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Cautionnement : la disproportion de l’engagement est une défense au fond échappant à la prescription

Constitue une défense au fond, qui échappe à la prescription, le moyen selon lequel l’engagement de caution d’une personne physique manifestement disproportionné à ses biens et revenus se trouve privé d’effet à l’égard du créancier professionnel.

par Mehdi Kebirle 21 février 2018

Il a fallu tout le talent pédagogique des rédacteurs du « nouveau » code de procédure civile pour parvenir à la rénovation de la théorie des moyens de défense. Cet effort a constitué une avancée remarquable qui a permis de dépasser les incertitudes passées. Pour autant, cet arrêt du 31 janvier 2018 permet de montrer qu’il subsiste des difficultés et que la catégorisation n’est pas toujours chose aisée.

Il s’agissait dans cette affaire d’un couple qui s’était porté cautions solidaires envers une banque de divers prêts. Après avoir prononcé la déchéance du terme, la banque a assigné en paiement les cautions mais ces dernières ont opposé la disproportion manifeste de leurs engagements. La banque a alors soulevé une fin de non-recevoir tirée de la prescription.

Après avoir rejeté cette fin de non-recevoir, une cour d’appel a estimé que la banque ne pouvait se prévaloir des cautionnements solidaires souscrits. En l’absence de commencement d’exécution, l’exception soulevée au titre des dispositions de l’article L. 341-4 [L. 332-1 actuel] du code de la consommation n’était pas soumise à la prescription qu’institue l’article L. 110-4 du code de commerce, de sorte que la banque ne pouvait utilement invoquer cette prescription. 

Dans le pourvoi intenté par la banque, celle-ci soutenait que l’action qui résulte de l’article L. 332-1 actuel du code de la consommation n’est pas une action en nullité du cautionnement mais une action visant à dire que le créancier ne peut pas se prévaloir du cautionnement dont il est bénéficiaire. Partant, elle échappe aux règles qui régissent l’exception de nullité, spécialement à celles qui soustraient cette exception de nullité à la prescription applicable lorsque le contrat n’a pas encore été exécuté. L’exception de nullité était donc bien soumise à la prescription.

Rejetant le pourvoi, la Cour de cassation observe, par une substitution de motif de pur droit, qu’une défense au fond, au sens de l’article 71 du code de procédure civile, échappe à la prescription. Elle ajoute que constitue une telle défense le moyen tiré de l’article L. 341-4, devenu L. 332-1, du code de la consommation, selon lequel l’engagement de caution d’une personne physique manifestement disproportionné à ses biens et revenus se trouve privé d’effet à l’égard du créancier professionnel.

La banque ne pouvait donc opposer aux cautions la prescription du moyen tiré de la disproportion de leur engagement.

Cette décision permet de s’intéresser à la distinction des moyens de défense régis par le code de procédure civile. Trois moyens sont aujourd’hui envisagés par ce code : la défense au fond, la fin de non-recevoir et l’exception de procédure. Vue de loin, la distinction de ces moyens de défense ne pose guère de problème. La défense au fond consiste, pour le défendeur, à contester le droit substantiel de son adversaire et tend ainsi à faire déclarer infondée la prétention émise à son encontre. Par l’exception de procédure, le plaideur conteste la régularité de la procédure ou entend en suspendre le cours. La fin de non-recevoir permet de contester le droit d’agir de son adversaire, c’est-à-dire le droit de soumettre une prétention au juge pour qu’il la dise bien ou mal fondée.

Les choses se compliquent à mesure que l’on approche des lignes de partage de chacune de ces notions. L’espèce en cause permet plus précisément de s’intéresser à ce qui distingue les fins de non-recevoir et les défenses au fond. La défense au fond a cependant une spécificité irréductible. Contrairement à la fin de non-recevoir, elle vise à attaquer la prétention adversaire de front, le but étant ni plus ni moins de la faire juger infondée. « C’est par cette finalité qu’elle se distingue des autres moyens : eux n’attaquent pas de front la prétention adverse ; ils tendent non à la faire déclarer infondée mais simplement à la faire écarter de façon détournée, sans même un examen au fond » (Rép. pr. civ., Défenses, exceptions, fins de non-recevoir, par I. Peytel-Teyssié, n° 7). Au moyen de la défense au fond, le défendeur soutient que le droit allégué par son adversaire n’existe tout simplement pas.

Le cas du caractère manifestement disproportionné du cautionnement fait naître un doute sur la catégorie à laquelle ce moyen se rattache. Selon l’article L. 332-1 du code de la consommation, si l’engagement de la caution lors de sa conclusion est manifestement disproportionné aux biens et revenus de celle-ci, l’établissement de crédit « ne peut pas s’en prévaloir ». La formule est pour le moins vague. Est-ce à dire que le droit de poursuite appartenant au créancier professionnel n’existe pas ou qu’il existe mais qu’il ne peut être utilement invoqué devant un juge ? Cette incertitude a pu poser problème s’agissant de l’objet de la sanction du cautionnement disproportionné, l’expression employée ne renvoyant « à aucune sanction juridique connue » (Rép. civ., Cautionnement, par G. Piette, n° 121). Surtout, sur le plan purement procédural, la formule ne permet pas de déterminer par quel biais technique cette disproportion peut être invoquée par une caution poursuivie par le créancier. À l’analyse, la réponse apportée à la première question permet de répondre à la seconde. Pour la haute juridiction, un tel cautionnement n’encourt pas la nullité (v. Civ. 1re, 6 avr. 2004, n° 01-10.926, Bull. civ. I, n° 110 ; D. 2004. 1232, et les obs. ; ibid. 2005. 1424, obs. A. Boujeka, M. Bourassin, E. Claudel et B. Thullier ; 29 juin 2004, n° 02-13.424, Bull. civ. I, n° 185 ; D. 2004. 2707, et les obs. , obs. L. Aynès ; RDI 2005. 205, obs. H. Heugas-Darraspen ). Selon une doctrine majoritaire, la sanction encourue doit pouvoir s’analyser en une déchéance (G. Piette, La sanction du cautionnement disproportionné, Dr. et patr. juin 2004. 44). Au fond, au-delà des débats doctrinaux sur la qualification de cette sanction, l’important est de relever que, lorsque l’engagement de la caution est excessif, le créancier se trouve privé du bénéfice du mécanisme. Pour le dire autrement, il perd ni plus ni moins sa sûreté. C’est donc l’existence même du droit de poursuite qui est atteint. Autrement dit, lorsque la caution poursuivie invoque la disproportion du cautionnement, c’est l’inexistence du droit de poursuite qu’elle soulève. C’est donc le bien-fondé de la prétention du cautionnaire qui est frontalement visé. La conséquence procédurale est alors immédiate : ce moyen est une défense au fond.

Cette qualification mettait en l’occurrence à mal toute l’argumentation de la demanderesse, qui consistait à refuser aux cautions le bénéfice de l’adage quae temporalia ad agendum, perpetua sunt ad excipiendum, en vertu duquel l’exception de nullité est perpétuelle. Lorsque le défendeur demande le maintien de l’état d’inexécution du contrat, il peut soulever cette exception, même au-délà du délai de prescription de l’action en nullité, à condition bien sûr que l’acte n’ait jamais été exécuté (Civ. 1re, 17 juin 2010, n° 09-14.470, Dalloz actualité, 1er juill. 2010, obs. X. Delpech ; Rev. sociétés 2010. 509, note J.-F. Barbièri ; RTD com. 2010. 744, obs. P. Le Cannu et B. Dondero ; Dr. sociétés 2010, n° 181, obs. M. Roussille ; RDC 2010. 1208, note Y.-M. Laithier ; 4 mai 2012, n° 10-25.558, Dalloz actualité, 25 mai 2012, obs. X. Delpech ; RTD civ. 2012. 526, obs. B. Fages ; JCP 2012. I. 821, Y.-M. Serinet ; Gaz. Pal. 5 juill. 2012, p. 15, note D. Houtcieff ; ibid. 8 sept. 2012, n° 252, p. 26, note S. Amrani-Mekki et J. Théron ; Com. 13 mai 2014, n° 12-28.013, Dalloz actualité, 28 mai 2014, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2015. 529, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki ; RTD civ. 2014. 646, obs. H. Barbier ; RDC 2014. 627, obs. M. Latina ; Civ. 1re, 22 janv. 2014, n° 12-19.911 ; 15 janv. 2015, nos 13-25.512 et 13-25.513, Dalloz actualité, 30 janv. 2015, obs. A. Cayol ; Gaz. Pal. 2015. 1. 18, note L. Lauvergnat ; RLDC mars 2015. 12, note M. Delsolneux ; Civ. 1re, 10 sept. 2015, n° 14-24.291).

Ici, ce détour par la nullité était hors de propos. Par l’invocation de la disproportion manifeste du cautionnement, il s’agissait simplement pour le défendeur de faire rejeter sur le fond la prétention du demandeur. Il ne s’agissait pas de faire reconnaître la nullité – auquel cas la prétention du défendeur aurait constitué une demande reconventionnelle – mais simplement de paralyser la prétention invoquée par son adversaire. Il n’était pas question de la défense d’un droit, laquelle est soumise à une prescription, c’est-à-dire à une durée au-delà de laquelle l’action en justice devient irrecevable. La défense au fond ne visant pas à la reconnaissance d’un droit, elle échappe, par nature, à la prescription.

En somme, cet arrêt du 31 janvier s’attache à restituer la bonne qualification du moyen invoqué par les cautions et à en tirer les conséquences procédurales. Il rappelle en cela le constat du professeur Perrot qui, évoquant les qualifications des moyens de défense, indiquait : « voilà décidément un beau sujet de travaux dirigés ! ».