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Comment un expert doit-il être auditionné à distance ?

Les experts cités doivent déposer devant la cour d’assises, soit en personne, soit par un moyen de télécommunication audio-visuel garantissant la confidentialité de la transmission.

par Dorothée Goetzle 13 mars 2019

En l’espèce, un individu était condamné pour viols et agressions sexuelles aggravés à quatorze ans de réclusion criminelle et à l’interdiction définitive d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs. Il formait un pourvoi en cassation. L’intéressé entendait en effet remettre en cause sa condamnation au motif que l’expert psychologue qui était en congés à l’étranger mais en possession de ses rapports d’expertises contenus dans la mémoire de son ordinateur avait été entendu par téléphone. À ses yeux, en procédant à une audition réalisée à l’étranger, y compris par un moyen de télécommunication, sans avoir utilisé la procédure de la demande d’entraide, la cour d’assises avait excédé ses pouvoirs. En outre, il soulignait que selon le principe d’ordre public de l’oralité des débats, la comparution physique des témoins et experts était indispensable. La seule exception à cette comparution physique était le recours à un moyen de télécommunication, dans les conditions prévues par l’article 706-71 du code de procédure pénale et destinées à garantir la confidentialité et la fiabilité des transmissions. Or, en l’espèce, l’audition de l’expert par téléphone ne remplissait pas, à ses yeux, les conditions prévues par ce texte.

La Cour de cassation partage son raisonnement. Au double visa des articles 168 et 706-71, alinéa 2, du code de procédure pénale, elle pose le principe selon lequel « les experts cités doivent déposer devant la cour d’assises, soit en personne, soit par un moyen de télécommunication audio-visuel garantissant la confidentialité de la transmission ». En conséquence, l’expert ne pouvait pas être entendu, et même en l’absence d’opposition des parties, par un moyen de télécommunication exclusivement sonore.

Cette cassation est logique. En effet, il est vrai que techniquement une audition à distance peut être réalisée soit par liaison vidéo soit par téléphone. Ces deux procédés sont d’ailleurs envisagés et distingués dans la Convention du 29 mai 2000 relative à l’entraide judiciaire en matière pénale entre les États membres de l’ Union européenne. En droit interne, l’article 694-5 du code de procédure pénale renvoie à l’article 706-71 de ce code, qui opère des distinctions selon l’état d’avancement de la procédure pénale. Au cours de l’enquête et de l’instruction, l’article 706-71, alinéa 1er, permet ainsi « l’audition ou l’interrogatoire d’une personne ainsi que la confrontation entre plusieurs personnes […] par des moyens de télécommunications ». En d’autres termes, les auditions, interrogatoires et confrontations ici envisagées peuvent être réalisées aussi bien par vidéoconférence que par téléconférence. L’article R. 53-33, alinéa 1er, du code de procédure pénale le confirme d’ailleurs en précisant que, « pour l’application des dispositions de l’article 706-71, il peut être recouru à un moyen de télécommunication sonore ou à un moyen de télécommunication audiovisuelle ». En revanche, lorsqu’il s’agit pour un juge d’instruction d’auditionner ou d’interroger une personne détenue, l’alinéa 3 de l’article 706-71 ne permet que le recours à la vidéoconférence. Enfin, – et c’est cet alinéa que vise en l’espèce la Cour de cassation – au cours de l’audience de jugement, l’alinéa 2 de l’article 706-71 permet « l’utilisation d’un moyen de télécommunication audiovisuelle […] pour l’audition des témoins, des parties civiles et experts ». C’est donc en tout logique que devant la juridiction de jugement, l’audition par téléconférence n’est pas possible.

Parallèlement, le requérant posait une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la conformité à la Constitution de l’article 222-31-1 du code pénal, qui incrimine le viol et les agressions sexuelles incestueux. Cette QPC n’était pas dénuée d’intérêt. En effet, par une décision QPC du 16 septembre 2011, le Conseil constitutionnel a déjà déclaré contraire au principe de légalité des délits et des peines l’article 222-31-1 du code pénal relatif aux viols et agressions sexuelles qualifiés d’incestueux (Cons. const. 16 sept. 2011, n° 2011-163 QPC, Dalloz actualité, 26 sept. 2011, obs. E. Allain ; ibid. 2012. 1033, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ pénal 2011. 588, obs. C. Porteron ; Constitutions 2012. 91, obs. P. de Combles de Nayves ; RSC 2011. 830, obs. Y. Mayaud ; ibid. 2012. 131, obs. E. Fortis ; ibid. 183, obs. J. Danet ; ibid. 221, obs. B. de Lamy ; RTD civ. 2011. 752, obs. J. Hauser ). Par une décision QPC du 17 février 2012, le Conseil constitutionnel a ensuite également abrogé, en s’appuyant sur les mêmes considérations, l’article 227-27-2 du code pénal relatif au délit d’atteintes sexuelles incestueuses (Cons. const. 17 févr. 2012, n° 2011-222 QPC, D. 2012. 1033, obs. M. Douchy-Oudot ; RSC 2012. 146, obs. Y. Mayaud ). La loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant a ensuite réintroduit la notion d’inceste dans le code pénal, aux articles 222-31-1 et 227-27-2-1 (AJ pénal 2016. 165, note J.-P. Guédon). En l’espèce, pour ne pas renvoyer la QPC au Conseil constitutionnel, la chambre criminelle précise qu’en définissant l’inceste, l’article 222-31-1 du code pénal ne modifie pas les éléments constitutifs des infractions de viol et d’agression sexuelle ni les peines encourues. En outre, le texte limite lui même le recours à cette qualification aux seules personnes visées et, en conséquence, ne tombe pas sous le coup du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère. Enfin, la chambre criminelle approuve le législateur d’avoir pu, sans méconnaître le principe d’égalité devant la loi, instituer une disposition précisant les liens unissant l’auteur et la victime d’un viol ou d’une agression sexuelle qui donnent aux faits leur qualification d’incestueux (C. Margaine, Retour de l’inceste dans le code pénal et extension de la protection du mineur victime, D. 2016. 1089 ; Lepage, Le retour de la qualification d’incestueux dans le code pénal: une cote toujours mal taillée, Dr. pénal 2016. Étude 11 ; J.-B. Perrier, Le retour de l’inceste dans le code pénal, RSC 2016. 381 ; P. Mistretta, Les bonnes mœurs sexuelles : un concept mal ressuscité en droit pénal, RSC 2017. 273 ; V. Tellier-Cayrol, Loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Des objectifs respectables, une efficacité incertaine, AJ pénal 2018. 400 ; Claverie-Rousset, Commentaire des principales dispositions de la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles ou sexistes, Dr. pénal 2018. Étude 23 ; L. Saenko et S. Detraz, La loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes: les femmes et les enfants d’abord !, D. 2018. Chron. 2031 ).