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La chambre sociale va-t-elle détruire les stéréotypes de genre à la racine ?

La différence de traitement qui consiste à autoriser les femmes à porter des tresses africaines attachées en chignon mais à l’interdire aux hommes est uniquement fondée sur le sexe du salarié : elle n’est justifiée par aucune exigence essentielle et déterminante propre à l’exercice de la profession de steward.

En 1972, Ruth Bader-Ginsburg a démontré qu’il était stratégique de déconstruire les discriminations affectant les hommes en raison de leur sexe pour mieux atteindre celles affectant les femmes (Charles E. Moritz v. Commissioner of Internal Revenue, 469 F.2d 466, 1972). L’arrêt de la chambre sociale rendu le 23 novembre 2022 pourrait présenter un tel intérêt pour l’avenir.

En l’espèce, un steward d’Air France a été licencié pour inaptitude après avoir subi des agissements répétés qu’il qualifie de harcèlement. Après avoir refusé de se conformer au « manuel de port de l’uniforme des personnels navigants commerciaux », la compagnie lui avait imposé pendant plusieurs années le port d’une perruque. Ce manuel prévoyait en effet que, pour les hommes, « les cheveux doivent être coiffés de façon extrêmement nette. Limitées en volume, les coiffures doivent garder un aspect naturel et homogène. La longueur est limitée dans la nuque au niveau du bord supérieur du col de la chemise. Décoloration et ou coloration apparente non autorisée. La longueur des pattes ne dépassant pas la partie médiane de l’oreille. Accessoires divers : non autorisés ».

Les spécifications énoncées pouvaient laisser transparaitre une certaine incompatibilité avec les tresses souvent portées par les personnes noires, ce qui aurait été un exemple de discrimination en raison de l’apparence physique liée à la « prétendue race », aujourd’hui désignée comme une discrimination « capillaire » dans certaines législations (v. aux États-Unis, le CROWN Act de 2022 pour “Creating a Respectful and Open World for Natural Hair Act” visant à garantir l’absence de discrimination dans l’emploi en raison de la nature des cheveux et leur coiffure). Ce n’est cependant pas le motif de discrimination retenu en l’espèce car les femmes étaient autorisées à porter des tresses dès lors qu’elles étaient nouées en chignon (coiffure qui avait été adoptée par le steward en l’espèce et non admise par son employeur).

La cour d’appel avait estimé que l’employeur pouvait valablement imposer aux hommes et aux femmes un code vestimentaire et capillaire distincts, dès lors que « cette différence d’apparence, admise à une période donnée entre hommes et femmes en termes d’habillement, de coiffure, de chaussures et de maquillage, qui reprend les codes en usage, ne peut être qualifiée de discrimination ». Elle ajoute que la présentation du personnel navigant commercial fait partie intégrante de l’image de marque de la compagnie justifiant donc des restrictions à la libre apparence des salariés.

Un contrôle de proportionnalité combiné des atteintes aux libertés individuelles et des atteintes directes au principe de non-discrimination

Dans ce type d’affaire, la question de la discrimination (C. trav., art. L. 1132-1) supplante régulièrement celle de l’atteinte à une liberté individuelle (C. trav., art. L.1121-1), rendant inutile de se questionner sur la qualification de cette liberté : est-elle, ou non, « fondamentale » ? Néanmoins, lors de l’étude des « justifications » retenues par la cour d’appel à la différence de traitement, la Cour de cassation réalise un contrôle de proportionnalité au regard de l’atteinte à la liberté du salarié en le combinant avec les justifications attendues au regard de l’article L. 1133-1 et de la directive « refonte » 2006/54/CE.

Ainsi, pour aboutir à rejeter les justifications apportées par l’employeur, la Cour de cassation les soumet, d’une part, au contrôle de proportionnalité portant sur les atteintes aux libertés individuelles (C. trav., art. L. 1121-1), et d’autre part au contrôle de proportionnalité des atteintes directes au principe de non-discrimination (C. trav., art. L. 1133-1). Une telle approche combinée est particulièrement pratiquée par la jurisprudence de la CJUE en matière de port de signe religieux (CJUE 14 mars 2017, Micropole Univers, aff. C-188/15, AJDA 2017. 551 ; ibid. 1106, chron. E. Broussy, H. Cassagnabère, C. Gänser et P. Bonneville ; D. 2017. 947 , note J. Mouly ; ibid. 2018. 813, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2017. 450, étude Y. Pagnerre ; RDT 2017. 422, obs. P. Adam ; Constitutions 2017. 249, chron. A.-M. Le Pourhiet ; RTD eur. 2017. 229, étude S. Robin-Olivier ; ibid. 2018. 467, obs. F. Benoît-Rohmer ; Rev. UE 2017. 342, étude G. Gonzalez ).

Sur le volet de l’atteinte à la liberté individuelle (C. trav., art. L. 1121-1), rappelons que la Cour de cassation admet que le droit de se vêtir à sa guise relève d’une liberté individuelle sans pour autant la qualifier de « fondamentale » (Soc. 28 mai 2003, n° 02-40.273 P, D. 2003. 2718 , note F. Guiomard ; ibid. 2004. 176, obs. A. Pousson ; Dr. soc. 2003. 808, note P. Waquet ; ibid. 2004. 132, étude P. Lokiec ; RTD civ. 2003. 680, obs. J. Hauser ). Or, la Cour de cassation fait découler de la qualification de « fondamentale » des conséquences particulières. Une atteinte à une liberté fondamentale sera nulle, alors qu’une atteinte à une simple liberté individuelle sera injustifiée. La conséquence a son importance en matière de licenciement puisque la seconde catégorie relèvera du licenciement sans cause réelle et sérieuse et la première d’un licenciement nul. Il s’agit là d’une lecture restrictive de l’article L. 1121-1 qui n’opère en effet aucune distinction selon que la liberté en cause est ou non qualifiable de « fondamentale ». Une telle restriction semble aujourd’hui...

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