sem. soc. Lamy 2013, n° 1577, p. 8 ; I. Desbarats, Affaire Baby Loup : laïcité fragilisée ou liberté religieuse renforcée ?, JCP S 2013. 1297), a soigneusement évité de répondre à cette question tant les enjeux qui en découlent sont importants. Mais c’est au final le point décisif dans cette affaire de licenciement d’une salariée voilée pour non respect du règlement intérieur imposant au personnel une neutralité confessionnelle. La Cour de cassation devra donc, par la voix de son Assemblée plénière, se positionner sur le fond : est-ce qu’une entreprise « laïque » peut-être considérée comme une entreprise de « tendance » (P. Waquet, Loyauté du salarié dans les entreprises de tendance, Gaz. Pal. 1996. 1427 ; F. Gaudu, L’entreprise de tendance laïque, Dr. soc. 2011. 1186 ) ? Et quel rôle le règlement intérieur doit-il jouer dans l’encadrement et la restriction des libertés individuelles dans l’entreprise ?

On écartera d’autorité les motivations de la cour d’appel consistant à dire, d’une part, grâce à une dénaturation des pièces du dossier, que la restriction à la liberté de manifester sa religion n’était pas générale car ne s’appliquant pas aux activités sans contact avec les enfants (le procureur général, François Falletti, ayant fait l’observation inverse dans ses conclusions, p. 20), et, d’autre part, que si la mise à pied conservatoire de la salariée résultait bien de son refus de se conformer à un « ordre licite » de son employeur, c’est le comportement de la salariée à la suite de cette mise à pied conservatoire qui constitue la faute grave à l’origine du licenciement. Dans les deux cas, l’Assemblée plénière pourra rejeter la motivation de la cour d’appel de Paris, d’une part, pour la dénaturation des pièces (mais rappelons que la Cour de cassation avait fermé les yeux sur une dénaturation des faits lors de son premier arrêt), et, d’autre part, parce que si la clause du règlement intérieur est illicite c’est l’ensemble de la procédure de licenciement qui sera contaminée par cette disposition discriminatoire.

En revanche, on retiendra que la cour d’appel revient fortement sur la notion d’entreprise de conviction comme pouvant justifier une obligation de neutralité. Exit donc l’argument de la « laïcité »...

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